L’accalmie et l’harmonie qui semblaient présider aux rapports entre la hiérarchie de l’église catholique de la RDC et la Commission électorale nationale indépendante (CENI) semblent se fissurer. Après les coups de gueule à répétition de la Mission d’observation conjointe des églises catholiques et protestante s’est ajouté, dimanche 26 novembre 2023, une semonce sans aménités du Cardinal Fridolin Ambongo. Au cours d’une messe consacrée à la jeunesse, l’archevêque métropolitain de Kinshasa s’est fendu, comme à son habitude depuis l’accession du président de la République en place au pouvoir en 2019, d’une déclaration politique apocalyptique. «Au niveau de la CENI, nous n’avons pas de preuve qu’il y aura bel et bien élections le 20 décembre (…) même s’il y en aura, nous n’avons pas de certitude que ça va se dérouler dans les meilleures conditions de transparence (…) Cela veut dire qu’il y a risque, risque de désordres de notre pays», a-t-il déclaré à la cantonnade avant d’exhorter son audience à la prudence et à «ne pas se laisser entraîner dans les compromissions des acteurs politiques».
A quelques semaines des scrutins du 20 décembre prochain, et malgré les assurances de la CENI sur l’effectivité des élections, les propos du prélat kinois qui avait auparavant estimé que «la CENI était prise en otage par une seule tribune», ont suscité de nombreuses réactions. Parce qu’ils intervenaient quelques jours après que la mission d’observation CENCO – ECC eut reconnu la qualité et le sérieux du travail de la CENI relativement aux listes et à la cartographie électorales. Par cette annonce de l’apocalypse électoral, le primat de l’église catholique de Kinshasa contredisait sa propre mission d’observation et de déterrait une hache de guerre enterrée depuis l’échec du candidat des catholiques à accéder à la présidence de la CENI en novembre 2021. Manifestement dans l’intention de compromettre un processus qui semble tendre vers sa réussite, selon les détracteurs de ce prélat très engagé en politique.
Appels au report des élections
Il est rappelé à cet effet que jusqu’à il y a peu, des princes de l’église catholique, dont Mgr Donatien Nshole, secrétaire général et porte-parole de la CENCO, en appelaient au report des élections de décembre 2023, qu’ils subordonnent à un consensus préalable mais risqué au regard des délais constitutionnels à observer dans l’organisation de la présidentielle, particulièrement. Le fait que cela ne leur a pas été accordé paraît justifier la sortie médiatique aigre du cardinal.
Réagissant aux propos de Fridolin Ambongo, Peter Kazadi, vice-premier ministre, ministre l’Intérieur et Sécurité, a aussitôt rappelé dans un posting à chaud sur son compte X «l’aversion de@TataCardinal contre le processus électoral, interpelle sur la neutralité des observateurs électoraux de la CENCO. Les positions publiques des dirigeants de l’Eglise trahissent leur neutralité et objectivité. Laissez le peuple se choisir librement ses dirigeants».
Mardi 28 novembre, l’archevêque kinois s’est laissé aller à réagir avec sa véhémence habituelle à la critique de Peter Kazadi, lui reprochant un manque de retenue dont il ne semble pas avoir fait preuve lui-même. «En tant que responsables, nous avons le devoir de retenue. Ce que je constate, c’est ce que cela devient très grave si ce que nous observons chez les gens de la rue, qui passent leur temps à insulter et à ridiculiser les autres, se retrouve dans la bouche d’un haut responsable d’un pays, un ministre de l’Intérieur, qui est le garant de la crédibilité du processus électoral», a déclaré le cardinal.
Mercredi 29 novembre, la CENI entrait à son tour dans la danse pour condamner les propos du Cardinal Ambongo, jugés «prématurés, non fondés et comme une tentative de préparer le terrain pour la contestation et le discrédit à tout prix du processus électoral». Selon l’institution d’appui à la démocratie, les propos du prélat kinois furent rien moins qu’«inopportune, incendiaire et non constructive et de nature à démobiliser toutes les parties prenantes engagés dans le processus électoral à un stade avancé, à saboter les efforts entrepris par la CENI pour respecter les délais constitutionnels des échéances électorales, et à semer la division et la confusion».
Mission d’observation ou mission d’organisation ?
«Nos missions d’observation ont une lourde responsabilité envers la nation congolaise. La crédibilité de l’observation déterminera également la réception des résultats électoraux. Si tout se passe bien, le vainqueur aura le droit de se réjouir et le perdant sera attristé de sa défaite. Si les choses se passent ainsi, il n’y a pas de risque de tensions», a encore clamé Ambongo, et c’est peut-être là tout le problème entre les catholiques et la CENI, voire, les autorités en place en RDC. «Tout se passe comme si les catholiques plaçaient leur mission d’observation électorale sur le même pied d’égalité ou au-dessus de l’institution habilitée par les lois du pays à organiser les élections et à en proclamer les résultats», fait observer au Maximum un fidèle catholique professeur de droit de l’Université de Kinshasa.
De ce point de vue, il y a comme une tentative de hold up catholique sur les élections, du genre de celles déjà perpétrées en décembre 2018, lorsque la mission d’observation électorale de cette confession religieuse s’était autorisée à communiquer à des chancelleries occidentales des résultats partiaux indiquant que Martin Fayulu aurait gagné la présidentielle en lieu et place de Félix Tshisekedi. Sur la base d’observations partielles et non exclusives, parce qu’il y eut plusieurs missions d’observations et qu’il n’y avait aucune raison que les conclusions d’une seule d’entre elles l’emportent sur celles des autres.
Faute d’avoir été sanctionnée pour cette forfaiture, des princes de l’église catholique tiennent non seulement à récidiver mais aussi à confisquer carrément la conduite de la vie politique nationale en violation des prérogatives des institutions légalement établies.
En réalité, le cardinal Ambongo et Mgr Nshole n’ont jamais fait mystère de leurs visées quant à ce.
Faire main basse sur la CENI
Fin novembre 2021, au terme d’une session extraordinaire qui les avait réunis au Centre Caritas de Kinshasa, un groupe d’évêques catholiques flanqué de l’alors Nonce apostolique, Mgr Ettore Balestrero, avait produit un memorandum au président de la République intitulé «recommandations pastorales», expliquant qu’il s’agissait d’une «contribution positive des évêques à travers des propositions pour accompagner le processus électoral et sur l’état de siège en vigueur au Nord-Kivu et en Ituri», selon Mgr Marcel Utembi, président de la CENCO qui s’était confié à la presse. «Le processus électoral, c’est une dynamique, il y a une étape qui a déjà été franchie, il y a un temps pour tout, un temps pour réfléchir, un temps pour se quereller et un temps pour se concerter, un temps pour être réaliste, un temps pour prendre des décisions, l’important c’est d’aller de l’avant. Nous avons d’autres éléments de ce processus électoral qui nous engage l’église, l’État et d’autres partenaires comme par exemple l’éducation civique électorale, il y a aussi la mission d’observation électorale qui viendra mais il ne faut pas attendre 2023 pour en parler, ce mécanisme doit être déclenché dès aujourd’hui donc c’est cela les points autour desquels nous pouvons fédérer, mutualiser nos forces pour aller de l’avant afin de d’atteindre cet objectif qui consiste à assurer le bien–être du peuple congolais et à choisir des personnes idoines qui seront en mesure de répondre aux différents problèmes du peuple congolais», ponctuait déjà le président de la CENCO, en insistant particulièrement sur l’observation électorale.
Quasiment à contre-pied de cette déclaration conciliante du président de la CENCO, qui aurait «été saucissonnée et avait mis les évêques mal à l’aise», le 29 novembre 2021, Mgr Donatien Nshole fit savoir que l’église catholique suspendait sa participation à la composante Confessions religieuses chargée de désigner le président de la CENI pour le compte de la société civile. Tout en confirmant que «les évêques s’engagent à accompagner le processus par des orientations pastorales» portant sur les réformes de la loi électorale, particulièrement.«Si les recommandations que la CENCO a faites aux autorités compétentes sont acceptées, on pourra trouver un consensus … et si dans ce consensus on pense qu’on peut avancer avec le candidat Denis Kadima … on avancera», avait déclaré Nshole sans sourciller le 29 novembre 2021.
Conditionnalités
Aujourd’hui comme hier, pour cette phalange, c’est le consensus ou le dialogue que certains ont voulu imposer au président de la République en exercice pour élaborer illégalement des «réformes consensuelles» de la loi électorale incluant «des mécanismes qui rassurent toutes les parties prenantes. Donc si dans le cadre de ces réformes consensuelles souhaitées par la CENCO les gens sont rassurés, avec ou sans Kadima, le problème serait résolu», avait encore souligné Nshole au nom de la CENCO.
Les conditionnalités cléricales se clarifient encore mieux lorsque Donatien Nshole les résume par une expression empruntée à Martin Fayulu : la dépolitisation de la CENI (sans le consentement de tous les acteurs institutionnels congolais !). Il s’agit, selon lui, du «renforcement de l’indépendance des membres du bureau de la CENI ainsi que la désignation de personnes apolitiques dans l’administration de la CENI». Notamment, le secrétariat exécutif national (SEN), les secrétariats exécutifs provinciaux (SEP) et les antennes locales de la centrale électorale. Ces évêques catholiques dévoilaient ainsi leur ambition de faire main basse sur le processus électoral en RDC. Carrément. «Nos recommandations ont été faites pour rassurer les uns et les autres. Si toutes les parties prenantes sont rassurées, le dossier est clos», avait tranché péremptoirement, le porte-parole de l’épiscopat, relançant ainsi les hostilités en réalité.
Le dossier n’ayant jamais été clos à la satisfaction des prélats, le cardinal Fridolin Ambongo a donc pris le parti de le réouvrir brutalement le 26 novembre à Kinshasa.
J.N. AVEC LE MAXIMUM