En RDC, une certaine opinion ne décolère pas contre les puissances occidentales en général, et les Etats-Unis en particulier. En l’espace de quelques jours, Kinshasa a enregistré deux manifestations de colère devant l’ambassade US dans le quartier huppé de la Gombe. Cela n’était presque jamais arrivé, les Américains ayant plutôt été toujours positivement perçus ici jusqu’il y a peu.
Seulement, les affrontements armés qui déciment les populations de l’Est du pays depuis plus d’un quart de siècle ont fini par déteindre sur cet aura des Yankees, en raison de la passivité réelle ou supposée de Washington face à une crise entretenue à dessein par Kigali, très proche des autorités des Etats-Unis.
De multiples rapports d’experts onusiens dénoncent les agressions à répétition de la RDC par l’armée rwandaise, autant que la guerre économique que Paul Kagame entretient à l’Est de la RDC au mépris des principes élémentaires du droit international mais les Etats-Unis restent quasiment de marbre et se contentent de timides exhortations. Aucune sanction, aucune condamnation de Kagame et ses phallanges. Pire, la Maison Blanche encouragerait Kinshasa à négocier sa souveraineté avec cet agresseur.
Négocier avec l’agresseur
C’est la position annoncée le 18 août 2023, Victoria Nuland, la sous-secrétaire d’Etat a.i des Etats-Unis, après un séjour en RDC pour discuter du soutien de son pays à des élections libres et équitables, à la paix et à la sécurité dans sa partie Est, à l’aide humanitaire, à la prospérité économique et aux institutions démocratiques, ainsi qu’à la bonne gouvernance. Mme Nuland a affirmé que la meilleure solution à la crise dans l’Est de la RDC était diplomatique avant d’exprimer son appréciation pour l’engagement des dirigeants régionaux à travers leur médiation dans les processus de Luanda et de Nairobi, a expliqué un communiqué de l’ambassade américaine à Kinshasa. Sur le Rwanda, pays agresseur d’un Etat membre des Nations-Unies, rien ou presque.
Pourtant, l’insécurité à l’Est de la RDC ne cesse de gagner en proportions dramatiques pour les populations civiles. Fin 2023, 2,5 millions de personnes avaient été contraintes à l’errance dans leur pays à la suite de cette guerre imposée par Kigali. Rien que pour le mois de février en cours, 45.000 Congolais inoffensifs ont à leur tour pris le chemin de l’errance dans le territoire de Masisi (Nord-Kivu) partiellement occupée, selon UNOCHA. Ces statistiques sont loin d’ébranler les USA puisque le 4 février 2024, le secrétaire d’Etat Antony Blinken avait réembouché les trompettes de la négociation comme solution à la crise née d’une agression caractérisée par le Rwanda dans ses entretiens avec le président Kényan, William Ruto, notamment. Mais pas que.
La SADC découragée
Selon des informations circulant sous cape à Kinshasa, c’est Antony Blinken qui aurait convaincu certains Etats de la SADC à ne pas intervenir aux côtés de Kinshasa dans ce conflit de l’Est rd congolais pour favoriser le dialogue entre Kinshasa et Kigali. Cela révolte l’opinion publique congolaise où des voix s’élèvent de plus en plus pour dénoncer cette approche.
La dernière de ces manifestations d’un ras-le-bol national a eu lieu mercredi 7 février 2024 lorsque des jeunes manifestants ont bravé la peur et brûlé des pneus devant l’ambassade des Etats-Unis à Kinshasa/Gombe.
Consciente de la chutte libre de la cote d’appréciation du pays de l’Oncle Sam dans une RDC alliée de longue date, la représentation diplomatique américaine au pays de Lumumba s’était fendue d’un communiqué, le 5 février 2024 au terme duquel «les Etats-Unis demeurent résolus à travailler avec les partenaires régionaux pour mettre un terme à l’escalade de violence dans l’Est de la RDC.Nous avons fermement appelés tous les groupes armées non–étatiques, y compris le M23 sanctionné par les Etats-Unis à cesser les hostilités et à déposer les armes».
Mais nombreux sont les Congolais ne croient plus en de telles exhortations qualifiées d’hypocrites et rituelles.
Exhortations rituelles
A l’ambassade américaine à Kinshasa, on est conscient que les Congolais ne sont pas dupes.
Le 6 février, l’ambassadrice Lucy Tamlin a essayé de caresser l’opinion publique locale dans le sens du poil en postant sur son compte X que «les Etats-Unis soutiennent une RDC forte, stable et pacifique et sont convaincus que la paix ne peut être obtenue que si la souveraineté et l’intégrité territoriale de la RDC sont respectées. Nous condamnons le M23, soutenu par le Rwanda, qui est sous le coup de sanctions américaines depuis 2013 et nous nous tenons aux côtés du peuple congolais en fournissant 1 millliard de dollars par an sous forme de programmes qui soutiennent l’éducation, le développement économique, la santé publique, la préservation de l’environnement et une aide humanitaire qui sauve des vies». En vain apparemment car elle a eu droit à une avalanche de répliques aigre-douces. A l’instar de celle de B. Musavuli, pour qui «la désinformation, c’est aussi affirmer que le ‘M23 est soutenu par le Rwanda’ alors que vous savez très bien que M23= armée rwandaise, cette même armée de Kagame que les USA utilisent pour mener une guerre interminable contre le Congo depuis l’administration Clinton en 1996». Ce point de vue est largement répandu au Congo, particulièrement à l’Est, dans les territoires malmenés des Kivu et de l’Ituri.
La société civile aussi
Profitant du séjour de Jean-Pierre Lacroix, secrétaire général adjoint des Nations-Unies en charge des opérations de maintien de la paix à Goma, le 6 février, les acteurs de la société civile ont clairement exprimé leur déception face au mutisme et au laxisme de la communauté internationale (occidentale) devant les tueries qui endeuillent quotidiennement les populations congolaises depuis près de trois décennies du fait du Rwanda.
Le même jour à Kinshasa, le ministre de la Communication et médias a estimé que «l’implication de certaines grandes puissances n’est pas suffisante pour contraindre le Rwanda, notamment au regard de la situation humanitaire ». Patrick Muyaya s’exprimait au cours d’un briefing de presse consacré à la situation au front dans la province du Nord-Kivu. «Lors de discussions avec des responsables américains, nous avons exprimé notre opinion selon laquelle la meilleure solution pour nos populations déplacées n’est pas seulement d’apporter une aide via l’USAID. Il est nécessaire d’utiliser davantage de leviers, car il est insuffisant de constater que malgré le soutien des Etats-Unis, la situation ne s’améliore pas significativement. Les mesures prises jusqu’à présent ne semblent pas à la hauteur du drame que nous vivons, ni des moyens dont dispose ce pays», a-t-il déclaré.
C’est donc toute la RDC qui commence à bouder l’Occident.
J.N. AVEC LE MAXIMUM