Une trêve dans la guerre qui oppose la RDC au Rwanda (et à l’Ouganda, selon l’ONU) au Nord-Kivu, sollicitée et obtenue par les Etats-Unis sur fond de ‘‘négociations entre les belligérants’’. Il n’en fallait pas plus pour accréditer l’idée de pourparlers entre Kinshasa et les supplétifs AFC-M23 de Kigali. L’information, fuitée à partir des allées du pouvoir ougandais le 22 juillet 2024 n’a pas tardé à être démentie.
Lundi dernier, le scoop, rapidement répercutée par des confrères à Kinshasa, avait fait le tour des réseaux sociaux. A Entebbe (Kampala, Ouganda) se tenaient des pourparlers entre l’AFC-M23 et le gouvernement de la RDC. Les chefs terroristes René Abandi, Lawrence Kanyuka, Yannick Kisola et Imani Nzenze étaient présents dans la capitale ougandaise ensemble avec Jean-Bosco Bahala, coordonnateur national du Programme de désarmement, démobilisation, relèvement communautaire et stabilisation (PDDRCS) qu’accompagnaient Mutwale Malango et Okankwa Bukasa.
L’information relative à des pourparlers à Kampala parraissait vraisemblable après l’annonce d’une initiative de relance des négociations entre le Rwanda, le Burundi et la RDC, attribuée à la Tanzanie. Même si on ne voyait pas bien par quelle alchimie l’équipe du PDDRCS était devenue «une délégation de haut niveau du gouvernement de la RDC», ni pourquoi Kinshasa, farouchement hostile à toute négociation avec les renégats congolais servant de faire-valoir à Kagame, ne pipait mot au sujet d’une rencontre aussi importante.
Le gouvernement n’a mandaté personne
La toile grouillait encore de commentaires en sens divers sur cette perspective d’un dialogue entre belligérants et d’une trêve qui n’avait manifestement rien d’humanitaire lorsqu’un tweet de Patrick Muyaya, le ministre porte-parole du gouvernement de la RDC a levé un coin du voile sur les fameuses négociations de Kampala. «Il n’y a pas eu une quelconque forme de négociation à Kampala. Le gouvernement n’a mandaté personne pour négocier avec les terroristes», a-t-il écrit.
Pas suffisant pour mettre un terme à la polémique sur le sujet, qui enflait d’autant plus que de nouvelles révélations de source manifestement proches du State house, résidence du président ougandais Yoweri Museveni, fusaient sur la toile. L’AFP citée par Médiapart, a rapporté que l’Ouganda affirmait héberger des «négociations entre le gouvernement congolais et une alliance de groupes rebelles, dont la milice M23. Compte tenu de la complexité de la situation, il s’agit encore d’une réunion secrète, mais les détails seront rendus publics plus tard. Notre souhait est d’obtenir un cessez-le-feu permanent et le retour de la paix en RDC, a déclaré sous anonymat un membre de la préssidence ougandaise».
Alors que Kinshasa démentait la nouvelle, le M23 la confirmait, annonçant néanmoins que les négociations n’avaient pas encore commencé. «Tout ce que je sais, c’est qu’ils ont été appelés à Kampala, pas autre chose», aurait confié à l’AFP un porte-voix des mutins.
Jean-Bosco Bahala dément
Joint au téléphone par des médias congolais, Jean-Bosco Bahala, le coordonnateur du PDDRCS, qui conduisait une délégation de son organisation en Ouganda avait nié toute participation à une quelconque négociation avec les terroristes de l’AFC-M23. «Le PDDRCS est en discussions avec l’Ouganda pour le rapatriement des enfants congolais libérés par la LRA en République Centrafricaine», a-t-il expliqué.
Dans une correspondance adressée au directeur de cabinet de Félix Tshisekedi, le 18 juillet 2024, Bahala avait en effet sollicité un ordre de mission aux fins de la «préparation des activités de profilage et identification des ex-combattants LRA et leurs familles en vue de leur rapatriement au pays dans le cadre du PDDRCS».
C’est ce document, délivré à la même date par le ministre de la Défense Nationale et Anciens Combattants, Me Kabombo Mwadiamvita, qui est présenté comme une preuve de la présence de la partie gouvernementale aux négociations de Kampala.
Les vérifications effectuées par nos rédactions confirment que Jean-Bosco Bahala a effectivement rencontré une délégation de l’AFC-M23 au State house de Kampala sur la demande insistante de la présidence ougandaise.
Ses dénégations dans les médias n’ont pas convaincu à Kinshasa où le président Félix Tshisekedi, furieux, a signé le 23 juillet 2024 une ordonnance le révoquant de ses fonctions à la tête du PDDRCS. Des bruits courent que Bahala aurait été interpellé par les services de sécurité à l’aéroport international de N’djili à son retour à Kinshasa. Au cours d’une prestation télévisée, Patrick Muyaya évoquant incidemment le sujet, a laissé entendre qu’«il se peut que l’Abbé Jean-Bosco Bahala ait abusé de la confiance du vice-premier ministre, ministre de la Défense. Il y a encore une partie de l’histoire qui doit être clarifiée». Le même jour, des médias en ligne proches de Kigali relançaient les débats en annonçant que l’AFC-M23 «se retirait des négociations de Kampala avec le gouvernement de la RDC car Félix Tshisekedi tient à ce que ces pourparlers demeurent secrets et se tiennent à l’insu des populations congolaises». On se trouve en face d’un cas type de manipulation de l’information car la rumeur des négociations entre le gouvernement congolais et les renégats de l’AFC-M23 tire manifestement sa source chez les stratèges du Congo desk de Kigali qui tentent déspérément de pousser Kinshasa à de telles négociations pour donner une substance au projet de colonisation de peuplement d’une partie du Kivu par le Rwanda écrasé par une densité de population de plus en plus ingérable.
Le vaste bluff
Tout laisse croire que des complices de Kigali à Kampala ont joué un rôle actif dans le montage de ce vaste bluff dont il reste encore à appréhender les tenants et les aboutissants.
Les accointances de certains membres de la famille du président ougandais avec Paul Kagame, sont de notoriété publique. Il s’agit notamment de son demi-frère, le général Caleb Akandwanaho, alias Salim Saleh, membre du conseil national de sécurité et de son neveu (fils de Museveni), le général Muhoozi Kainerugaba, chef d’Etat-major de la force terrestre.
Des sources à Kampala signalent en effet que la délégation de Jean-Bosco Bahala aurait été pratiquement contrainte de rencontrer les émissaires de l’AFC-M23 alors que les services de la présidence ougandaise leur avait miroiter une audience auprès du président Museveni, tiraillé entre divers clans rivaux qui lorgnent respectivement sa succession.
Plusieurs jours après, les prétendues assises de Kampala, aucune image de la rencontre n’a été diffusée par les parties rebelles ou ougandaises à l’origine de toutes les fuites y relatives.
Aussi curieux que cela paraisse, aucune instance diplomatique, régionale ou internationale n’a relayé l’information sur ces fameuses négociations.
Le coup de bluff des extrémistes pro Kagame à Kampala s’inscrit d’une part dans la lutte âpre que se livrent différents camps au sein du National resistance movement au pouvoir à Kampala dans la perspective de l’après Museveni (80 ans) et d’autre part, dans la prédation des ressources économiques de la République Démocratique du Congo facilitée depuis plus de trois décennies par Paul Kagame et une myriade de complices dans les pays occidentaux, au Rwanda et en Ouganda.
Il s’agirait, pour les conjurés de devancer un vote dissuasif au Conseil de sécurité des Nations Unies contre ce pillage éhonté et les massacres perpétrés à l’Est de la RDC par le Rwanda en arguant du fait que les négociations seraient porteuses de résultats positifs, ce qui permettrait en même temps de court-circuiter le processus de Luanda qui contraint Kagame à accepter le cantonnement de ses supplétifs avant toute négociation avec Kinshasa.
J.N. AVEC LE MAXIMUM