Face à l’énième agression subie par la RDC de la part de son voisin rwandais, la quasi-totalité de la classe politique congolaise semble disposée à répondre à l’appel à l’unité derrières les FARDC lancée par le président Félix Tshisekedi. Pour une fois, des voix au sein de l’opposition politique se sont, en effet, élevées pour soutenir l’initiative présidentielle, à de degrés divers certes, mais l’essentiel est là. Ca n’était pas arrivé depuis longtemps.
En séjour en Europe, le candidat malheureux à la présidentielle 2018, Martin Fayulu, à quelque peu surpris tout son monde en déclarant que «devant l’agression de notre pays par le Rwanda et même par l’Ouganda, nous devons avoir le même langage. Ici, il n’est pas question de chercher le pouvoir. Il s’agit de notre pays qui est agressé. Je suis d’accord», a-t-il déclaré le week-end dernier à l’étape londonienne de son périple américano-occidental.
Même son de cloche de la part d’Augustin Matata Ponyo, l’ancien 1er ministre Kabila qui s’est proclamé candidat à la prochaine présidentielle. Sur les antennes de la radio onusienne Okapi, le 8 novembre 2022, il réaffirmé son «soutien aux FARDC qui font face à l’agression rwandaise dans le territoire de Rutshuru. Ici, nous sommes dans une situation qui met la nation en danger. Dans le monde entier, nous avons vu que lorsque les nations sont en danger, il n’y a pas d’opposition ni de majorité mais plutôt l’âme du pays. L’âme et l’esprit n’ont pas de coloration politique», a déclaré en substance l’ancien 1er ministre.
Même le PPRD, l’ancien parti présidentiel donc, s’est montré favorable à l’appel lancé par le président de la République. Au cours d’une émission sur Top Congo, Ferdinand Kambere, secrétaire permanent du PPRD en exhortait carrément Félix Tshisekedi à mobiliser la nation, la population et la classe politique autour de la guerre.
De nombreuses autres personnalités politiques congolaises se sont félicitées de l’appel de Félix Tshisekedi mobilisant les Congolais contre la nouvelle agression du Rwanda. Et l’opinion se demandaient quand est-ce que Moïse Katumbi, connu pour entretenir lui aussi des ambitions à la présidentielle, émettrait son opinion sur la situation sécuritaire critique qui sévit dans une partie du territoire national.
C’est chose faite depuis le 8 novembre 2022. Moïse Katumbi a rendu publique la «déclaration de Ensemble pour la République sur la guerre à l’Est et l’appel du chef de l’Etat du 03 novembre 2022», un communiqué qui ne dit ni oui ni non, en réalité. Et qui, à la différence de la plupart d’acteurs politiques congolais, ne dénonce pas nommément l’agresseur rwandais.
En liminaire, la déclaration signée par l’ancien gouverneur du Katanga rappelle «les principes de base qui guident son engagement politique en faveur du peuple congolais» : l’intégrité territoriale, l’ordre institutionnel, la légitimité du pouvoir relevant des élections, et l’égalité des Congolais devant la loi et le bien public. Dans l’opinion, ce rappel fut perçu par certains observateurs comme un chapelet de conditionnalités préalables à l’adhésion à l’appel présidentiel. «D’emblée, Katumbi fait passer la polémique avant l’intérêt supérieur de la nation», fait observer, par exemple, ce professeur des sciences politiques à l’UNIKIN. La suite de la déclaration katumbiste s’avère de nature à lui donner raison. «Face à la gravité de la situation à l’Est, Ensemble pour la République entend répondre à l’appel du chef de l’Etat au nom de l’intérêt supérieur de la Nation», énonce la déclaration. Le parti politique de Moïse Katumbi ne répond donc pas formellement à l’appel de Félix Tshisekedi. Pas tout à fait. Parce que, selon lui, «dans la mise en œuvre de ce gendre d’appel, les résultats espérés manquent souvent au rendez-vous. Cela pour plusieurs raisons, entre autres, le non-respect des engagements». De quoi se perdre en conjectures, donc, pour identifier le type d’engagements que le président de la République d’un pays agressé doit prendre pour obtenir l’adhésion à la mobilisation de la nation contre l’agression.
Pour Moïse Katumbi et les siens, venir à bout de l’agression requiert préalablement des «décisions fortes». Parce qu’«il est impératif de traiter les causes et non les conséquences qui ont abouti, aujourd’hui comme hier, à la guerre dans l’Est du pays». En RDC, l’opinion est convaincue du fait que la guerre imposée par l’Ouganda depuis 3 décennies est une guerre de prédation. En cela, il semble plutôt que Félix Tshisekedi émet sur la même longueur d’ondes que sa population, puisque c’est ce qu’il martèle sur tous les tons depuis la reprise des hostilités. Moïse Katumbi, qui évoque des causes (plus) profondes ne partage donc pas ce point de vue commun à la majorité de ses compatriotes. Et ne pipe pas mot des fameuses «causes profondes», pourtant connues comme constitutives de l’argumentaire principal du Rwanda et d’une partie de la communauté internationale manifestement acquise à sa cause. Les causes profondes du conflit de l’Est de la RDC dans cet entendement se résumant, en fait, aux droits revendiqués par Kigali sur les ressources et le territoire de la RDC pour assurer sa survie économique. En deux mots comme en mille, Katumbi, c’est le parti rwandais qu’il prend. Le reste de la déclaration du 8 novembre semble couler comme de source de cette position initiale.
Moïse Katumbi pose ses conditions aux plans militaire, institutionnel et diplomatique avant d’adhérer à l’appel à mobiliser les Congolais contre un ennemi sensé commun.
L’attitude politique de l’ancien gouverneur du Katanga sur l’agression de la RDC par le Rwanda n’est pas différente de celle qui se dégage de ses relations mitigées avec l’Union sacrée de la Nation (USN), la plateforme présidentielle à laquelle est sensée appartenir son parti politique, qu’il combat et pourfend à longueur de journée sans oser franchir le Rubicon en en claquant la porte.
Selon certains observateurs, cet acteur politique, également président du plus puissant club de football de la RDC, est victime d’une sorte de populisme. «Katumbi n’ose pas prendre une position qu’il sait contraire à celle de la majorité et préfère faire semblant d’y adhérer en attendant l’occasion propice pour se montrer tel qu’en lui-même», explique à ce sujet ce député d’une de ses plateformes politiques à l’Assemblée nationale.
Là où d’autres estiment, plutôt, que la position du président de Ensemble pour la République reflète, en réalité, les contradictions qui minent un parti sensiblement dominé par des sympathisants et adeptes de la politique du président Félix Tshisekedi. A l’instar de Francis Kalombo, l’élu de Kinshasa qui, le 1er novembre 2022, invitait le président de la République à «lancer un appel patriotique» : «C’est maintenant que le peuple est encore avec lui, car le peuple est contre cette agression et nous allons nous mettre debout comme un seul homme », martelait-il. Ce porte-parole de Moïse Katumbi ne s’arrêtait pas là : «Le chef de l’Etat ne doit pas aller aux négociations de Naïrobi tant qu’il n’y a pas dialogue inter-rwandais», exigeait encore Francis Kalombo, exprimant ainsi une opinion de plus en plus partagée en RDC.
Dans ces conditions, Moïse Katumbi ne peut que faire semblant de suivre, sans réellement être de la partie. Oui à la mobilisation souhaitée par la majorité des Congolais, mais …il faut se ménager une voie de contournement.
LE MAXIMUM