Kigali ne semble nullement apprécier les prestations du contingent du Burundi déployées en République Démocratique du Congo dans le cadre de la force régionale de l’East African Community (EAC). Certes, les officiels rwandais se cantonnent encore dans un silence assourdissant sur la question, mais cela ne saurait durer trop longtemps, de l’avis de tous les observateurs avisés. Qui en veulent pour preuve ces propos aigres-doux entendus dernièrement dans les médias de Kigali dont on sait qu’ils sont tous proches du pouvoir.
Le 14 mai 2023, RTV, une chaîne de télévision rwandaise, avait en effet consacré son émission hebdomadaire «Ishusho Ryichumweru» aux actions de la force régionale de l’EAC en RD Congo. Parmi les intervenants à l’émission animée par le journaliste Divin Uwayo, se trouvait l’avocat rwandais, Jean-Baptiste Gaseminari, réputé pour ses flagorneries à l’égard de la principauté militaire en place au pays des milles colines depuis 1994. Il n’a pas mis de gants pour tirer à boulets rouges sur les troupes burundaises déployées essentiellement dans le territoire de Masisi au Nord- Kivu (RDC). Se présentant, on ne sait trop sur quelles bases, comme un expert ès question rd congolaises, Gaseminari a carrément accusé les troupes burundaises de fraterniser avec certains groupes armés criminels qui écument l’Est de la République Démocratique du Congo. Avant de soutenir que le fait pour le président congolais Félix Tshisekedi de n’avoir pas critiqué le travail accompli par le contingent burundais au sein de la force régionale EAC déployée en RDC est attribuable à la contribution des militaires du Burundi à la formation et au soutien à des groupes armés qui s’opposent au M23 sur le terrain au Nord- Kivu, notamment les FDLR et les maï-maï Nyatura.
C’était plus que ne pouvaient l’admettre les responsables militaires au plus haut niveau du Burundi. Dans un communiqué rendu public après cette sortie, le chef d’état-major général de l’armée burundaise a qualifié les propos diffusés par la RTV d’incendiaires et provocateurs. «L’armée burundaise a toujours effectué son travail comme il se doit et n’a jamais cohabité ou entretenu des liens avec des milices», peut-on lire dans le communiqué.
En RD Congo où l’évolution des rapports entre les troupes de l’EAC, les autorités gouvernemetales en place et les populations est suivie à la loupe, les accusations rwandaises contre le contingent burundais n’étonnent guère. Au Nord-Kivu en général et dans le Masisi en particulier où l’armée burundaise est déployée, les forces du gouvernement de Bujumbura se sont distinguées par leur ardeur et leur détermination à accomplir les tâches leur dévolues de libérer les terres conquises auparavant par les terroristes du M23 et protéger les populations civiles. De nombreux témoignages font état du fait que des centaines de têtes de bétails et d’autres biens de valeur ravis aux paysans de Masisi par la coalition RDF-M23 ont été rendus à leurs propriétaires. Dans l’espace qui leur a été échu par les responsables militaires de l’EAC, les soldats burundais font preuve d’un zèle remarquable en interdisant notamment la perception des taxes indues par les forces négatives rd congolaises ou étrangères qui aggravent l’indigence de ces pauvres populations rurales. Des accrochages entre éléments du contingent burundais et ces forces négatives ont été régulièrement rapportés au cours des dernières semaines. Pas plus tard que lundi 29 mai 2023, les troupes burundaises en collaboration avec leurs homologues des FARDC ont procédé à la restitution de plusieurs vaches pillées par des groupes dits d’autodéfense travaillant manifestement en collusion avec les éléments du M23 dans les environs de Kirolirwe.
Tout le contraire des contingents kényans et ougandais sur lesquels pèsent de sérieuses présomptions de collaboration et même de complicité avec les groupes terroristes qui écument cette partie de la RDC.
Que ces prestations des troupes du Burundi soient appréciées à leur juste valeur par les Congolais semblent déplaire profondément à certaines têtes couronnées à Kigali. Suffisamment pour faire l’objet d’émissions télévisées prime time dans un pays où la liberté d’opinion, notoirement inexistante. Les intérêts des commanditaires du M23 déterminent ainsi la nature des rapports que le gouvernement rwandais et ses porte-voix entretiennent avec les différents contingents des pays de la région Est africaine déployés en RDC. Ne trouvent grâce aux yeux des stratèges du Congo desk rwandais que ceux qui sont favorables à la politique hégémoniste et de balkanisation de l’Est du Congo inlassablement poursuivie par Kigali.
Cette lecture sélective des faits risque, selon plusieurs observateurs, de mettre un sérieux coup de frein à l’embellie qui caractérisait depuis quelques années les relations entre Bujumbura et Kigali.
On se souvient à cet égard qu’en 2015, le Burundi avait accusé Kigali d’avoir fomenté un coup d’Etat et d’héberger les auteurs de cette tentative de déstabilisation de son territoire. Les relations entre les deux pays voisins furent au plus mal jusqu’à l’accession au pouvoir du président Evariste Ndayishimiye en décembre 2021.
Le 59ème anniversaire de l’indépendance du Burundi, célébré le 1er juillet 2022 en présence du 1er ministre rwandais Edouard Ngirente avait été mis à profit pour réchauffer les relations entre les deux pays. «Il nous faut une nouvelle alliance», avait déclaré le successeur du regretté président Pierre Nkuruziza en invitant ses compatriotes à «savoir lire les signes du temps et à s’adapter».
Les dernières nouvelles n’incitent guère à l’optimisme.
LE MAXIMUM