Une semaine après la reprise des affrontements entre les RDF/M23 et les FARDC en territoire de Rutshuru au Nord-Kivu, le front s’est sensiblement éloigné de Bunagana, l’agglomération frontalière sous occupation rwandaise depuis 4 mois. Kiwanja, une grande cité du même territoire et Rutshuru-centre sont tombées entre les mains des assaillants dimanche 30 octobre, selon Kinshasa mais aussi des sources sécuritaires dans la région. Samedi 29 octobre 2022, la caserne militaire de Rumangabo a été abandonnée par les troupes loyalistes qui se sont repliées sur Bwenza et Rugari, nouveaux verrous pour empêcher tout accès à Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu.
Au Nord-Kivu, les positions les plus avancées des assaillants rwandais se situent à une quarantaine de kilomètres de Goma, ce qui rend la vie en territoires sous occupation plus que pénible pour les populations qui n’ont pas pu fuir. La quasi-totalité des groupements de la chefferie de Bwisha est passée sous le contrôle du Rwanda et de ses affidés.
Au cours d’un meeting, le 30 octobre à Rumangabo, les assaillants ont ordonné le pillage systématique des installations civiles et militaires et un couvre-feu a été instauré à Rutshuru-centre et à Kiwanja. Jusque mardi 1er novembre 2022, les activités socio-économiques peinaient à redémarrer dans ces agglomérations.
Au Rugari, des combats ont opposé FARDC et M23 dimanche 31 octobre, de même qu’à Kahunga et Mabenga au Nord de Kiwanja. Des sources dans la région rapportent que des colonnes d’assaillants qui tentaient de rejoindre Kibumba sont tombées dans une embuscade tendue par les FARDC. Au cours des affrontements qui s’en sont suivis, mardi 1er novembre 2022, les Rwandais ont essuyé de lourdes pertes en hommes : des centaines d’éléments RDF qui ont succombé ainsi que plusieurs blessés ont été acheminés à l’hôpital de Kanombe, en banlieue de Kigali. Des témoins, images à l’appui, rapportent avoir aperçu plusieurs corps gisant ci et là dans la brousse alentour de Kibumba.
Calme précaire au front
Jusque mercredi 2 novembre 2022, un calme précaire régnait sur la nouvelle ligne de front sans que cela n’influe positivement sur la situation des centaines de milliers de civils vivant dans la région. Selon les agences onusiennes qui œuvrent sur le terrain au Nord-Kivu, les dernières offensives rwandaises ont jeté dans la nature quelques 40.000 personnes.
A Rutshuru, Rubare et Rugari, les hôpitaux se sont vidés de leurs médecins et autres personnels soignants : 6 médecins de l’hôpital général de Rutshuru ont ainsi préféré sauver leurs peaux tandis qu’à Rugari, un seul est demeuré sur place. A Tamugenga, tous les membres du personnel soignant sont partis alors que s’observe une arrivée massive de malades ainsi privés de soins.
S’adressant aux députés nationaux, mardi 1er novembre 2022 dans la salle des congrès du Palais du Peuple de Kinshasa, le premier ministre congolais Jean-Michel Sama Lukonde a évoqué les souffrances de ses compatriotes qui «font actuellement face à des actes de lâcheté et d’horreur de la part des terroristes sans foi ni lois qui opèrent ouvertement avec le soutien du Rwanda». Ajoutant, sous un tonnerre d’applaudissements, à l’intention des troupes d’occupation que «traverser la frontière est une chose, penser qu’on peut y demeurer en est une autre».
Des sources crédibles dans les localités et agglomérations occupées en territoire de Rutshuru, rapportent, en effet, qu’à Rubare, une des localités occupées par l’armée rwandaise, deux femmes accusées d’entretenir des liaisons avec des personnes soupçonnées de sympathie envers les forces loyalistes ont été exécutées mardi 1er novembre. 24 heures auparavant, la nuit du 30 au 31 novembre, 6 civils avaient également été abattus dans leurs habitations à Rugari alors sous occupation pour les mêmes raisons. Tandis qu’à Kiwanja, la société civile locale fait état de l’enlèvement d’une centaine de jeunes destinés à un recrutement forcé dans les troupes d’agression.
On signale par ailleurs dans toutes ces régions, l’interdiction de l’usage de téléphones portables et les pillages systématiques des habitations et des fermes appartenant aux populations locales.
Diplomatie régionale
Cependant, dans la région, l’espoir renaît avec la réactivation de la diplomatie régionale.
Dimanche 31 octobre 2022 en effet, le facilitateur de l’East African Community (EAC) pour le processus de Naïrobi, l’ancien président kényan Uhuru Kenyatta, a publié un communiqué déplorant l’escalade du conflit et la crise humanitaire qu’il entraîne en RDC et appelé les parties à cesser immédiatement leurs offensives et à se retirer des zones occupées. «La communauté de l’Afrique de l’Est dénonce toute violence contre les civils et appelle toutes les parties à reconnaître qu’il n’y a pas de solution militaire au conflit et à adopter des moyens pacifiques pour le régler», pouvait-on lire sur ce communiqué. Même si ce n’était pas le premier du genre depuis le déclenchement des hostilités.
Mardi 1er novembre 2022, c’est le chef de l’Etat burundais, également président de l’EAC, Evariste Ndayishimiye, qui a annoncé la convocation «dans les plus brefs délais» d’une réunion des chefs des forces de défense des Etats de l’organisation, suivie de celle des chefs d’Etats pour examiner les paramètres d’une réponse concertée et durable à la crise sécuritaire de l’Est de la RDC.
Pour sa part, donnant suite à une mission diligentée par le président congolais Félix Tshisekedi conduite par Serge Tshibangu, son mandataire spécial, William Ruto, le nouveau chef de l’Etat kényan a annoncé, mercredi 2 novembre 2022, le déploiement des troupes de son pays contre les groupes armés irréguliers qui écument l’Est de la RDC. William Ruto a également assuré avoir entrepris des consultations à ce sujet avec plusieurs dirigeants de la région ainsi qu’avec le secrétaire général des Nations-Unies, Antonio Guterres et le président français Emmanuel Macron.
Au cours d’une cérémonie de remise du fanion au contingent des forces de défense du Kenya préparé à cet effet et ‘prêt pour embarquer’, Ruto a déclaré qu’«en tant que voisins, le destin de la RDC est lié au nôtre», mettant ainsi un terme aux rumeurs faisant état du refus de Nairobi d’engager des troupes en RDC. «Nous ne permettrons pas aux groupes armés, aux criminels et aux terroristes de nous priver de notre prospérité commune», a renchéri le successeur de Uhuru Kenyatta à la présidence de la République du Kenya.
Même si des sources militaires à Nairobi se sont abstenues, pour des raisons sécuritaires évidentes, de révéler le nombre d’hommes de troupes faisant partie de ce corps expéditionnaire, une estimation dictée par le fait que c’est un colonel, Daniel Rotich, qui commande le contingent présenté à William Ruto laisse croire qu’il s’agit de tout un bataillon.
Des troupes de la KDF
S’agissant du mandat des soldats kényans en RDC, il est clair qu’il s’agit de neutraliser tous les groupes armés, y compris le M23 et les FDLR qui servent de supplétifs et de prétexte à l’agression rwandaise contre la RDC, ce qui enlève à Kigali l’alibi qui lui permet de rééditer ses incessantes promenades militaires dans les provinces orientales du Congo. «Avec le président Tshisekedi, on a convenu du plan selon lequel les forces kényanes vont travailler avec les FARDC pour désarmer et s’assurer que les civils sont protégés», a déclaré William Ruto à ce sujet.
Selon le plan opérationnel et d’engagement des troupes de l’EAC convenu entre les Etats de la région pour «combattre les groupes terroristes étrangers et nationaux» en RDC, 6.500 à 12.000 soldats (du Burundi, du Kenya, du Soudan du Sud, de la Tanzanie et de l’Ouganda) sont attendus pour « contenir, vaincre, et éradiquer les forces négatives dans les provinces du Haut-Uélé, de l’Ituri, du Nord-Kivu et du Sud Kivu». Les Ougandais sont ainsi chargés de combattre les ADF au Nord-Kivu et en Ituri, les Kenyans se chargeant de l’éradication des autres groupes armés dans la même région, selon ce plan. Tandis que les troupes burundaises et tanzaniennes devraient opérer au Sud-Kivu.
Les troupes kényanes seront donc bientôt dans le territoire frontalier de Rutshuru au Nord-Kivu. Vendredi 23 septembre 2022, un contingent de la KDF avait gagné la région. De même que du matériel militaire lourd chargé à bord de camions remorques était entré en RDC par la frontière RDC-Ouganda de Kasindi, ainsi que l’avait annoncé un compte-rendu du conseil des ministres vendredi 23 septembre. Il était également entendu que, in fine, les forces kenyanes seraient commandées par le général Kibochi (et dépasseraient donc le bataillon).
Les informations faisant état du retrait de RDC d’éléments du contingent kenyan entrés en septembre dernier, qui ont circulé dans les médias il y a quelques semaines sont donc démenties.
«Il est normal qu’on observe un certain flou aussi bien sur les missions réelles des KDF que sur le nombre d’hommes des troupes envoyés à la rescousse des FARDC. Ce sont des raisons stratégiques et tactiques qui l’obligent», fait remarquer à ce sujet un stratège du Collège de Hautes études de stratégie et de défense de Kinshasa contacté par nos rédactions.
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