C’est l’ingérence à visage nu. A quelques mois du scrutin présidentiel de 2023 prévu en décembre prochain, les électeurs congolais sont plus sollicités de toutes parts. Outre les impétrants plus ou moins crédibles au Top Job qui envahissent les ondes des radios, les écrans télévisuels, les colonnes des journaux ou les sites des réseaux sociaux, les suprématistes qui, à partir de l’hémisphère Nord de la planète, s’évertuent à s’arroger un droit de regard sur l’ancienne juteuse possession tropicale de Léopold II,multipliant les arguties et les pressions en faveur de l’un ou l’autre prétendant. A l’instar de celles qui poussent, depuis plusieurs mois, le docteur Denis Mukwege, Prix Nobel de la paix 2018, à sortir du bois pour prendre en mains le destin de ses 100 millions de compatriotes. La dernière de ces pressions-suggestions attire particulièrement l’attention, parce qu’elle vient de la France, un pays européen qui, en principe, n’a rien à voir dans cette exercice purement domestique de souveraineté auquel les Congolais se préparent fiévreusement depuis quelques semaines.
Invité sur la chaîne publique de l’Hexagone France24, pour une lecture scientifique des événements dramatiques qui secouent le pays de Lumumba, victime d’une insécurité récurrente depuis près de trois décennies, le géo politologue Pascal Boniface, fondateur et directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), a déclaré péremptoirement qu’il n’y aurait pas de paix durable en RDC si le Dr. Denis Mukwege n’était pas candidat à la présidentielle 2023.
Pour cet ancien parlementaire socialiste, par ailleurs conseiller de deux principaux ministres de François Mitterrand, Jean-Pierre Chevènement (Armées) et Pierre Joxe (Intérieur), l’équation sécuritaire embrouillée à laquelle se trouve confrontée la sous-région africaine des grands lacs se résumerait au fait que l’excellent gynécologue de l’hôpital de Panzi ne trône pas à la tête de a République Démocratique du Congo.
Si cette sortie médiatique a de quoi réjouir ceux des Congolais qui souhaitent voir le Dr. Mukwege postuler à la présidence, nombreux d’autres y voient une intrusion occidentale inacceptable, véritable survivance anachronique d’une certaine Françafrique toujours prompte à vouloir se substituer à une Afrique périphérique et à faire le ménage en lieu et place des Africains jugés incapables de savoir où se situent exactement leurs intérêts.
Ce n’est plus qu’un secret de polichinelle, pour la plupart des Congolais : l’insécurité qui sévit à l’Est de leur pays réputés pour la richesse de ses ressources minières utiles aux industries occidentales est l’œuvre de quelques end-users de ces ressources dans l’hémisphère Nord qui instrumentalisent la principauté militaire en place à Kigali depuis 1994 pour créer une chienlit leur permettant de mettre cet espace sous coupe réglée. Dans ces conditions, cela va de soi, l’insistance du stratège Pascal Boniface pour une candidature particulière à la prochaine élection présidentielle, fut-elle celle d’un Nobel de la paix, soulève bien des questionnements pour le moins embarrassants pour plus d’un.
Candidature extravertie
Plusieurs observateurs notent en outre que politiquement, le Dr Denis Mukwege ne représente pas encore grand-chose aussi bien dans la partie Est du pays dont il est originaire, qui compte un bon nombre de leaders politiques d’envergure. Dans son Sud-Kivu natal, on ne peut ne pas compter sur des personnalités comme l’actuel président du Sénat, Modeste Bahati Lukwebo qui préside l’Alliance des Forces Démocratiques Congolaises (AFDC), un regroupement politique figurant parmi ceux qui comptent le plus grand nombre d’élus dans les deux chambres parlementaires ou Vital Kamerhe, l’ancien chef de cabinet du président Tshisekedi, meilleur élu du pays aux législatives nationales de décembre 2018 (86.832 voix à lui tout seul) et leader de l’Union pour la Nation Congolaise (UNC) qui a pignon sur rue jusqu’au-delà des limites du Sud- Kivu.

Au Nord-Kivu voisin, l’ancien chef de la diplomatie Antipas Mbusa Nyamwisi semble encore bien tenir ses quartiers dans le Grand Nord Yira (Nande), aussi solidement que d’autres jeunes leaders, à l’instar des ministres Julien Paluku Kahongya (Industrie) et Muhindo Nzangi (Enseignement supérieur et universitaire), tous deux acquis à Félix-Antoine Tshisekedi. Cette liste non exhaustive révèle que s’il se hasardait à poser sa candidature à la présidentielle sans s’allier ces personnalités des deux provinces les plus peuplées de l’ex-Kivu, le Nobel de la paix 2018 éprouverait de grandes difficultés à se faire adopter par leurs bases électorales respectives.
A l’évidence donc, «le choix porté par cet influenceur français sur le docteur Denis Mukwege ne répond à aucun critère de politique interne kivutienne», selon les propos de Bernard Balume, analyste politique basé à Goma (Nord- Kivu) qui minimise l’impact de l’alliance que le médecin semble projeter avec l’ancien premier ministre Augustin Matata Ponyo au motif que «démographiquement, la seule province du Maniema ne peut pas contrebalancer le Sud-Kivu et le Nord-Kivu». Cette analyse peut être étendue à l’ensemble du territoire national, chaque province de la RDC disposant de ses leaders politiques nantis de bases électorales acquises à leurs causes. Car, c’est connu : dans leur grande majorité, les Congolais votent des personnalités et non un quelconque programme ou projet de société.
Si elle venait à se confirmer, la candidature suggérée du Dr. Denis Mukwege comporte donc comme une tare rédhibitoire : le faible ancrage de l’intéressé dans le paysage socio-politique du pays. Ce que nombre de ses détracteurs ne se privent pas de relever en soulignant son caractère trop extraverti.
Usiné pour servir l’Occident
Certes, l’homme est crédité d’un engagement social sans précédent en matière de défense des droits de l’homme, et particulièrement, de la protection de la femme. Surnommé à juste titre « réparateur des femmes », Denis Mukwege s’est illustré durant des décennies dans les soins apportés aux femmes victimes des violences sexuelles dont il s’est attaché à réparer les fistules obstétricales dans son hôpital de Panzi. Raison pour laquelle le Comité Nobel du parlement norvégien, lui a attribué la prestigieuse distinction en 2018, qui resplendit aujourd’hui encore sur sa personne, sa région et son pays. Et encore …
Avant l’apothéose que fut cette attribution du Nobel de la paix, le médecin pentecôtiste de Panzi ainsi adoubé par l’Occident avait reçu le prix Sakharov décerné par le parlement européen en 2014, 5 ans après avoir été décoré de la Légion d’honneur en France (2009) et 7 ans après le prix des Droits de l’homme de la République française (2007).
Mukwege est également détenteur du prix Olof Palme (2008), du prix des droits de l’homme de l’homme des Nations-Unies (2008), du prix Van Goedart des Pays-Bas (2010), du Clinton Global Citizen Award de la Fondation Clinton (2011), sans oublier le titre de docteur honoris causa de nombreuses universités européennes et nord-américaines.
Dans la situation qui prévaut actuellement en République Démocratique du Congo, ces nombreuses distinctions occidentales, loin de servir la cause politique du médecin réparateur des fistules, le crucifient : «c’est une fabrication montée de toutes pièces par les européens », entend-on de plus en plus. Ces « pièces », ce sont les victimes des violences sexuelles de son Sud-Kivu natal, qui l’ont rendu célèbres. Les femmes réparées à l’hôpital de Panzi et ailleurs (Mukwege a entrepris il y a quelques années une extension de sa fondation, notamment à Goma au Nord-Kivu et ses équipes parcourent les provinces du pays aux fins d’y réparer les fistules obstétricales) sont pour la plupart victimes d’hommes armés par des mouvements rebelles entretenus par les sponsors occidentaux des guerres congolaises. Que le Nobel congolais de la paix s’est opportunément gardé de dénoncer jusqu’à ce jour, leur servant ainsi de paravent.
Considérée sous cet angle, la paix à l’Est du territoire congolais par Denis Mukwege interposé ne sera qu’une pax occidentalis, un cadeau empoisonné des véritables responsables de trois décennies d’insécurité en RDC qui, pour rien au monde, ne céderont à leur détermination à s’emparer sans contrepartie ou presque de leurs besoins en minerais et autres.
En cela, le géo politologue français Pascal Boniface n’a pas plus en tête les Intérêts Nationaux congolais que n’en avait eu un autre stratège français, Bernard-Henri Lévy, pour le peuple libyen lorsqu’il incita Nicolas Sarkozy à neutraliser le régime de Mouammar Kadhafi en 2011. Boniface a donc raison : seul Denis Mukwege peut donner satisfaction à l’Occident.
J.N. AVEC LE MAXIMUM