Vives émotions, mardi 19 et mercredi 20 mars 2024 à l’occasion des funérailles de Chérubin Okende, le député, ancien ministre des Transports et porte-parole de Ensemble pour la République, retrouvé mort à bord de son véhicule le 14 juillet dernier à Kinshasa. A l’Espace Ave Maria, près de la morgue de l’Hôpital du Cinquantenaire de Kinshasa où reposait le corps de l’illustre disparu depuis 8 mois, s’est tenue une veillée mortuaire en sa mémoire. Occasion pour tout ce que Kinshasa compte d’acteurs politiques de l’opposition, ou presque, de rendre les derniers hommages à Okende : Martin Fayulu, Albert Moleka, Seth Kikuni, Mwando Nsimba, Dominique Munongo …ont été rejoints au milieu de la nuit par Moïse Katumbi Chapwe, le président de Ensemble pour la République et candidat malheureux à la dernière présidentielle rd congolaise. «J’ai encore du mal à imaginer que nous ne te verrons plus, cher ami Chérubin Okende. Te voir dans cette caisse appelée cercueil m’a fort troublée … Voir ton père, ton épouse, tes filles si bouleversés m’empêche d’être sereine … Puisse ton sang crier davantage !», écrivait, mercredi 20 mars, jour consacré aux dernières cérémonies funéraires à l’hôpital du Cinquantenaire et à la Cathédrale Notre Dame du Congo de Lingwala, Dominique Munongo Inamizi, députée katumbiste bien connue. La princesse bayeke, proche de Moïse Katumbi exprimait un sentiment quasi unanimement partagé par l’assistance, très nombreuse, venue dire adieu au défunt et consoler ses proches. L’air était à la colère et à la vengeance contre quiconque aurait trempé dans ce qui a été présenté, sans ambages, comme un assassinat pur et simple de l’ancien député.
«Chérubin Okende ne s’est pas suicidé»
Georges Oyema, porte-parole de la famille, n’y est pas allé par le dos de la cuillère. «Chérubin Okende ne vient pas d’une famille de poltrons. Nous sommes tellement énervés que nous devons dire à l’assemblée ici présente que nous ne croyons pas du tout qu’il s’est suicidé», avait-il laché d’un ton enragé à peine maîtrisé. «Tout le monde sait que Chérubin a été assassiné. Il n’est pas allé au marché ni au supermarché, il est allé à la cour constitutionnelle», reprenant ainsi la thèse avancée par le camp Katumbi aussitôt le décès de l’ancien ministre annoncé en juillet dernier. Prononcés devant le cercueil du défunt couvert du drapeau du dernier parti politique auquel il a appartenu à la morgue de l’hôpital du Cinquantenaire, ces mots ont sonné comme une déclaration de guerre. «Le collectif d’avocats que nous avons choisis au niveau international est en train de s’y mettre pour contraindre, pour dire la vérité sur ce qui est arrivé. Et, je vous le promets, nous avons tous les éléments en notre possession pour contredire tout ce qui a été raconté au niveau de la cour de cassation», a encore déclaré le porte-parole de la famille Okende avant d’assurer que «le jour de sa mort, Chérubin Okende n’accusait aucun signe de désarroi ni de déception. Il n’avait aucune raison de se suicider». Onyema contredisait ainsi la version de la justice congolaise qui avait fait état, quelques semaines plus tôt, d’un état d’anxiété dans le chef du défunt les jours précédant son décès.
Aux obsèques du député et ancien ministre des Transports pour le compte du parti politique de Moïse Katumbi, l’hostilité contre le pouvoir en place était d’autant plus perceptible que les organisateurs s’étaient, le plus officiellement du monde, abstenus d’y convier le moindre officiel. A la cathédrale Notre Dame du Congo, quelques heures plus tard ce mercredi 20 mars, l’atmosphère est demeurée invariablement la même. Dans cette demeure de Dieu, où le cardinal Ambongo présidait la messe des suffrages en la mémoire du défunt, Adolphe Amisi Makutano, identifié comme un proche du pouvoir en place, en a été viré sans ménagements par des militants katumbistes. Vives émotions au sein de cet antre de Dieu le Père aussi. Particulièrement, lorsque des filles du défunt montées à l’autel ont annoncé à l’assistance émue jusqu’aux larmes que «Papa jeunait tous les mercredis. Il a été tué un mercredi. Il a été torturé et affamé. En ce moment-là, c’est sûr qu’il priait».
Ambongo ne fait pas dans la dentelle
L’officiant principal du jour, le cardinal-archevêque de Kinshasa, connu pour ses sympathies envers le candidat malheureux à la dernière présidentielle en RDC, n’a pas fait dans la dentelle. «La conclusion incompréhensible à laquelle est parvenue l’enquête est la preuve suprême, s’il en était encore besoin, que la justice dans notre pays est vraiment malade. Comment, en effet, comprendre qu’un père de famille aussi attentionné que Chérubin, qui venait de marier sa fille, se soit suicidé en tirant des balles sur lui-même et sur sa voiture ?», psalmodia-t-il sous des applaudissements nourris d’une assistance qui n’en demandait pas moins. «Vos questions, vos interrogations semblent se heurter à l’indifférence totale de ceux qui ont reçu mission de protéger les personnes et de rendre justice. Vos souffrances les laissent indifférents», avait encore déclaré le cardinal Ambongo, peu avant que le cortège funéraire ne s’ébranle vers la Nécropole ‘‘Entre ciel et terre’’ dans la commune périphérique de Nsele à Kinshasa.
Les obsèques de Chérubin Okende relancent la polémique autour de son décès dans des conditions demeurées mystérieuses en juillet dernier. Puisque ses familles, biologiques et politiques contestent la version officielle résultant des différents rapports d’autopsie et d’expertises effectuées sur le corps du défunt et sur la scène du crime.
Jeudi 29 février 2024 à Kinshasa, le procureur général près la Cour de cassation Firmin Mvonde qui avait coordonné les enquêtes sur le décès de Chérubin Okende avait officiellement rendu publics les résultats des investigations auxquelles furent associés, à la demande diligente de la famille et du président Félix Tshisekedi, des experts belges, sud-africains, de la Mission des Nations-Unies au Congo (MONUSCO) et du Bureau conjoint des Nations-Unies aux droits de l’homme.
L’ancien député national et ministre des Transports avait «succombé à une hémorragie interne consécutive à une blessure qu’il s’était auto-infligée à la tête», selon ces expertises rapportées par la justice congolaise. Elles s’appuient sur les données recueillies sur la scène du crime (le véhicule du défunt) qui ont révélé que «la Jeep Lexus, contact à l’intérieur, moteur allumé, climatisation en marche, ne pouvait se fermer que de l’intérieur (…). S’y étaient répandues « … des éclaboussures de sang sur son siège ainsi que sur le siège avant gauche, donc le siège du passager et également au niveau du siège arrière. On a également trouvé l’arme fatale appartenant au garde du corps de l’ancien député national non pas sur le siège mais à côté de sa dépouille. On a également trouvé la douille…». D’où, selon ces constations : Chérubin Okende «… était seul dans le véhicule. Puisqu’au niveau du siège passager, il y avait sa veste et deux appareils, le tout imbibé de goutes de sang. La morpho-analyse des traces de sang a révélé que c’étaient des projections après l’impact de la balle au niveau de la tempe».
Les conclusions d’experts
Autres conclusions d’experts en balistiques cette fois-ci, la trajectoire de l’unique balle qui avait tué le député défunt «avait une ligne ascendante oblique de bas vers le haut… la trajectoire de la balle, de bas vers le haut et de la gauche vers la droite indique que le défunt a utilisé l’arme contre lui-même. Si une autre personne avait utilisé l’arme, la trajectoire ne pouvait pas être oblique, de bas vers le haut et de droite vers la gauche. Elle aurait été horizontale, ou de haut vers le bas, puisqu’il s’exerce une pression sur la tempe», avait expliqué les préposés de la justice chargés de faire la lumière sur la tragédie de la mi-juillet 2023 à Kinshasa.
La thèse de la présence de Chérubin Okende à la Cour constitutionnelle est, elle aussi, contredite par les rapports d’experts rendus publics à Kinshasa. «Par ses téléphones, Okende ne pouvait se trouver à la Cour constitutionnelle vers 16 heures puisque le retraçage du parcours grâce aux antennes de télécommunications qui avaient pris en charge son appareil téléphonique renseigne que vers 16 heures, il se trouvait plutôt du côté du Boulevard Sendwe», avait-on ainsi appris le 29 février 2024.
Ce sont toutes ces thèses que les familles biologiques et politiques de Chérubin Okende contestent, qu’ils restent à réfuter une par une et à faire éclater ce qu’ils tiennent pour vraisemblable.
La tâche semble plus difficile qu’il n’y paraît à première vue. Les avocats de la famille du défunt, qui confirment la réception officielle des pièces de l’enquête tant réclamées, l’ont confié à un cabinet international pour une analyse minutieuse, selon des sources. A Kinshasa, un membre de ce collectif renseigne que des documents importants faisant partie des dossiers feraient défaut. Notamment, l’interprétation du rapport d’autopsie par l’expert sud-africain, ou encore le rapport complet de la balistique.
A ce stade, affirmer que la partie Okende dispose d’éléments de preuves suffisants pour contredire les conclusions d’experts rendues par la Cour de cassation paraît donc pour le moins prématuré. L’opinion rd congolaise devra attendre les conclusions contradictoires d’autres experts sur les mêmes rapports, puisque Chérubin Okende inhumé, aucune nouvelle contre-expertise sur le corps ne pourra s’effectuer pour être fixé sur le mystère qui entoure encore, force est de le reconnaître, la mort de l’ancien ministre des Transports.
J.N. AVEC LE MAXIMUM