Les rideaux sont tombés, vendredi 6 octobre 2023, sur le procès Mwangachuchu, du nom du député national et richissime exploitant minier nord-kivutien, Edouard Mwangachuchu. «La Haute Cour militaire dit établies en faits comme en droit, les infractions de détention illégale d’armes de guerre, de participation à un mouvement insurrectionnel et de trahison à charge d’Edouard Mwangachuchu. Elle le condamne ainsi à 20 ans de servitude pénale principale pour détention illégale d’armes, à la peine capitale pour participation à un mouvement insurrectionnel et à la peine capitale pour trahison», a déclaré en substance le président de la composition.
La haute cour militaire a par ailleurs condamné l’élu de Masisi à payer un montant équivalent en Francs congolais à 100 millions USD à titre de dommages et intérêts. Quant à la demande de déchéance de sa qualité de député national, la plus haute juridiction militaire de la RDC a dit ne pas disposer de cette compétence et s’en est remise à la Cour constitutionnelle.
Dans le cadre de la même affaire, la HCM a acquitté le commissaire principal de la police nationale congolaise (PNC), Robert Mushamalirwa, ancien chef de la sécurité de la société minière SBM, à Masisi (Nord-Kivu), où des armes avaient été trouvées.
Les poursuites judiciaires contre Edouard Mwangachuchu et consorts avaient été déclenchées après la découverte, par les services des renseignements, d’armes de guerre dans des locaux de la SMB à Masisi appartenant à Mwangachuchu, mais aussi dans sa résidence à Kinshasa.
La sentence prononcée vendredi dernier à la prison militaire de Ndolo n’a pas été du goût du condamné et de sa défense, naturellement. Comme s’il s’y attendait, Edouard Mwangachuchu avait zappé l’audience fatidique, préférant garder une cellule dont il n’avait cessé de se plaindre pour raisons de santé.
Pour le condamné et ses partisans, la sentence prononcée vendredi dernier fut «politiquement motivée, et fonction de son appartenance ethnique». D’autant plus que dans la région où s’exercent ses activités commerciales, divers concurrents d’Edouard Mwangachuchu entretiendraient eux aussi des milices, au nez et à la barbe des autorités. Selon l’argumentaire d’un des avocats de l’homme d’affaires, le parquet militaire n’a pas pu prouver en droit les relations présumées entre le député national nord-kivutien et la rébellion du M23.
Mercredi 11 octobre, une ONG dénommée ‘‘Fondation Rwasamanzi’’ a publié un communiqué exhortant le président Félix Tshisekedi à accorder la grâce présidentielle au député national Édouard Mwangachuchu. Elle estime trop lourde la peine lui infligée et souhaite que le chef de l’État ait de la sympathie à l’égard du condamné en raison des «services rendus par lui à la République».
Le procès Edouard Mwangachuchu, spectaculairement interpellé fin février 2023 avant d’être incarcéré à la prison militaire de Ndolo à Kinshasa, est ainsi arrivé à son terme. Après près de six mois d’instruction, la HCM s’était déclarée suffisamment éclairée, mardi 15 août 2023, ouvrant ainsi la voie aux réquisitoires, conclusions et plaidoiries des parties. Vendredi 25 août, le ministère public a requis la servitude pénale à perpétuité pour participation à un mouvement insurrectionnel, 20 ans de prison pour trahison et 5 ans pour détention illégale d’armes de guerre contre le magnat congolais du coltan. Ainsi que le paiement de 4 milliards USD au titre de dommages et intérêts. Tandis que la partie civile RDC, revendiquait des dommages et intérêts de 10 milliards USD, en plus de la déchéance de son mandat parlementaire et la fermeture de la SMB.
La désormais célèbre affaire Mwangachuchu aura ainsi tenu l’opinion publique en haleine, en raison de ses rebondissements. Dont le dernier en date, qui illustre la difficulté de la tâche confiée aux magistrats est survenu au cours de l’audience du 22 août 2023, lorsque l’officier du ministère public a requalifié une des préventions-clé portée à charge du prévenu : l’espionnage. Faute de preuves suffisantes pour l’étayer. «La prévention d’espionnage ne peut être retenue à ce stade étant donné que le test Covid-19 effectué par le prévenu au Rwanda, et qui était l’élément motivateur de l’infraction d’espionnage ne peut être considéré comme une pièce qui prouve la nationalité», avait reconnu l’auditeur militaire-officier du ministère public, la commuant ipso facto en infraction de trahison compte tenu de la nationalité congolaise de Mwangachuchu.
Les deux infractions, espionnage et trahison, comportent en effet les mêmes éléments constitutifs, mais diffèrent en ce que l’espionnage indique que son auteur est un étranger (un Rwandais dans le cas d’espèce) alors que la trahison ne peut être reproché qu’à un sujet Congolais.
Mwangachuchu, pas Rwandais !
Le roi du coltan du Nord-Kivu n’est donc pas un sujet rwandais puisqu’il n’a pas été possible de le prouver en fait et en droit. C’est tout un pan de la légende tissée autour de ce richissime homme d’affaires et du procès ouvert en fanfare début mars 2023 qui s’en allait ainsi en fumée, brouillant davantage à la fois les vérités, judiciaires et socio-politiques attendues par une certaine opinion.
Ce septuagénaire, connu notamment pour avoir dirigé le CNDP de Laurent Nkundabatware dont il fut un moment président d’honneur, n’est pas n’importe qui.
Plutôt discret, voire effacé, tout au moins à Kinshasa où il est demeuré peu connu avant son arrestation en février 2023, Edouard Mwangachuchu est loin d’être un démuni. L’homme d’affaires tutsi originaire de Masisi dans le Nord-Kivu est en effet propriétaire d’un nombre important de riches concessions minières à Rubaya où il exploite le fameux colombo-tantalite (coltan), à l’origine de tant de problèmes sécuritaires dans la région. Patron de la SMB Sarl, il règne sur d’impressionnants sites miniers près de Rubaya (Bibatama D2 et D3, Luwowo, Gakombe D4, Koyi, Mataba D2, Bundjali…) d’où sont annuellement extraites des tonnes de coltan. Des concessions qui avaient appartenu, jusqu’à la tristement célèbre «première guerre mondiale africaine» qui déstabilisa l’Est de la RDC dans les années ‘90, à la société Sakima. Avant de passer sous le contrôle successif des rebelles du RCD/Goma, du CNDP, puis du M23.
Elu sénateur il y a quelques années avant de devenir député national et président d’un groupe parlementaire, Edouard Mwangachuchu n’en a pas moins été appréhendé et placé en détention en procédure de flagrance par la haute cour militaire. Il lui était reproché d’avoir constitué des caches d’armes destinées aux terroristes du M23 dans sa concession de Rubaya (Masisi).
A l’appui de ces accusations, entre autres, d’impressionnantes vidéos présentant des individus déterrant des armes de guerre enfouis dans le sol.
Saisi, le parquet militaire avait diligenté une descente au domicile du parlementaire à Kinshasa-Gombe le 3 mars 2023, qui avait permis de mettre la main sur …. un boîtier contenant 42 cartouches de GP 9mm, une gaine de revolver, 2 matraques électriques, des ordinateurs portables, 11 clés USB, des cassettes audio, des téléphones, des caméras Sony HD et Canon. C’était suffisant pour enclencher une action judiciaire en flagrance contre le député.
Lourdes présomptions
Les charges qui pesaient sur le magnat du coltan du Kivu, que d’aucuns présentent encore aujourd’hui comme un élément clé dans le dispositif de pillage des ressources naturelles et de la déstabilisation de la RDC par le Rwanda semblaient on ne peut plus lourdes : espionnage, atteinte à la sûreté de l’Etat, participation à un mouvement insurrectionnel, association de malfaiteurs, incitation de militaires à commettre des actes contraires à la discipline et au devoir …
Mais, la toile de fond dans l’affaire Mwangachuchu, c’est quasiment l’histoire du Congo de ces dernières décennies, avec cette violence armée récurrente sur fond d’affairisme militarisé et prédateur. Dans ces conditions, rien de surprenant à ce que le principal accusé apparaisse, à première vue, comme l’incarnation des calamités qui assaillent l’Est du territoire congolais depuis près de trois décennies. D’autant plus que, du passé de cet élu national de la circonscription de Masisi en 2018, on en sait tellement peu que ses détracteurs dans une région où il ne compte pas que des amis prétendent qu’il porterait en réalité un nom d’emprunt.
Même si, selon les fiches de l’Assemblée nationale où il siégeait à la commission Ecofin, Mwangwachuchu est né le 30 septembre 1953 à Rutshuru. Des sources indépendantes rapportent qu’il fut directeur financier de la province (Région) du Nord-Kivu en 1994, année au cours de laquelle il s’est exilé aux Etats-Unis avant de retourner à Goma 4 ans plus tard, en 1998, pour se lancer dans le négoce avec des entreprises belges. Un retour qui a presque coïncidé avec l’extraordinaire ruée vers l’exploitation du coltan dans la région par des groupes interlopes, armes en bandoulière le plus souvent. Associé à un médecin américain, Robert Sussman, Mwangachuchu acquiert un permis d’exploration des sites de Rubaya pour le compte de Mwangachuchu Hizi International (MHI) en 1999, puis un permis d’exploitation en 2006 pour le compte de la SMB.
En 2013, alors qu’il est président du mouvement rebelle CNDP, Edouard Mwangachuchu signe un accord avec les mineurs artisanaux réunis au sein de la Coopérative des exploitants artisanaux miniers de Masisi (COOPERAMMA) qui leur permet d’accéder à ces concessions en échange du monopole d’achat du coltan extrait par eux. Un monopole de fait que ses co-contractants, révoltés, ne tardent pas à contourner en fourguant leurs produits à une autre entreprise œuvrant sous le couvert de la SAKIMA. Les conflits qui en résulteront se solderont par des affrontements entraînant mort d’hommes, et pas qu’une fois.
Instigateur de l’insécurité
Mwangachuchu, «c’est un lion dissimulé dans la peau d’un agneau», écrivent des confrères de la région. Difficile de les contredire, car l’homme a trop flirté avec les groupes armés pro-rwandais qui ont écumé à tour de rôle cette partie Est de la RDC en y commettant moult pillages et abus des droits de l’homme sur les populations.
Ses détracteurs le présentent comme le principal instigateur de l’insécurité dans le périmètre de Rubaya où des civils ont été massacrés à la machette et aux armes à feu en octobre 2018. Des leaders politiques locaux sont en effet cités dans ces atrocités, parmi lesquels Mwangachuchu, qui aurait été embrigadé par Vianney Kazarama, un mutin membre du M23 selon la traduction d’un message en kinyarwanda diffusé dans la presse locale à l’époque des faits. Les populations locales «ne lui reconnaissent pas le droit de propriété sur le PE 4731 acquis comme butin de guerre depuis l’an 2000», assure-t-on.
En juin 2021, un rapport du Groupe d’experts des Nations-Unies sur la RDC atteste de combats armés et de distributions d’armes dans les mines de coltan de Rubaya.
L’affaire Mwangachuchu, c’est également la révélation d’une longue chaîne de complicités impliquant des militaires, policiers et acteurs politiques du Nord-Kivu. Dans les réseaux sociaux, les dénonciations des présumés complices, traîtres et infiltrés rwandais parmi les forces de l’ordre et les services de sécurité ont circulé à profusion.
Cascade d’interpellations
Le 3 mars 2023, les renseignements militaires congolais ont ainsi interpellé Me Joseph Sanane Chiko, avocat de son état qui assure la défense des intérêts de Mwangachuchu. Il avait quelques jours auparavant, diffusé un communiqué dénonçant le pillage des installations de la SMB et la suspension des activités de l’entreprise de son client du fait de l’offensive des terroristes du M23. Mercredi 15 mars, des employés de la SMB auraient été conduits manu militari à Kinshasa pour y être entendus par la HCM au sujet du dossier impliquant leur patron.
Les dénonciations sur les réseaux sociaux révèlent en outre que des officiers généraux des FARDC et de la PNC, rétribués à raison de 12.000 USD/mois, auraient opéré des affectations de complaisance à Rubaya dans le but de faciliter l’infiltration de plus d’une centaine de Rwandais chargés de la protection des installations de la SMB.
Bémol, cependant, Edouard Mwangachuchu est aussi le président national de la Mutualité Isoko, une organisation regroupant les tutsi du Kivu se disant hostiles au militarisme débridé du régime rwandais du président Paul Kagame. La présentation de l’association en septembre 2022 au Fleuve Congo Hôtel de Kinshasa avec la participation de la fine fleur de l’intelligentsia congolaise était apparue à d’aucuns comme l’aboutissement d’un long cheminement, amorcé dès le lendemain de la conversion du CNDP en parti politique, et qui a accentué les divergences entre l’homme d’affaires et ses anciens mentors du Congo desk du ministère de la Défense rwandais à Kigali (MoD).
Antimilitariste
Aux négociations de Kampala entre la RDC et les rebelles du M23, Edouard Mwangachuchu fait partie de la délégation gouvernementale et offre même ses bons offices pour faciliter le dialogue entre les parties en présence. C’est à ce titre qu’il déclare à la presse, le 16 juillet 2012, que «le gouvernement congolais travaille très dur pour mettre fin à cette guerre, par la négociation, et je pense que si le Rwanda coopère avec le gouvernement, cette guerre prendra fin».

Selon certains observateurs, l’attaque suivie de l’occupation de Rubaya par le M23 aurait donc eu pour but principal la décapitation de l’Asbl Isoko d’Edouard Mwangachuchu, une forme de sanction contre ce qui aurait pu apparaître comme une «trahison» aux yeux de ses (anciens?) alliés.
On note à cet effet que la découverte d’armes et de munitions de guerre dans les concessions de l’élu de Masisi est intervenue à la faveur de l’occupation de Rubaya, dimanche 5 mars 2023 après deux jours d’intenses combats mettant aux prises les FARDC et la coalition RDF-M23. Elle a été suivie du pillage des installations de la SMB par cette dernière qui a quitté l’agglomération par la suite, permettant la découverte desdites caches d’armes dont les images sont devenues virales sur la toile. De ce point de vue, tout s’est passé comme si Mwangachuchu avait été lâché par Kigali et le M23 qui l’auraient ainsi quasiment livré à la justice congolaise.
Lâché par Kigali ?
Une autre version, également plausible, présente l’affaire Mwangachuchu comme révélatrice de l’animosité opposant le baron du coltan à des notables locaux, particulièrement à son adversaire bien connu, Justin Ndayishimiye, un autre député national de Masisi que l’on dit proche des creuseurs artisanaux de Rubaya et de leur coopérative. On peut rappeler à cet égard, une prise de bec entre les deux élus, le 19 mai 2022 du haut de la tribune de l’Assemblée nationale. Le député Ndayishimiye (un hutu de Masisi) avait carrément accusé son collègue d’entretenir des groupes armés et de favoriser le trafic des minerais de sang, tandis que Mwangachuchu lui reprochait d’entretenir les exploitants artisanaux dont les minerais vendus clandestinement «ne rapportent rien à l’Etat congolais». L’hypothèse d’un règlement de comptes entre leaders kivutiens sur fond de rivalités ethniques tutsi-hutu congolais n’est pas à exclure d’emblée.
J.N. AVEC LE MAXIMUM