Sa visite demeurera inscrite dans les mémoires congolaises, autant que celle d’un de ses prédécesseurs à l’Elysée, Nicolas Sarkozy qui, revenant de Kigali en 2009, s’était fendu d’une «initiative de paix» impliquant le ‘‘partage’’ des richesses de la RDC avec le voisin rwandais. 14 ans après cet épisode justifiant la sanglante déstabilisation du pays de Lumumba par le Rwanda qui continue à contraindre à l’errance dans leur propre pays d’inombrables populations civiles, Emmanuel Macron est venu en remettre une couche.
Arrivé à Kinshasa vendredi 3 mars dans la nuit, après avoir séjourné en Angola, au Gabon et au Congo-Brazzaville voisin dont il a caressé dans le sens du poil les dirigeants, particulièrement les deux derniers, alliés de longue date de l’Hexagone, le n° 1 français a fait des déclarations qui laissent un goût de cendre amère à d’aucuns.
A la faveur du «One Forest Summit» qui se tenait au Gabon, Emmanuel Macron avait fait sensation en promettant de mobiliser environ 65,5 milliards FCFA, soit 104.439.920 USD pour la préservation des forêts du Bassin du Congo. En Angola, un gros producteur de pétrole en Afrique qui attire nombre d’entreprises françaises du secteur, il a plaidé pour un renforcement de la coopération et des échanges économiques, notamment dans le secteur agricole. A l’escale de Brazzaville, brève et discrète, on n’a eu droit qu’à des envolées liryques célébrant la France libre de 1945. Même si les compatriotes du président Sassou Nguesso attendaient le président français sur le déficit démocratique qui y est déploré.
Attendu de pied ferme
C’est donc à Kinshasa, en RDC, qu’Emmanuel Macron était attendu par l’Afrique et le Monde. Il ne s’y trompait guère, puisque le 28 février 2023, il avait cru bon de préparer les esprits en évoquant la nouvelle politique de la France en Afrique dans un long discours. «Le temps passé sur le continent africain est irremplaçable. J’y ai effectué dix-sept déplacements, été accueilli dans vingt-et-un pays. Du Shrine de Lagos aux églises de Lalibela, sans compter les multiples entretiens menés avec nos partenaires africains à Paris et à travers le monde. Je n’en retirerai aucune considération générale, car une réalité unique africaine n’existe que dans bon nombre de schémas simplificateurs. J’en retirerai une seule exigence, celle de faire preuve d’une profonde humilité face à ce qui se joue sur le continent africain», l’avait-on notamment entendu dire.
Au sujet de la démocratie dans le continent noir dont on sait qu’elle est censée préoccuper tout locataire de l’Elysée, le président français en a exposé une version séduisante à souhait. «Notre intérêt, c’est d’abord la démocratie. La France est un pays qui soutient, en Afrique comme ailleurs, la démocratie et la liberté. Un pays qui parle à tout le monde, y compris aux opposants politiques. Un pays qui préfère les institutions solides aux hommes providentiels. Un pays qui considère que les putschs militaires ne seront jamais des alternances démocratiques. Et, comme le rappellent nombre d’intellectuels africains, la démocratie a également une genèse africaine. Aussi, notre rôle n’est pas d’imposer nos valeurs ou de les proclamer, mais de contribuer à ce que des réseaux d’intellectuels et d’acteurs civiques la fassent vivre en s’inspirant des pratiques démocratiques de leur société», avait-il proclamé.
Dans la pratique cependant, il n’en a rien été à Kinshasa où le président français est resté jusqu’au 5 mars 2023, clôturant son séjour par un bain de foule – le seul de tout son périple africain – manifestement bien orchestré.
Soupçonné de rouler pour Kigali
L’opinion publique congolaise et africaine attendait fermement l’illustre visiteur au sujet des agressions récurrentes perpétrées par ses voisins, essentiellement rwandais, lesquelles ont donné lieu à un drame humanitaire indicible dans ce sous-continent subsaharien où la France est fortement soupçonnée de rouler pour Kigali.
Réagissant aux propos de Macron selon lesquels «l’unité, la souveraineté et l’intégrité territoriale de la RDC ne se discutent pas», le ministre des Affaires étrangères de la RDC, Christophe Lutundula, a exprimé sans doute ce que la plupart de ses compatriotes pensaient en déclarant sur France 24 que le discours du président français … «ne suffit pas du tout»; et que «Macron pouvait faire mieux».
Mercredi 1er mars, des kinois mobilisés par quelques mouvements citoyens indignés avaient manifesté devant l’ambassade de France à Kinshasa, scandant des slogans hostiles au locataire de l’Elysée et brandissant des drapeaux russes pour dénoncer le soutien de la France au Rwanda. Mais rien n’y a fait. En moins de deux heures, samedi 4 mars 2023, Emmanuel Macron a tout gâché. Accueilli au Palais de la Nation à 10 h 10’ par son homologue Félix-Antoine Tshisekedi, le président a, après un tête-à-tête avec son hôte, ponctué par la signature d’une convention entre le gouvernement congolais et l’Agence française de développement (AFD), eu des mots révélant que la mort de la Françafrique annoncé bruyamment à Paris n’était en réalité qu’une vue de l’esprit.
C’est au cours de la conférence de presse conjointe des deux chefs d’Etat que les Romains se sont empoignés, au propre comme au figuré. Force est de constater que l’initiative des propos aigres-doux provenait du visiteur français qui a mis visiblement mal à l’aise son hôte congolais.
Chasser le naturel …
En réponse à la question prévisible d’une journaliste sur l’agression de la RDC par le Rwanda sous couvert du M23, Emmanuel Macron s’est vautré dans une posture paternaliste, à la limite de l’infatilisation que les Africains abhorrent de plus en plus. «J’ai été très clair sur la condamnation du M23 et ceux qui le soutiennent. Je ne peux pas être plus clair que ça. Parler d’agression, on l’a fait, par des groupes qui sont d’ailleurs des groupes incluant aussi des Congolais», avait laconiquement déclaré le président français. Avant de décréter, pince-sans-rire que «depuis 1994, ce n’est pas la faute de la France et, pardon de le dire dans des termes aussi crus, vous n’avez pas été capables de restaurer la souveraineté de votre pays. C’est aussi une réalité. Il ne faut pas chercher des coupables à l’extérieur». Le chef de l’Etat français ne s’est pas arrêté en si bon chemin puisqu’il a poursuivi sur sa lancée en exposant ce qui, de son point de vue, explique, et justifie, l’enlisement de la situation sécuritaire en RDC. «On est dans cette situation qui a conduit à des drames absolus, à cette deuxième guerre avec des millions de morts qu’on ne doit pas oublier, à la nécessité aussi, ce qui est une responsabilité qui doit se faire ici et pas à la France de le faire, de mettre en place une justice transitionnelle qui est la clé pour celles et ceux qui parfois ont tué soient jugés. Et parfois, ils évoluent encore, ils sont là et ont même des responsabilités. Comment voulez-vous qu’une paix durable et de la confiance dans un pays quand la justice n’est pas placée ? N’accusez pas la France pour quelque chose qui dépend de vous», a expliqué doctement Macron.
C’en était trop de la part du chef de l’Etat français qui faisait état, moins d’une semaine plus tôt, de la nécessité de «faire preuve d’une profonde humilité face à ce qui se joue sur le continent africain». Assez, en tout cas, pour que son hôte et interlocuteur, Félix Tshisekedi, se départisse de sa réserve et lui rappelle l’obligation de considérer les Africains «comme des vrais partenaires et non pas toujours avec un regard paternaliste, avec l’idée toujours de savoir ce qu’il faut pour eux».
Macron a tout compromis
La plupart des observateurs sont unanimes sur le sujet : venu en Afrique pour tenter de contrer l’influence chinoise et russe et redorer le blason plus que terni de la France sur le continent, Emmanuel Macron a tout compromis le 4 mars 2023 à Kinshasa. En essayant maladroitement d’occulter les causes réelles de la tragédie qui sévit en RDC depuis 1994 et qui, faut-il le rappeler, remonte à la célèbre opération turquoise de l’armée française selon toutes les études sur la question. Autre maladresse, la tentative laborieuse de banaliser le rôle joué par le régime en place à Kigali qui n’a eu de cesse de tuer et piller des ressources naturelles en RDC depuis près de trois décennies. On ne pouvait pas mieux faire insulte aux Congolais. «C’est votre faute, pas celle du Rwanda. Parce que vous n’avez pas été capable de défendre votre intégrité territoriale», a soutenu un Emmanuel Macron plus révionniste que jamais.
C’est une nouvelle théorie des relations internationales que cet hôte indélicat du gouvernement congolais a mis sur la sellette. Celle selon laquelle «un agresseur est innocent dès lors que sa victime ne sait pas se défendre». Les Congolais estomaqués apprenaient ainsi que la France, si éprise des libertés, si remontée contre la Russie, auteure d’une agression similaire en Ukraine, championne des droits de l’homme et de la démocratie, décernait un véritable brevet d’encouragement à l’invasion d’un Etat par un autre Etat en plein 21ème siècle.
Les raisons de ces contorsions françaises ne sont pas à chercher bien loin. Début décembre dernier, Paris a fait des pieds et des mains pour obtenir le financement par l’Union européenne de l’armée rwandaise à laquelle un montant de 20 millions d’Euros a été décaissé dans le cadre de la Facilité européenne pour la paix (FEP) pour l’aider à poursuivre le déploiement de ses troupes au Mozambique où de gros intérêts gaziers impliquant des entreprises françaises sont en jeu.
Ce n’est plus qu’un secret de polichinelle : Kigali est devenu une pièce maîtresse de la stratégie française dans la région des Grands lacs. Des soldats rwandais sont envoyés comme casques bleus en Centrafrique, au Sud-Soudan et au Mozambique et il est de plus en plus question qu’ils remplacent les forces françaises, assurent des sources bien renseignées. Dans ces conditions, il n’est pas question de vexer ce bras armé de l’Hexagone sur le continent fut-ce au prix des millions de morts et de déplacés en RDC. «Tout se passe comme à l’époque où le 1er ministre français Edouard Daladier qui ne voulait pas indisposer un certain Adolf Hitler après l’invasion de l’Autriche par l’Allemagne nazie en 1939. Macron apparaît donc à cet égard comme le Daladier des Grands Lacs» conclut C. Kabuya, un internaute congolais.
Justice transitionnelle pour qui ?
La nécessité d’instaurer la justice transitionnelle pour sanctionner ceux des Congolais qui se seraient compromis dans des crimes commis dans leur pays et ainsi mettre un terme à l’impunité, proposée par le président français, apparaît, elle aussi comme un cadeau empoisonné. Certes, il est important d’actionner les leviers de la justice pour à la fois dissuader et rassurer les Congolais et prévenir la commission d’autres crimes du genre. Néanmoins, présentée comme la solution ultime pour mettre un terme aux crimes d’envergure commis à travers les violences armées des trente dernières années en RDC, elle devient susceptible de mettre sous le boisseau les responsabilités externes qui sont centrales dans les conflagrations qui endeuillent le pays de Lumumba depuis 1994. Après s’être refusé à reconnaître la responsabilité de ses alliés rwandais dans les drames de l’Est de la RDC, que Macron se fasse le défenseur de procédures de réparation limitées à l’intérieur du territoire national tend à réduire le champ de la répression des crimes de guerre et contre l’humanité au menu fretin congolais dont on sait qu’il n’a servi que d’instrument à des puissances étrangères au premier rang desquelles se situe notamment le Rwanda. De même qu’en recevant subrepticement le Prix Nobel de la paix et néo-opposant congolais Denis Mukwege à Kinshasa, Emmanuel Macron a renforcé la conviction de ceux, de plus en plus nombreux en RDC, qui estiment que le «sauveur des femmes» auréolé d’une inflation de distinctions honorifiques est sollicité par les occidentaux pour crédibiliser la stratégie consistant à occulter la responsabilité des vrais fauteurs de l’hécatombe congolaise.
Aide humanitaire pour Kigali ?
Certes, le chef de l’Etat français a promis une aide humanitaire de 34 millions d’Euros dans le cadre de l’initiative européenne d’un pont humanitaire aérien vers Goma. Dans le chef-lieu du Nord-Kivu et alentours, la situation des milliers de déplacés par la guerre imposée à la RDC par la coalition RDF-M23 n’est guère enviable et un tel pont aérien soulagera énormément. Mais provisoirement. Car dans le fond, on note qu’à la différence du Rwanda agresseur, soutenu militairement, la RDC n’obtient du partenaire français qu’une aide humanitaire, destinée tout compte fait, à stabiliser la déstabilisation du pays par les troupes rwandaises et leurs supplétifs en améliorant les conditions de vie des déplacés dans des camps insalubres sans contribuer à leur retour sur leurs terres, désormais occupées par des populations étrangères. De ce point de vue, l’aide humanitaire de l’Union européenne peut être considérée comme concourant indirectement aux objectifs de dépeuplement des territoires occupés poursuivis par les terroristes soutenus par Kigali. «C’est une stratégie d’affaiblissement de l’autorité de l’Etat dans une zone fragilisée par l’ennemi», s’insurge dans un tweet R. Walo, un autre internaute congolais.
Comme quoi, entre les bonnes intentions proclamées du haut de diverses tribunes occidentales et la pratique sur le terrain en Afrique, le fossé demeure, infranchissable. Macron n’a nullement contribué à démentir la tendance.
JN