Un nouveau rapport de Human Rights Watch (HRW) révèle l’ampleur des crimes commis par les terroristes de la coalition RDF-M23 à Kishishe en novembre 2022. Le village de Kishishe se situe dans une région majoritairement hutue de la chefferie de Bwito, au Nord-Ouest du territoire de Rutshuru. Après s’être emparé de Rutshuru-Centre et de Kiwanja au mois d’octobre, les assaillants ont progressé vers le Bwito en novembre, commettant diverses atrocités sur leur passage, rapporte HRW, sur pied de témoignages des membres des familles locales. Les noms de 22 civils sommairement abattus à Kishishe le 29 novembre (20 hommes et 2 adolescents) sont ainsi confirmés. Les enquêteurs ont identifié 10 autres civils tués ce jour-là. Selon les habitants, les éléments rwandais et du M23 avaient fait incursion une première fois dans Kishishe le 23 novembre.
Ils sont restés deux jours dans le village après des combats contre les FARDC. Le 23 novembre, ils ont exécuté en dehors de Kishishe quelques sept civils qui rentraient de leurs champs avant de se diriger vers les zones voisines contrôlées par les FDLR.
Entre deux feux
Plusieurs habitants ont confirmé que le 28 novembre, des combattants Maï-Maï Mazembe, une faction Nyatura, appuyés par des FDLR rwandais sont entrés dans Kishishe. Ils étaient en tenue civile et armés essentiellement de machettes et de houes. «Les gens ont eu peur et beaucoup ont fui», raconte un villageois. «Nous les avons suppliés de s’en aller de peur que les forces rwandaises et le M23 ne s’en prennent à nous», a expliqué un autre habitant. «Les gens ont commencé à fuir en disant que ces [combattants] viennent pour nous faire tuer. Nous n’avons rien à voir dans leur conflit au Rwanda».
Tôt dans la matinée du 29 novembre, des éléments de la coalition RDF-M23 en uniformes militaires, équipés de gilets pare-balles et d’armes à feu, sont à nouveau arrivés à Kishishe, d’où ils ont repoussé les miliciens. Le chef Maï-Maï surnommé «Pondu» a été tué au cours des combats avec plusieurs autres. Après les affrontements, les troupes du Rwanda et du M23 ont fait du porte-à-porte à la recherche des combattants Maï-Maï ou FDLR.
Un homme de 45 ans raconte qu’il était caché sous un lit lorsqu’une patrouille rwandaise est entrée dans sa maison, ordonnant à tous les hommes de sortir. Deux villageois qui avaient trouvé refuge dans la maison sont sortis. «Ils ont demandé s’il y avait d’autres hommes dans la maison, mais ma femme a dit que j’étais déjà parti», a-t-il poursuivi. «C’est alors qu’ils les ont abattus tous les deux, là dehors, devant la porte de ma maison», indique l’homme qui précise qu’en s’échappant vers la forêt, il a vu cinq autres corps sans vie.
Ils sont revenus
Un homme de 21 ans explique que quatre éléments RDF-M23 l’ont enlevé chez lui lorsqu’ils sont arrivés à Kishishe pour la première fois le 23 novembre et l’ont forcé à transporter des approvisionnements et des munitions. Quand ils ont rejoint les autres combattants à l’extérieur du village, a-t-il poursuivi, il y avait environ 30 autres jeunes gens également réquisitionnés comme porteurs. «Ces assaillants étaient revenus à Kishishe le 29 novembre pour affronter les miliciens congolais et FDLR qui s’y trouvaient. Après les combats, ceux qui avaient été recrutés de force ont été divisés en trois groupes pour enterrer les morts. Le premier jour [le 29 novembre], nous avions enterré 18 personnes, dont mon père et mon frère», explique-t-il. «Nous les avons enterrés dans une fosse commune avec trois autres personnes que je ne connais pas. Il y avait des gens dont que je connaissais le visage mais pas le nom, et d’autres que je ne connais pas», précise-t-il avant d’ajouter qu’il avait vu au moins trois corps de combattants Maï-Maï avec des couteaux et une machette gisant à leurs côtés. Le 30 novembre, lui et d’autres ont enterré 11 hommes, 4 enfants et une femme qui avaient tous été abattus derrière l’église. «Nous n’avons creusé une seule fosse et les avons tous enterrés là», dit-il.
Une femme de 30 ans indique pour sa part qu’elle et ses enfants venaient d’arriver dans la maison de son père lorsqu’ils ont entendu des coups de feu tôt le 29 novembre. «Mon père hébergeait six hommes et leurs femmes qui avaient fui les combats dans les environs la semaine précédente. Plus tard dans la matinée, les Rwandais et les M23 sont arrivés à la maison. Ils étaient nombreux et j’avais très peur. Ils nous ont ordonné d’ouvrir la porte. Je suis allée ouvrir et ils ont dit que tous les hommes dans la maison devaient sortir immédiatement. Tous sont sortis et ont été aussitôt tués par balles. Trois sont morts sur place et trois autres ont été achevés un peu plus loin», déclare-t-elle.

Selon les autorités gouvernementales congolaises, près de 300 personnes ont été tuées à Kishishe par la coalition RDF-M23, tandis que la Monusco avance le chiffre de 131 victimes civiles.
Autres meurtres et abus
Ailleurs dans le territoire de Rutshuru, Human Rights Watch confirme les meurtres d’au moins 13 autres civils par les RDF-M23 en octobre et novembre.
Le 28 octobre, près de Rugari, des rebelles du M23 ont ouvert le feu sur un bus et deux motos transportant des civils qui fuyaient les combats. Sur son lit d’hôpital, une femme de 35 ans raconte qu’elle et quatre de ses enfants étaient sur une moto, tandis que ses deux autres enfants étaient sur une autre. «Ma fille de 17 ans avait été tuée et mon fils de 14 ans avait été blessé. Deux autres enfants, âgés de 5 et 7 ans, ont été tués au cours de l’attaque», selon elle.
Quatre hommes, âgés de 22 à 26 ans déclarent que les assaillants RDF-M23 les avaient contraints de transporter de lourds paquetages d’approvisionnements et de munitions et d’effectuer diverses corvées dans leurs bivouacs et à participer aux combats. Ils indiquent qu’ils se sont retrouvés avec plusieurs dizaines d’autres jeunes qui avaient également été recrutés de force, dont certains ont été amenés du Rwanda. «Ils nous donnaient des coups de fouet et nous demandaient d’aller en éclaireurs pour localiser les positions adverses [des militaires congolais]», explique un homme de 25 ans. «Nous étions pieds nus. Ils nous frappaient et nous laissaient dehors quand il pleuvait. Cela a duré deux mois pour moi». Il s’est échappé une nuit alors que les assaillants étaient aux prises avec les troupes gouvernementales.
Un homme de 26 ans raconte : «Après un mois, ils nous ont emmenés à Chanzu [en RD Congo, près des frontières du Rwanda et de l’Ouganda]. J’ai constaté que c’est là que se trouvait leur QG, parce que c’est là qu’ils organisaient les combats. On y voyait beaucoup de combattants. Leur nombre était impressionnant. Tous les combattants passaient par là, même les recrues attendant d’être envoyées sur la ligne de front. J’ai vu au moins cinquante jeunes arrivés du Rwanda alors que j’étais là. Ils avaient traversé par la forêt. Après une semaine de formation, ils ont été dotés d’armes et on les a envoyés combattre».
Le 21 novembre, des éléments RDF-M23 ont traversé Butare où ils ont forcé 10 hommes à transporter leurs biens, alors qu’ils se rendaient à Bambo, près de Kishishe. Le lendemain, les corps de sept d’entre eux étaient retrouvés à Mburamazi, juste à l’extérieur de Bambo. Le frère d’une victime raconte : «Nous étions allés avec quatre autres proches des victimes pour prendre les corps et les avons enterrés sur place». Trois autres corps ont été découverts trois jours plus tard, selon des groupes de la société civile locale.
Le 26 novembre, les assaillants ont tué au moins trois civils quand ils ont ouvert le feu près du marché de Kisharo alors qu’ils poursuivaient des miliciens Maï-Maï congolais. Human Rights Watch a reçu des informations crédibles indiquant que trois autres civils ont également été tués ce jour-là.
Dans une déclaration envoyée à Human Rights Watch le 27 janvier, le porte-parole du M23, Lawrence Kanyuka rejette ces conclusions et dément que son mouvement ait exécuté des civils ou recruté des hommes de force pour combattre. Il ajoute que le M23 peut «recourir aux civils pour transporter la nourriture des militaires, moyennant payement tel que convenu».
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