Le fait, révélateur d’un pan inattendu de la personnalité de l’opposant qui a succédé à Joseph Kabila à l’issue de la présidentielle de décembre 2018, a failli passer inaperçu. Arrivé au pouvoir dans un pays gangrené par des problèmes sécuritaires qui durent depuis trois décennies, Félix Tshisekedi aura attendu près de trois ans pour mettre sa touche sur les forces armées. Etonnante patience de la part d’un acteur politique connu pour avoir fait ses armes dans les rangs d’une opposition qui prône le changement radical. Surtout lorsqu’on sait que rétablir la paix dans les provinces martyrisées de l’Est de la RDC fut une promesse électorale du nouveau commandant en chef des FARDC et la police nationale.
Durant trois ans, Félix Tshisekedi aura donc fait avec … l’armée lui léguée par son prédécesseur, le président sortant Joseph Kabila, un militaire de carrière. Il aurait sans doute continué à faire avec, n’eût été la nouvelle agression lancée par le voisin rwandais par les terroristes du M23 interposés, depuis le second semestre 2021. Elle a culminé par l’occupation de l’agglomération commerciale et frontalière de Bunagana au Nord-Kivu en mars 2022. Et rappelé l’impérieuse nécessité qu’il y avait à se pencher sur la grande muette désarticulée par de nombreux dysfonctionnements depuis quelques trois décennies, également.
Aux termes d’une ordonnance rendue publique le 4 octobre 2022, le président de la République a ainsi recomposé l’Etat-major général (EMG) des FARDC. Le lieutenant-général Christian Tshiwewe Songhesha, jusque-là en charge de la Garde Républicaine (GR), a été nommé chef EMG en remplacement du général d’armée Célestin Mbala, en poste depuis 2017. Né en 1968 à Lubumbashi, le nouveau chef EMG compte parmi les premiers officiers Rangers formés au Soudan à la diligence du défunt Laurent-Désiré Kabila. Christian Tshiwewe a par la suite suivi les cours de commandement d’état-major «Mura» à Likasi, puis de commandant brigade au Centre supérieur militaire de Kinshasa. Il a également bénéficié d’une formation antiterroriste dispensée par des formateurs Israéliens en Angola avant de parfaire son cursus militaire au Collègue des hautes études militaires et stratégies de défense de Kinshasa. Le promu sera secondé par les généraux Jacques Achaligonza Nuru, chargé des opérations, et Léon-Richard Kasonga, qui hérite de l’administration militaire.
Du général Jacques Achaligonza Nuru, on sait qu’il fut formé par l’armée ougandaise alors qu’il faisait partie l’Armée du peuple congolais du RCD-K-ML d’Antipas Mbusa Nyamwisi. Il intégra par la suite le FPLC, la branche militaire de l’Union des Patriotes Congolais de Thomas Lubanga. Après le brassage des FARDC, il est nommé commandant de la base militaire de Kitona, poste qu’il a occupé jusqu’en 2013 avant d’être nommé chef d’état-major de la 1ère zone de défense jusqu’en 2017. De 2017 à 2018, il a exercé les fonctions de commandant adjoint chargé des opérations et renseignements de la 3ème zone de défense qui englobe les provinces administratives du Maniema, du Nord-Kivu, du Sud-Kivu et de l’ancienne province Orientale. Jacques Achaligonza a également dirigé les Sukola 1 et 2 avec QG à Rutshuru et à Bunia.
Restructuration au sommet
Dans la foulée de cette restructuration au sommet, le général-major Christian Ndaywel Okura a été nommé aux renseignements militaires. Il y est secondé par le général-major Jérôme Chicko Tshitambe (opérations), le général-major Thomas Kisezo (administration) et le général-major Kipongo Bora (logistique).
A la tête de la GR, Christian Tshiwewe a été remplacé par celui qui était son adjoint jusque-là, le général-major Ephraïm Kabi Kirizo.
Les nominations à la tête des FARDC, intervenues après l’adoption par le parlement de la loi de programmation militaire tant souhaitée par les experts en la matière, traduisent le souci du chef de l’Etat de poursuivre résolument la réforme au sein de l’armée nationale, a indiqué le cabinet présidentiel mardi 4 octobre 2022.
Jeudi 13 octobre au camp militaire Kokolo de Kinshasa, s’est déroulé la cérémonie officielle de passage d’étendard au sommet de la hiérarchie militaire rd congolaise, en présence du président de la République, Félix Tshisekedi. Mais sans doute aussi de passage de flambeau entre une génération d’officiers généraux, pour la plupart anciens des défuntes forces armées zaïroises du maréchal Mobutu, formées en temps de paix, quasiment. Les membres du nouvel EMG des FARDC, presque tous hommes de terrain, sont tous passés par le CHESD, le tout récent Collègue des hautes études de sécurité et défense. Jacques Achaligonza a commandé les opérations Sukola II et Sukola I contre les groupes armés et les terroristes ADF ; Jérôme Chicko Tshitambe mêmement, puis que le tout nouveau général-major a, lui aussi, eu l’opportunité de commander l’opération Sukola I. On peut en dire autant des généraux Léon-Richard Kasonga, un ancien de l’IFASIC à Kinshasa qui a dédaigné la plume et le micro au profit du métier des armes, ainsi que de son collègue, le général Christian Ndaywel, ancien commandant second de Thomas Kisezo à la force terrestre. L’un et l’autre ont pris une part active aux tentatives de restauration de la paix dans les territoires tourmentés du pays depuis plusieurs décennies. Les nouveaux promus sont, à cet égard, «des soldats nés pendant la guerre», selon l’expression de ce colonel ex-FAZ à la retraite qui s’est confié au Maximum.
Nouvelle génération d’officiers généraux
Impossible de ne pas remarquer l’émergence d’une nouvelle classe d’un certain nombre d’officiers généraux formatés à l’école de Laurent-Désiré Kabila. A l’instar de Christian Tshiwewe, recruté et envoyé en formation commando avec beaucoup d’autres au Soudan par le « Mzee », ainsi que l’opinion désigne le tombeur du défunt maréchal Mobutu. On doit également au «Soldat du peuple», un autre surnom de LDK, l’existence d’un certain général Kasongo Kabwik, formé en techniques de développement au Zimbabwe, qui fait ses preuves à la tête du Service national à Kanyama Kasese dans l’ex-Grand Katanga.
Le processus de restructuration des FARDC a enregistré un coup d’accélérateur, lundi 17 octobre 2022, avec de nouvelles nominations d’officiers généraux à la tête de zones de défense et régions militaires. Dans l’armée congolaise, la zone de défense est une entité territoriale inter-force au sein de laquelle évoluent des unités de forces terrestres, aériennes et navales sous un commandement unifié. Tandis qu’une région militaire représente une circonscription ne comprenant que des unités des forces terrestres, selon les experts.
Le général Marcel Mbangu Mashita a ainsi été nommé commandant de la 3ème zone de défense comprenant les provinces issues des anciennes provinces Orientale et du Kivu, en remplacement du Lieutenant-général Philémon Yav, accusé de collusion avec l’ennemi rwandais et détenu en attendant des poursuites judiciaires.
Le nouveau chef des opérations militaires contre les terroristes du M23 et de l’ADF ainsi que d’autres groupes armés nationaux et étrangers qui écument les territoires de l’Est de la RDC n’est pas un enfant de chœur. A sa nomination le 17 octobre, Marcel Mbangu commandait la 21ème région militaire (Grand Kasai). Homme de terrain, il fut désigné en 2013 commandant adjoint de la 32ème région militaire chargé des opérations et du renseignement en Ituri avant d’être propulsé à la tête du secteur opérationnel grand Nord-Kivu à Beni où il dirigea l’opération Sukola I. On doit à cet officier général la révélation de l’adhésion des rebelles ougandais de l’ADF au mouvement djihadiste international sous la dénomination d’ADF/MTN dans l’objectif de créer un Etat islamique à partir de la région de Beni en RDC. Ancien commandant Tigre, Marcel Mbangu est diplômé du CHESD, du Staff College (Zimbabwe) et du Management Institute for the international strategy.
Hommes de terrains
A la tête de la 3ème zone de défense de la RDC, le général Mbangu est secondé par les généraux Kyamasa Mutupeke et Sangwa John.
Autre officier général nommé à la tête de la 21ème région militaire en remplacement du général Mbangu, c’est John Tshibangu, qui a été élevé de facto au rang de général de brigade. L’homme n’est pas inconnu de l’opinion publique en RDC, puisqu’il a défrayé la chronique ces dernières années.
Ce para-commando, ancien du Centre d’entraînement des troupes aéroportées (CETA) de Kinshasa intègre les forces armées zaïroises par l’école de formation d’officiers (EFO) de Kananga en 1988, et en sort avec le grade de sous-lieutenant. Il subit ensuite une formation anti-terroriste d’un an en Israël avant d’être affecté au Service d’actions et de renseignements militaires (SARM) à Kinshasa. Le sous-lieutenant Tshibangu aurait ainsi fait partie du bataillon SARM commandé par feu le général Donat Mahele, qui repoussa les combattants du Front patriotique rwandais qui venaient d’attaquer le Rwanda en octobre 1990.
Elevé au grade de (1er) lieutenant, John Tshibangu intègre la Division spéciale présidentielle (DSP), une unité chargée de la sécurité du maréchal Mobutu. A l’entrée des troupes de l’AFDL de Laurent-Désiré Kabila, il intègre les Forces armées congolaises (FAC) et se voit nommé commandant bataillon à Mwene-Ditu, Kongolo puis Uvira et Baraka. C’est à cette dernière affectation, en 1998, que le surprend la nouvelle rébellion du RCD-Goma, dont il intègre l’armée après avoir vainement tenté de défendre cette cité du territoire de Fizi et qu’il entame une carrière de baroudeur de légendes, pleine de rebondissements.
Sur celui qui est devenu entretemps lieutenant-colonel, une chose est sûre : le RCD/Goma ne tarde pas à l’embastiller à la prison de Munzenze à Goma, pour refus d’adhérer au nouveau mouvement rebelle, selon certaines sources, ou encore pour avoir tenté de détourner un aéronef rebelle qui atterrira en catastrophe à Salamabila au Maniema faute de carburant, selon d’autres sources.
Le lieutenant-colonel Tshibangu parvient néanmoins à tromper la vigilance de ses geôliers et de rejoindre l’autre RCD, plus nationaliste à ses yeux, celui que dirige Antipas Mbusa Nyamwisi à quelques dizaines de kilomètres de là, dans la région de Beni-Ituri-Isiro en 2002. Il est nommé commandant bataillon de l’Armée du peuple congolais (APC), branche militaire du RCD-K-MLl sur l’axe Isiro-Buta-Tetule et y affrontera notamment les troupes du MLC de Jean-Pierre Bemba qui tentent de prendre le contrôle de cette partie du territoire national. Nommé ensuite commandant brigade de l’APC sur l’axe Beni-Mambassa, John Tshibangu sera élevé au rang de commandant secteur Grand Nord-Kivu (Beni-Butembo-Lubero) après la signature des Accords de Sun City, peu avant la réunification effective des armées rebelles et loyalistes. Il participe ainsi aux premières offensives contre les rebelles ougandais de l’ADF après que l’armée réunifiée eut installé son état-major opérationnel intégré (EMOI) à Beni. Avant de se rendre à Kisangani dans le cadre de la formation des nouvelles brigades au sein des FARDC, devenant commandant de la 14ème zone intégrée.
Général Tshibangu, un baroudeur dans les Kasaï
Devenu colonel, en 2008, John Tshibangu dirige une opération militaire visant à déloger le CNDP de Laurent Nkunda de l’axe Mushaki-Kirolirwe et ainsi empêcher les rebelles de progresser sur Goma. Il prend également part aux combats contre ces mutins à Kiwandja et Rumangabo, selon des sources.
En 2011, le colonel Tshibangu est nommé chef d’état-major de la 4ème région militaire à Kananga. Avril 2012, il assiste impuissant à la renaissance de la rébellion du CNDP rebaptisée Mouvement du 23 mars (M23) et à ce qu’il considère comme un silence coupable au sommet de l’Etat dirigé par Joseph Kabila qui prône (déjà à l’époque) une solution à la fois militaire, diplomatique et politique. C’en est trop pour le colonel baroudeur qui fait défection de l’armée. «L’homme est traqué par les éléments des forces armées de la GR, sans succès», rapporte Congo Indépendant à son sujet. Alphonse Ngoyi Kasanji, l’alors gouverneur du Kasaï Oriental, avait en effet annoncé, le 22 août 2012, que 300 militaires avaient été mobilisés pour prendre en chasse l’officier supérieur dissident.

En janvier 2018, John Tshibangu est finalement arrêté en Tanzanie, après que certains de ses collaborateurs eurent été interpellés à Bangui en RCA. Le 5 février de la même année, il est livré à Kinshasa par le président tanzanien John Magufuli, gardé à vue dans un cachot de la Demiap durant 23 mois avant d’être transféré à la prison militaire de N’Dolo, puis assigné à résidence au Centre Nganda aussitôt Félix Tshisekedi élu président de la République. Jusqu’à sa libération, «convenue entre les chefs d’Etat sortant et entrant», selon des sources crédibles.
C’est à cet officier général que Félix Tshisekedi a décidé de confier la sécurité des provinces kasaiennes et du Sankuru récemment secouées par une rébellion mâtée qui n’en a pas moins laissé de profonds stigmates dans la société.
Dans la foulée des derniers mouvements de restructuration à la tête de l’armée nationale, la nomination du vice-amiral Kuyandi Hemedy Lukombo à l’état-major force naval et celle du général-major Ngama Lebe Frank à la force aérienne. Tandis que le général-major Singa Bugena a été placé à la tête du corps de santé militaire.
Propulsé sur le devant de la scène à la faveur de la proclamation de l’état de siège dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri ainsi que de l’agression du pays par les terroristes du M23 soutenus par Kigali, le général de brigade Sylvain Ekenge, jusque-là porte-parole du gouverneur militaire du Nord-Kivu, a été élevé au rang de commandant du service de communication et d’information des FARDC (SCIFA) et porte-parole de l’armée en remplacement du général Léon-Richard Kasonga.
J.N. AVEC LE MAXIMUM