Plutôt discret, voire effacé, tout au moins à Kinshasa où il n’est pas très connu, Edouard Mwangachuchu est loin d’être un démuni. L’homme d’affaires tutsi originaire de Masisi dans le Nord-Kivu est propriétaire de plusieurs concessions minières à Rubaya et exploite le fameux colombo-tantale (coltan) qui crée tant de problèmes dans la région. Patron de la Société minière de Bisunzu (SMB, Sarl), il règne sur d’impressionnants sites miniers près de Rubaya (Bibatama D2 et D3, Luwowo, Gakombe D4, Koyi, Mataba D2, Bundjali…) d’où sont annuellement extraits des tonnes de coltan. Des concessions qui avaient appartenu, jusqu’à la «première guerre mondiale africaine» qui déstabilisa l’Est de la RDC dans les années ‘90, à la rd congolaise Sakima. Avant de passer sous le contrôle successif du RDC/Goma, du CNDP et du M23.
Elu sénateur il y a quelques années avant de devenir député national et président d’un groupe parlementaire, Edouard Mwangachuchu n’en a pas moins été appréhendé et placé en détention sous une procédure de flagrance par la haute cour militaire. Ancien président soi-disant repenti du tristement célèbre CNDP de Laurent Nkundabatware, est accusé depuis le 28 février 2023 d’avoir constitué des caches d’armes dans sa concession de Rubaya (Masisi). Elles seraient destinées aux terroristes du M23 avec lesquels il aurait gardé des relations suivies, rapporte-t-on.
Saisie, le parquet militaire a diligenté une descente au domicile du parlementaire à Kinshasa-Gombe le 3 mars 2023. Les fins limiers de l’auditorat général des FARDC ont mis la main sur un boitier contenant 42 cartouches de GP 9mm, une gaine de revolver, 2 matraques électriques, des ordinateurs portables, 11 clés USB, des cassettes audio, des téléphones, des caméras Sony HD et Canon. Suffisant pour enclencher une action en flagrance contre le député. Edouard Mwangachuchu qui, conduit sous bonne escorte à la prison centrale de Makala, y est toujours détenu.
Lourdes charges
Les charges qui pèsent sur le magnat du coltan du Kivu, que d’aucuns présentent comme un élément clé dans le dispositif de pillage des ressources naturelles et de la déstabilisation de la RDC par le Rwanda sont on ne peut plus lourdes : trahison, atteinte à la sûreté de l’Etat, participation à un mouvement insurrectionnel, association de malfaiteurs, incitation de militaires à commettre des actes contraires à la discipline et au devoir … Aux côtés du baron du coltan comparait également un certain Robert Mushamaliwa Balike, gardien de sa concession à Rubaya.
Mardi 7 mars, la haute cour militaire s’est penchée sur l’examen du dossier de l’instruction du point de vue de la forme. Dans un mémoire soumis à la cour, les défenseurs de Mwangachuchu ayant soulevé un certain nombre d’exceptions se rapportant notamment à la procédure de flagrance s’agissant d’un député couvert par les immunités parlementaires, l’incompétence de la haute cour militaire compte tenu de cette qualité de l’accusé, justiciable devant la seule cour de cassation.
Mardi 14 mars, la haute cour militaire a rejeté ces exceptions et s’est déclarée compétente pour juger l’affaire avant de commettre le parquet militaire aux fins d’examiner les objets saisis au Nord-Kivu et à Kinshasa. Edouard Mwangachuchu reste donc maintenu en détention à Makala, tout au moins jusqu’au 21 mars 2023, date de la prochaine audience qui consistera en l’instruction de l’affaire quant au fond.
Le fond de l’affaire
Le fond dans l’affaire Mwangachuchu, c’est quasiment l’histoire de la RDC de ces dernières décennies, avec cette violence armée récurrente sur fond d’affairisme militarisé et prédateur. Dans ces conditions, rien de surprenant que le principal accusé apparaisse, à première vue, comme une incarnation des calamités qui assaillent l’Est du territoire congolais depuis près de trois décennies. D’autant plus que, du passé de cet élu national de la circonscription de Masisi en 2018, on en sait tellement peu que ses détracteurs dans une région où il ne compte pas que d’amis prétendent qu’il porterait en réalité un nom d’emprunt.
Cependant, selon les fiches de l’Assemblée nationale où le député siège dans la commission Ecofin, Mwangwachuchu Hizi est né le 30 septembre 1953 à Rutshuru. Des sources indépendantes rapportent qu’il fut directeur financier de la province (Région) du Nord-Kivu en 1994, année au cours de laquelle il s’est exilé aux Etats-Unis avant de retourner à Goma 4 ans plus tard, en 1998, pour se lancer dans le négoce avec des entreprises belges. Un retour qui a coïncidé presque avec l’extraordinaire ruée vers l’exploitation du coltan dans la région par des groupes interlopes, armes en bandoulière le plus souvent. Associé à un médecin américain, Robert Sussman, Mwangachuchu acquiert un permis d’exploration des sites de Rubaya pour le compte de Mwangachuchu Hizi International (MHI)en 1999, puis un permis d’exploitation en 2006 pour le compte de la SMB. En 2013, alors qu’il est président de la rébellion du CNDP, Edouard Mwangachuchu signe un accord avec les mineurs artisanaux réunis au sein de la Coopérative des exploitants artisanaux miniers de Masisi (COOPERAMMA) qui leur permet d’accéder à ses concessions en échange du monopole d’achat du coltan extrait par eux. Un monopole de fait que ses co-contractants, révoltés, ne tardent pas à contourner en fourguant leurs produits à une autre entreprise œuvrant sous le couvert de la SAKIMA. Les conflits qui en résulteront se solderont par des affrontements entraînant mort d’hommes, et pas qu’une seule fois.
Instigateur de l’insécurité
Mwangachuchu, «c’est un lion dissimulé dans la peau d’un agneau», écrivent des confrères de la région. Difficile de les contredire, car l’homme a trop flirté avec les groupes armés qui ont écumé à tour de rôle la partie Est de la RDC en y comettant moult pillages et abus des droits de l’homme sur les populations de Masisi.
Ses détracteurs le présentent comme le principal instigateur de l’insécurité sur le périmètre de Rubaya où des civils sont massacrés à la machette et aux armes à feu en octobre 2018. Des leaders politiques locaux sont en effet cités dans ces atrocités, dont Mwangachuchu, qui aurait été embrigadé par Vianney Kazarama, un leader du M23 selon la traduction d’un message en kinyarwanda diffusé dans la presse locale à l’époque des faits. Les populations locales «ne lui reconnaissent pas le droit de propriété sur le PE 4731 acquis comme butin de guerre depuis 2000», assure-t-on. En juin 2021, un rapport du Groupe d’experts des Nations-Unies sur la RDC fait atteste de combats armés et de distributions d’armes dans les mines de coltan de Rubaya.
L’affaire Mwangachuchu, c’est également la révélation d’une longue chaîne de complicités impliquant des militaires, policiers et acteurs politiques du Nord-Kivu. Dans les réseaux sociaux, les dénonciations des présumés complices, traîtres et infiltrés rwandais parmi les forces de l’ordre et les services de sécurité circulent à profusion. Les magistrats de la haute cour militaire qui ont la charge de séparer le bon grain de l’ivraie ne s’ennuieront pas. Et les arrestations dans le cadre de cette affaire aux multiples ramifications se poursuivent.
Cascade d’interpellations
Le 3 mars 2023, les renseignements militaires congolais ont ainsi interpellé Me Joseph Sanane Chiko, avocat de son état et bâtonnier honoraire qui assure la défense des intérêts de Mwangachuchu. Il avait quelques jours auparavant, diffusé un communiqué dénonçant le pillage des installations de la SMB et la suspension des activités de l’entreprise de son client du fait de l’offensive des terroristes du M23. Mercredi 15 mars, des employés de la SMB auraient été conduits manu militari à Kinshasa pour y être entendus par la haute cour militaire au sujet du dossier impliquant leur patron.
Les dénonciations sur les réseaux sociaux révèlent en outre que des officiers généraux de l’armée et de la police, rétribués à raison de 12.000 Usd/mois, auraient opéré des affectations de complaisance à Rubaya pour faciliter l’infiltration de plus d’une centaine de Rwandais chargés de la protection des installations de la SMB.
Bémol, cependant. Edouard Mwangachuchu est aussi le président national de la Mutualité Isoko, une organisation regroupant les tutsi du Kivu se disant hostiles au militarisme débridé du régime rwandais du président Paul Kagame. La présentation de l’association en septembre 2022 au Fleuve Congo Hôtel de Kinshasa avec la participation de la fine fleur de l’intelligentsia congolaise était apparu à d’aucuns comme l’aboutissement d’un long cheminement, amorcé au lendemain de la conversion du CNDP en parti politique, et qui a accentué les divergences entre l’homme d’affaires et ses anciens mentors du Congo desk du ministère de la Défense rwandais à Kigali.
Antimilitariste
Aux négociations de Kampala entre la RDC et les rebelles du M23 conduits par Roger Lumbala, Edouard Mwangachuchu fait partie de la délégation gouvernementale et offre même ses bons offices pour faciliter le dialogue entre les parties en présence. C’est à ce titre qu’il déclare à la presse, le 16 juillet 2012, que «le gouvernement congolais travaille très dur pour mettre fin à cette guerre, par la négociation, et je pense que si le Rwanda coopère avec le gouvernement, cette guerre prendra fin».
Selon certains observateurs, l’attaque suivie de l’occupation de Rubaya par le M23 aurait donc eu pour but principal la décapitation de l’Asbl Isoko d’Edouard Mwangachuchu, une forme de sanction contre ce qui aurait pu apparaître comme une trahison aux yeux de ses (anciens?) alliés.

On note à cet effet que la découverte d’armes et de munitions de guerre dans les concessions appartenant à l’élu de Masisi est intervenue à la faveur de l’occupation de Rubaya, dimanche 5 mars 2023 après deux jours d’intenses combats mettant aux prises les FARDC et la coalition RDF-M23. Elle a été suivie du pillage des installations de la SMB par cette dernière qui a quitté l’agglomération par la suite, permettant la découverte desdites caches d’armes dont les images sont devenues virales sur la toile. De ce point de vue, tout se passe comme si Mwangachuchu avait été lâché par Kigali et le M23 qui l’auraient ainsi quasiment livré aux autorités congolaises.
Lâché par Kigali ?
Une autre version, également plausible, présente l’affaire Mwangachuchu comme révélatrice de l’animosité opposant le baron du coltan à des notables locaux, particulièrement à son adversaire bien connu, Justin Ndayishimiye, un autre député national de Masisi que l’on dit proche des creuseurs artisanaux de Rubaya et de leur coopérative. On peut rappeler à cet égard, une prise de bec entre les deux élus, le 19 mai 2022 à l’Assemblée nationale au cours de laquelle le député Ndayishimiye (un hutu de Masisi) a carrément accusé son collègue d’entretenir des groupes armés et de favoriser le trafic des minerais de sang, tandis que son collègue Mwangachuchu lui reprochait d’entretenir les exploitants artisanaux dont les minerais vendus clandestinement «ne rapportent rien à l’Etat congolais». L’hypothèse d’un règlement de comptes sur fond de rivalités ethniques tutsi-hutu congolais n’est pas à exclure à première vue.
Dans l’affaire Mwangachuchu, les magistrats de la haute cour militaire auront du pain sur la planche.
J.N. AVEC LE MAXIMUM