Moïse Katumbi Chapwe, candidat à l’élection présidentielle rd congolaise de décembre 2023, a été investi mardi 20 décembre 2022 à Lubumbashi. Une cérémonie annoncée de longue date qui n’avait donc rien de particulier, n’eut été l’accoutrement de prince Bayeke arboré par l’intéressé en la circonstance, comme pour faire un pied de nez à ceux qui remettaient en cause sa nationalité congolaise du fait de sa filiation parentale gréco-zambienne. L’ancien gouverneur de l’ex-Katanga, à la tête du parti politique Ensemble pour la République n’en continue pas moins de soulever moult conjectures dans l’opinion. «S’il appartient à l’éthnie Bayeke par sa mère, encore faut-il que cette dernière fut congolaise», déclare à ce sujet un historien de l’Université de Lubumbashi qui rappelle sous le sceau de l’anonymat que «les Bayeke se retrouvent aussi bien en Tanzanie (Zanzibar) qu’en Zambie et en RDC».
Et de brandir une étude de François Renault intitulée ‘‘Tippo Tip, un potentat arabe au XIXè siècle’’ parue en 1987 aux éditions L’Harmattan racontant l’aventure de cet esclavagiste venu de Zanzibar à qui Stanley confia le gouvernorat de la province Orientale du Congo, ce qui permit aux colonisateurs de mettre sous coupe réglée l’actuelle RDC pendant des décennies.
Katumbi, bien connu comme un homme d’affaires littéralement rongé par l’ambition d’occuper – d’accaparer, selon ses pourfendeurs – le top job en RDC depuis son passage à la tête de la riche province du Katanga, ne fait pas dans la dentelle. Même membre de l’Union sacrée de la Nation (USN) de Félix-Antoine Tshisekedi, il n’a cessé de ruer dans les brancards, se sentant à l’étroit dans une coalition emmenée par ce dernier. Depuis plusieurs mois, la cohabitation entre lui et ses partenaires de cette coalition battait de l’aile et sa désertion annoncée le 17 décembre 2022 était attendue.
De retour au pays après un détour par Doha au Qatar où se tenait la finale de la coupe du monde de football, Katumbi s’est révélé au public tel qu’en lui-même en donnant de lui cette image d’un éclectique, incohérent et opportuniste qui lui colle à la peau depuis les temps de son règne sans partage sur la riche province cuprifère du Sud de la RDC. La foule présente à l’aéroport de la Luano à Lubumbashi le jour de son arrivée a noté sa tendance à mimer en tous points de vue l’ancien leader sécessionniste katangais Moïse Tshombe. Complet costume noir assorti d’un chapeau-melon de même couleur. «On se croirait revenu dans les années troubles de l’immédiat après-indépendance. Il ne manque que la grosse américaine à bord de laquelle aimait se déplacer Tshombe», ne peut s’empêcher d’observer un confrère de la presse internationale présent sur les lieux. Il ne croyait pas si bien dire, même en ignorant que durant son règne autocratique sur le Katanga, celui que le cinéaste belge Thierry Michel surnomma «trop puissant Katumbi» avait réfectionné à grand frais la voiture de marque chevrolet Impala décapotable du célèbre «président de l’Etat du Katanga», et affectionnait volontiers de s’offrir en spectacle en la conduisant à travers les avenues de Lubumbashi.
Appel à la fibre sécessionniste
Selon plusieurs observateurs, dès son retour à Lubumbashi lundi 19 décembre, le nouveau candidat à la présidence de la RDC a lancé des appels réminiscents qui ne sont pas sans ramener à la surface les difficultés liées à la cohabitation parfois tumultueuse avec le peuple voisin kasaïen, l’ethnie du président Félix Tshisekedi.
Mardi 20 décembre à la convention de son parti, Ensemble pour la République, qui devait avaliser sa candidature, Katumbi a donc confirmé une ambition déjà remâchée depuis des années avant de présenter les motivations de sa candidature. «Je voudrais me présenter à la magistrature suprême pour réinstaurer la paix sur toute l’étendue du pays, bâtir un vrai Etat de droit, une République exemplaire où chacun pourra vivre en sécurité et dans la dignité, par le fruit de son travail», a-t-il énoncé devant un parterre de partisans chauffés à blanc. Un peu comme si, n’eût été la guerre et la situation sécuritaire en RDC, il ne lui serait pas venu à l’idée de postuler à la fonction suprême.
Dans le détail, Moïse Katumbi a réitéré son ambition de «rendre les Congolais fiers de leur pays, d’offrir à la jeunesse de réelles perspectives d’avenir et à nos familles des conditions de vie dignes».
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En matière économique, cet homme d’affaires sans scrupules (on l’accuse d’avoir ravi des carrés miniers à plusieurs opérateurs économiques en vue parmi lesquels Clément Kabasele Muamba, inventeur du pousse-café au motif qu’il était kasaïen) s’est engagé à «protéger notre environnement, à faire de l’agriculture et des mines une source d’emplois et de développement et à relancer le tourisme aussitôt la paix revenue et le climat des affaires assaini».
«Je veillerai à ce que nos richesses culturelles, nos artistes et nos sportifs soient reconnus. Jadis ils étaient nos grands ambassadeurs. Ils doivent retrouver toute leur place. Le génie congolais sera valorisé», a encore expliqué le candidat Katumbi.

D’aucuns attendent cet aspirant à la présidence sur la question de l’agression rwandaise par M23 interposé contre la RDC, condamnée récemment par la communauté internationale. Force est de constater qu’à ce sujet, Moïse Katumbi a choisi de botter en touche, se montrant plutôt évasif. «Je pense à tous nos compatriotes qui vivent dans l’errance et qui doivent affronter les dures réalités des déplacements massifs et forcés ainsi que les camps de déplacés. C’est pour moi une occasion d’inviter le gouvernement et la Communauté internationale à s’impliquer pour soulager tant soit peu leur misère», s’est-il contenté de dire mezza voce avant de se répandre en généralités peu substantielles sur «les efforts qui doivent être conjugués pour lutter contre les antivaleurs, privilégier la bonne gouvernance pour bouter l’ennemi dehors et mettre fin à la guerre dont notre pays est victime. Nous avons besoin de la paix et de la tranquillité afin de nous consacrer au développement et à l’amélioration du vécu quotidien de notre population». Guère convainquant pour un acteur politique soupçonné de collusion avec les auteurs intellectuels de l’agression contre la RDC.
Prince Bayeke
Mais, Katumbi a une excuse : «Je suis un homme d’action», a-t-il déclaré pour clore son discours de politique générale devant la Convention de son parti. Dans une tentative d’amener ses critiques à le juger sur les actes plutôt que sur les discours. Mais sur ce terrain, le premier acte de ce candidat chef de l’Etat de la RDC qui venait de prêcher l’unité et la cohésion nationale à ses partisans a été de se précipiter vers Bunkeya, capitale du royaume des Bayeke mercredi 20 décembre pour s’y faire accueillir en prince Yeke de sang royal, revêtu de l’habit de la cour et dansé au rythme des tam-tams Yeke pour célébrer la fête du trône des Bayeke en mémoire de l’assassinat le 20 décembre 1891 de son aïeul, le roi Ngelegwa Shitambi M’siri par le capitaine Bodson, selon Olivier Kamitatu, son porte-parole, dans un tweet transpirant l’auto-satisfaction. Dans l’espoir que la mise en scène d’une pareille filiation puisse étouffer la controverse sur sa nationalité étrangère fortement ancrée dans l’opinion publique en RDC.

En plus du fait que ce «raccordement frauduleux», selon un internaute à la cour de Mwenda M’siri n’est pas très heureuse pour tout le monde, au Katanga comme ailleurs en RDC où l’usurpation de titres est historiquement liée à l’accaparement de territoires, à la dictature et à la prédation, le fait de se prévaloir d’une proximité avec un autre célèbre descendant de Ngelegwa Shitambi M’siri, l’ancien ministre de l’Etat sécessioniste du Katanga, Godefroid Munongo Mwenda M’siri qui est entré dans l’histoire comme l’assassin du regretté leader indépendantiste congolais Patrice-Emery Lumumba, laisse des réminiscences négatives dans l’opinion de bon nombre de Congolais.
Nombre d’historiens font par ailleurs état de la cruauté de cet ancêtre Ngelegwa dont Katumbi se réclame désormais. Monarque auto-proclamé, il est souvent présenté comme «un despote qui a fait la guerre aux chefs refusant de lui payer l’impôt qu’il assassinait par décapitation dans sa résidence située dans un grand ‘‘boma’’ ou village fortifié au pied d’un monolithe assez élevé nommé «Nkulu». Les boma étaient toujours composés d’une palissade faite de pieux allant jusqu’à quatre mètres, longée au pied par une fosse assez profonde et surmontés de têtes humaines devenues avec le temps des crânes décharnés qui brillaient au soleil».
Un Mwami d’origine étrangère
Au-delà de ces signes de cruauté, l’anthropologue Jean Vansina a mis à jour les origines zanzibarites de l’homme qui s’était autoproclamé Mwami dans cette partie du Congo autour de 1875. «Le royaume de M’siri était l’Unyamwezi où les habitants étaient connus comme les banyamwezi en Afrique de l’Est, entre le lac Tanganyika (au Nord-Est) et le lac Victoria-Nyanza (au Sud). Au Katanga, les clans venus de l’Unyamwezi et d’ailleurs ont voulu former un peuple nouveau doté d’un nouveau nom : Yeke sous le commandement d’un seul chef. C’est l’œuvre de Ngelengwa qui devint Mwenda M’siri», écrit-il.
Ces faits historiques (ils remontent au 19ème siècle) sont assez récents et connus de tous dans la région : les Bayeke sont arrivés dans les valises des esclavagistes arabes auxquels ils ont servi d’auxiliaires pour l’exploitation du Katanga. Lorsqu’il investit le territoire de Kazembe, l’esclavagiste zanzibarite Tippo-Tip s’était fait accompagner de 800 Nyamwezi, 150 fusils avant d’organiser des caravanes pour son propre compte, dans le Kazembe vers 1850.
Les terres occupées par les Yeke furent conquises au terme d’affrontements sanglants et meurtriers qui tournèrent à leur avantage en raison de la supériorité que leur conférait la possession d’armes à feu.
Il s’agissait donc de conquêtes et dépossessions foncières des populations autochtones luba, lunda, sanga et lemba. L’héroïsme vanté de M’siri n’est donc qu’une témérité d’usurpateur. C’est le modèle choisi par Katumbi. Un idéal aussi controversé que sa nationalité.
J.N. AVEC LE MAXIMUM