Le cardinal Fridolin Ambongo Besungu fait l’objet d’une information judiciaire ouverte par le parquet général près la cour d’appel de Matete, sur instruction du Procureur général près la Cour de cassation Firmin Mvonde. Il est reproché à l’archevêque de Kinshasa «des propos séditieux de nature à décourager les forces armées qui combattent au front. Je vous ordonne d’ouvrir une information judiciaire à charge du prélat susvisé qui violente délibérément les consciences et semble trouver plaisir, à travers ces faux bruits et autres incitations à la révolte contre les institutions établies et aux attentats contre les vies humaines», écrit en substance Firmin Mvonde.
En réaction, quelques défenseurs du cardinal Ambongo ont manifesté des gestes de défiance en affirmant que le prélat n’avait pas à être entendu par le parquet congolais et qu’il avait raison de refuser de ne pas se présenter à l’invitation des autorités judiciaires.
Un évêque peureux est un faux
S’exprimant devant des fidèles catholiques dimanche 28 avril 2024, au centre Lindonge de Limete, Fridolin Ambongo a déclaré qu’il n’a fait qu’accomplir la parole de Dieu, et qu’il n’a pas peur de dire la vérité aux autorités politiques de la RDC. «En tant que prophète, vous avez le devoir de parler sans peur au nom de Dieu. Un évêque peureux est un faux», a soutenu l’archevêque métropolitain de Kinshasa, 24 heures après l’ouverture d’une instruction judiciaire à sa charge.
Un communiqué de l’archidiocèse de Kinshasa du 29 avril 2024 a reconnu avoir réceptionné le courrier du procureur général près la cour de cassation. Mais, il explique que l’archevêque séjournait alors à l’étranger et ne pouvait donc répondre à l’invitation lui adressée. «Il ne s’agit donc pas d’un refus de répondre à l’invitation en question ni d’un manque de considération à l’égard de la justice», selon ce communiqué.
Un prêtre catholique d’une paroisse de la Tshangu à Kinshasa qui a requis l’anonymat estime pour sa part que «rien ne pouvait empêcher les services juridiques de l’archidiocèse de représenter le cardinal ou de s’excuser en son nom. Il y a de la défiance derrière ce mutisme clérical».
L’ouverture d’une information judiciaire à charge du cardinal a soulevé de nombreuses réactions au sein de la classe politique et dans l’opinion.
L’opposition au secours du prélat
Dans la classe politique, c’est de l’opposition dont se réclame sans fards le prélat kinois qu’ont fusé les protestations, 24 heures après l’instruction de Firmin Mvonde à ses services près la cour d’appel de Kinshasa/Matete. A l’instar de cette déclaration de Martin Fayulu Madidi, le candidat malheureux aux présidentielles 2018 et 2023 qui estime que le régime de Félix Tshisekedi «prend une déviation progressive, incontrôlée et dangereuse pour notre pays. Envisager d’engager une action en justice contre le Cardinal Ambongo est la goutte d’eau qui fait déborder le vase».
Moïse Katumbi, un autre challenger de Félix Tshisekedi clame son indignation, lui aussi. «Ce cardinal et archevêque métropolitain de Kinshasa ne fait que porter la voix des Congolaises et Congolais qui endurent sans fin des souffrances atroces. La justice congolaise tente donc de museler cette voix des affligés, des pauvres, des victimes de l’injustice, des guerres et de la mauvaise gestion de la chose publique», dénonce cet acteur politique présenté en son temps, peu avant les élections, aux fidèles catholiques comme l’homme providentiel de l’église par l’archevêque de Kinshasa.
Il n’est pas jusqu’au Nobel de la paix 2018, Denis Mukwege, autre candidat malheureux à la dernière élection présidentielle qui n’ait pas volé au secours du prélat kinois. «L’instrumentalisation politique du pouvoir judiciaire est une dérive dictatoriale d’un régime incapable de gérer le pays et de rétablir la sécurité», dénonce le médecin de Pangi.
La CENCO calme la tempête
Mardi 30 avril, un communiqué du secrétariat général de la Conférence épiscopale du Congo (CENCO) publié par Mgr Donatien Nshole est venu tempérer les ardeurs des uns et des autres. «Le dossier est traité de manière responsable, avec les autorités compétentes, dans le respect des textes légaux du pays, y compris l’Accord entre la RDC et le Saint-Siège, lequel garantit un régime de collaboration loyal et sincère entre l’Eglise et l’Etat, au service du peuple congolais», explique le secrétaire du comité permanent des évêques.
Mais lorsqu’il s’en explique sur Radio Okapi, Donatien Nshole ne se prive pas de glisser un zeste de menace sur fond de défiance des autorités. «A mon avis ça va s’arrêter là. Je ne vois pas les raisons pour lesquelles le cardinal serait poursuivi. Donc, c’est tout à fait normal que si on a besoin d’informations de sa part … de toute façon l’église ne s’est jamais interférée en justice. Mais si ça se transforme en tracasseries, c’est une autre dimension qui appellerait une autre réaction. Mais la justice, si elle est juste, personne n’en disconvient. Une information judiciaire, on n’est pas encore dans un dossier judiciaire. Il n’y a rien à dramatiser», a-t-il déclaré, laissant sous-entendre une menace subliminale contre les autorités judiciaires congolaises si jamais elles osaient aller plus loin que l’ouverture d’une information à charge du prélat.
C’est ce qu’exprime, expressis verbis, le « Message de l’Assemblée du clergé kinois (ACKIN)», une structure jusque-là inconnue de l’organisation de l’église catholique kinoise.
Le message de l’ACKIN, daté du 30 avril 2024, largué sur les réseaux sociaux mercredi 1er mai dans la journée porte, en tout et pour tout en guise de signatures, le sceau du secrétariat général de l’archidiocèse de Kinshasa. Il contient des menaces sans fards contre les magistrats congolais.
L’archidiocèse menace l’Etat
«Tous les ‘sermons, points de presse et interviews’ du cardinal Archevêque de Kinshasa, en tant que pasteur, s’appuient sur la foi catholique, ‘affermissent les frères dans la foi’ et éveillent les consciences des fidèles dans la droite ligne de l’enseignement social de l’église. De ce fait, ils ne peuvent aucunement violenter les consciences», proclame ce message. «Convaincus de la rectitude des différentes interventions du cardinal sur la situation socio-politique de notre pays, nous dénonçons et condamnons cette honteuse initiative qui instrumentalise la justice et reflète une dérive dictatoriale visant à annihiler la liberté d’expression», poursuit encore l’ACKIN. Avant d’asséner : «La Nation est en danger et l’heure n’est pas à la diversion. A tous ceux qui se trompent de cible, nous lançons cet avertissement : qui touche au cardinal, touche au clergé. Qui convoque le cardinal, convoque le clergé. Voilà pourquoi nous invitons tous les fidèles de Kinshasa au calme et à la vigilance dans l’attente des directives : « Sois sans crainte : parle, ne garde pas le silence » (Ac 18,9).
Le respect des lois du pays
Dans l’opinion, la perspective d’un affrontement entre l’église catholique et le pouvoir en place inquiète plus d’un. En effet, interrogé, sur l’ouverture d’une information judiciaire à charge du cardinal Ambongo, le 30 avril 2024 sur TV5, le vice-premier ministre congolais des Affaires étrangères s’est montré très clair. «Il n’existe aucun accord, aucune convention ni engagement conclu avec le Saint-Siège qui aurait pour objet d’exonérer les personnes, en particulier des citoyens congolais de l’obligation de respecter les lois de la République», a déclaré Christophe Lutundula.
Dans les réseaux sociaux dont sont friands les compatriotes de l’archevêque de Kinshasa, deux tendances se dégagent nettement. Celle qui s’oppose à toute perspective d’une explication de l’église catholique devant le pouvoir judiciaire, et celle qui estime, au contraire, que la justice doit sévir sans état d’âme pour demeurer une justice digne de ce nom.
«Aucun parti politique congolais ne compte de représentants sur l’ensemble du territoire comme l’église catholique avec ces 6 archidiocèses et ses 41 diocèses. Et aucun parti politique ne compte autant d’adhérents que les fidèles de l’église catholique. Aucun parti politique ne dispose d’un réseau diplomatique international aussi étendu que celui de l’église catholique et aucun parti politique congolais n’est aussi riche que l’église catholique. Alors, quand on analyse le rapport de forces entre l’UDPS (le parti présidentiel) et l’église catholique, on sait voir de quel côté penchera la balance», explique, Alain Shekomba, un candidat malheureux à la présidentielle 2018.
Craindre la toute puissante église catholique
Selon ce point de vue, la prudence s’impose donc même si un membre de l’église catholique commet des actes pénalement répréhensibles. «Les propos et attitudes du cardinal Ambongo, citoyen congolais sont des provocations, calculées et bien planifiées. Y répondre au biceps et au forceps serait manquer d’efficience car, on tomberait bêtement dans le traquenard», avance A. Mavinga, un anthropologue de l’Université de Kinshasa. C’est à peu près le point de vue Frédéric Bola, un juriste qui a longtemps flirté avec l’opposition katumbiste avant de prendre ses distances. «Le régime Tshisekedi a été poussé à la faute par une église politiquement engagée. Il vient de commettre au travers d’un ballon d’essai par l’entremise du procureur général qui sera désavoué et sacrifié en cas de troubles. Observons la suite des événements», soutient-il.

Mais, il en est beaucoup d’autres sur la toile qui estiment qu’il faut aller jusqu’au bout de la logique, et placer l’Archevêque de Kinshasa devant ses responsabilités. «Le cardinal est un citoyen congolais comme un autre malgré sa qualité de dignitaire de l’église. A ce titre, il est soumis aux lois de la République comme l’ensemble de ses compatriotes. Et même en admettant qu’il ait un statut de «diplomate» en RDC – on le confond avec le Nonce apostolique, apparemment – il serait astreint à une stricte obligation de réserve. Il n’existe à ma connaissnce pas de droits sans devoirs, sauf dans une jungle», explique le député national élu du Sankuru Lambert Mende Omalanga.
D’autres encore dissocient la personne du cardinal Ambongo de l’église catholique du Congo, ou encore de ses fidèles. «La justice congolaise n’a pas de problèmes avec les catholiques mais avec un citoyen haut placé dans la hiérarchie de cette confession religieuse qui a tenu des propos démoralisant les forces de défense et de sécurité du pays, qui doit être entendu», avance Jean Kapitene, un internaute.
Même l’hypothèse d’un affrontement entre l’église catholique et le pouvoir en place trouve de chauds partisans sur la toile. «Les deux protagonistes se connaissent pour avoir combattu le pouvoir de Joseph Kabila dans un passé récent. Les laisser se confronter permettra de casser le mythe d’une église catholique toute puissante et jouissant de l’impunité même en cas de pires turpitudes. C’est la condition requise pour qu’il existe un véritable Etat laïc en RDC», avance cet autre internaute.
J.N. AVEC LE MAXIMUM