Entre la hiérarchie de l’église catholique de la RDC réunie au sein de la CENCO (Conférence épiscopale nationale du Congo) et le pouvoir politique issu des élections de décembre 2018, une relative accalmie reste de mise. Même si de temps en temps, le cardinal Ambongo Bensungu, archevêque métropolitain de Kinshasa se signale par des saillies sans grande conséquence. Comme lorsqu’au détour d’une mission pastorale aux confins de Kinshasa, du Kwango et du Maï-Ndombe à Kwamouth, le prélat n’a pas loupé l’occasion de stigmatiser l’absence de l’Etat dans cette partie du pays, qui expliquerait la recrudescence de l’insécurité qui s’y observe.
Pour le reste, c’est le calme plat. Sans doute précaire notamment sur le terrain de la préparation des élections qui voit des groupes d’intérêts, essentiellement internationaux, anticiper la pression autour de la date des scrutins prévus fin décembre 2023. Chez les catholiques, la guéguerre qui avait fait rage autour de la désignation des animateurs de la CENI appartient désormais au passé. Vendredi 14 octobre à Kinshasa, la CENCO et l’Eglise du Christ au Congo (ECC) l’ont démontré en sollicitant le plus officiellement du monde l’accréditation d’environ 600 des membres de leurs missions d’observation électorale en vue de la supervision des opérations d’identification et d’enrôlement des électeurs qui démarrent dans deux mois, en décembre 2022.
Reçu au siège de la centrale électorale par Bienvenu Ilanga, 1er vice-président de la CENI, Cyrile Ebotoko, candidat malheureux de la CENCO à l’élection à la présidence de l’institution citoyenne rd congolaise qui conduisait la délégation CENCO-ECC a expliqué que ces observateurs de long terme seront déployés sur toute l’étendue du pays et sont recrutés dans leurs milieux de vie, au niveau des entités qui abritent les antennes de la CENI. «La délégation de la CENI nous a, à travers son 1er vice-président, mis à notre disposition les mesures d’application portant identification et enrôlement des électeurs et de la loi électorale et la cartographie des centres d’inscription», a-t-il déclaré à l’issue de l’audience.
Parties prenantes au processus électoral
Même si elles ne sont pas parties prenantes à la gestion et l’administration du processus électoral, ainsi qu’elles en avaient clairement manifesté intentions et ambitions, les églises catholique et protestante de la RDC n’en entendent pas moins y jouer un rôle déterminant en le surveillant de près, donc. En décembre 2018, les catholiques affirmaient avoir déployé à eux seuls quelques 40.000 observateurs de l’élection présidentielle, s’érigeant ipso facto en centrale électorale bis et annonçant la victoire du candidat de l’opposition Lamuka, Martin Fayulu, à la différence de la CENI qui proclama vainqueur un autre opposant, Félix Tshisekedi, l’actuel président de la République.
Cet engagement politique pour le moins électoraliste de la CENCO pose problème aux observateurs avisés. Une étude conjointe Groupe d’Etudes sur le Congo (GEC) – Ebuteli, parue début octobre 2022 («L’église catholique en RDC au milieu du village ou au cœur de la contestation ?») le souligne avec quelque pertinence. En relevant qu’en matière d’engagement politique, si l’église catholique a toujours joué un rôle déterminant dans l’histoire de la RDC, elle aurait pu faire mieux pour assurer l’émancipation citoyenne des Congolais et partant, améliorer l’exigence de redevabilité, si déterminante en démocratie.
En cause, un activisme politique qui se limite au processus électoral. «Nous soutenons cependant ici que son activisme politique – au moins quand il s’agit de mobiliser ses fidèles dans les rues – s’est concentré de manière relativement étroite sur les droits politiques. Bien que la sécurité, la pauvreté et les services publics soient souvent mentionnés dans leurs discours et lettres, les évêques mobilisent surtout leurs fidèles sur la tenue des élections démocratiques, crédibles et transparentes. Cela représente une opportunité manquée», écrivent GEC et Ebuteli. Une opportunité qui s’apprécie en termes de redevabilité d’acteurs et de responsables politiques, ainsi exonérés de l’obligation de répondre aux besoins réels des électeurs, par exemple dont ils ne se préoccupent que très peu (nullement, dans la plupart des cas) de «soucis» quotidiens.
Démocratie = absence de fraude électorale ?
«La faiblesse du système démocratique congolais dépasse la fraude électorale. Une fois au pouvoir, les élus déploient rarement une vision programmatique du progrès pour laquelle les électeurs peuvent les tenir responsables», écrivent les rapporteurs de GEC. Une façon polie de dire que ces confessions religieuses auraient pu, si elles l’avaient voulu, éduquer les masses à exiger des solutions aux problèmes qui les assaillent au quotidien comme la desserte en eau potable et en électricité, la scolarité des enfants, l’emploi, le transport et la circulation des personnes et des biens, la sécurité, le droit à la vie plus que le droit à l’élection d’un «président de la République élu» qui semble plus les préoccuper et dont beaucoup de Congolais se fichent éperdument. «L’église catholique, notamment en raison de l’importance qu’elle accorde à la justice sociale et à la pauvreté, a le potentiel de mobiliser l’électorat et susciter des discussions autour de ces priorités politiques au Congo», avancent encore GEC et Ebuteli. Parce que tel n’a pas toujours été le cas en RDC.
Ce ne sont pourtant pas les occasions et les possibilités de le faire qui ont fait défaut. En RDC, l’église catholique, présente depuis des siècles à partir des relations entre le Vatican et le Royaume Kongo, avant de devenir un partenaire clé de la colonisation jouit d’une crédibilité inestimable auprès des populations. Dès 1908, lorsque le gouvernement belge reprend l’administration du pays-continent qu’est la RDC des mains du roi Léopold II, elle reçoit des subventions pour gérer écoles et institutions de santé. Dans la colonie, «la majorité des occidentaux sont des missionnaires catholiques belges ; la plupart d’entre eux sont également des fonctionnaires coloniaux». Ce qui fait dire au premier des cardinaux du pays, Joseph-Albert Malula, que «pour notre peuple, l’Eglise était l’Etat, et l’Etat était l’Eglise».
Des occasions ratées pour affranchir le peuple
La vague indépendantiste des années ’60 offre à l’église catholique de la RDC la première occasion pour «communier» avec les populations soumises au joug colonial.
Certes, l’alors Abbé Malula et un groupe d’intellectuels s’engouffrent dans la brèche en soutenant des mouvements indépendantistes, tentant ainsi d’éloigner l’Eglise de l’Etat perçu comme oppresseur. Mais, devenu archevêque de la capitale rd congolaise, Albert Malula cautionne le coup d’Etat contre les animateurs démocratiquement élus des jeunes institutions républicaines emmenées par Patrice-Emery Lumumba. «L’Eglise reconnaît votre autorité, car l’autorité vient de Dieu. Nous exécuterons les lois que vous voulez établir», déclarera l’alors archevêque kinois, rapporte le GEC.
Le parti-pris politique se révélera lourd de conséquences, ainsi qu’on a pu l’apprécier, lorsque devenu cardinal, le prélat sera contraint à l’exil pour avoir osé protester contre la «maoisation» du pays décrétée par Mobutu Sese Seko au début des années ’70. Sans pour autant que ses congénères demeurés au pays entretiennent et maintiennent le bras de fer ainsi engagé contre le pouvoir en place à Kinshasa. «Malgré son opposition à Mobutu, l’Eglise catholique a dû concilier ses critiques avec la nécessité de maintenir la cohésion interne à l’Eglise, ainsi qu’avec ses intérêts matériels dans le pays, notamment ses nombreuses propriétés et ses investissements dans l’enseignement et les soins de santé. En conséquence, elle ne prend pas la tête du mouvement pro-démocratie», note encore GEC.
Ce que n’osent pas affirmer les rapporteurs de GEC-Ebuteli, c’est que l’église catholique, tout au moins ses princes, faisaient partie intégrante de la bourgeoisie compradores qui présidait aux destinées du Congo depuis sa création à l’initiative d’un monarque belge particulièrement madré. «Ils se sont toujours rangés aux côtés du pouvoir oppresseur contre le peuple», déclare au Maximum à ce sujet, Marc Lopongo, descendant d’un lumumbiste de la première heure. Force est de constater que la suite de l’histoire politique du pays a tendance à lui donner raison.
Contribution ambigüe à la CNS
Au début des années ’90, à l’ère des conférences nationales souveraines, la hiérarchie de l’église catholique loupe, une fois de plus, l’occasion en or de se ranger du côté des «croyants (en Jésus-Christ, ndlr) et des hommes de bonne volonté», ainsi que l’énoncent la plupart de leurs appels politiciens à s’opposer à la dictature en vigueur en l’époque. Même portée à la tête de la CNS (Conférence Nationale Souveraine) à travers un de ses princes les plus brillants, l’alors Mgr Laurent Monsengwo, l’église catholique joue un rôle «crucial mais ambigu», note le GEC. «Les décisions qu’il (Mgr Monsengwo, ndlr) prend poussent de nombreux membres de l’opposition politique et de la société civile à le critiquer et à le rejeter». En fait, le prélat sur qui reposait pourtant l’espoir de toutes les populations du pays pour ‘’déboulonner’’ la dictature mobutiste avait pris le parti, dicté par les puissances occidentales, de négocier «un accord entre Etienne Tshisekedi, le principal opposant, et Mobutu en dehors de la conférence nationale» considérée comme la représentation du peuple. Le prélat avait trahi «ses vraies couleurs en faisant sien l’appel de l’Occident pour plus de négociations», selon le professeur Georges Nzongola, un conférencier issu de la bouillante diaspora politique zaïroise de l’époque.
Plus près de nous, l’autre moment fort de l’immixtion de l’église catholique dans le champ politique date des dernières années du régime Kabila, entre 2015-2018, selon les chercheurs du GEC-Ebuteli. Lorsque les tensions politiques s’exacerbent autour de la possibilité d’un troisième mandat pour le chef de l’Etat sortant, alors que la question de sa succession divise jusqu’o son pré-carré politique. Un compromis s’impose, et l’église catholique, encore une fois, s’incruste entre les mailles des filets politiciens et parvient à arracher un accord entre le pouvoir et l’opposition : c’est l’Accord de la Saint-Sylvestre, signé le 31 décembre 2016. «Il permet à Kabila de rester en fonction à condition que des élections soient organisées avant la fin de 2017 et qu’un nouveau Premier ministre soit nommé au sein de l’opposition».
Kabila : dégager le médiocre
Mais le pouvoir débauche dans les rangs de cette opposition, au grand dam des princes de l’église à la tête desquels plastronne un Laurent Monsengwo devenu cardinal et archevêque de Kinshasa, entre temps.
C’est la guerre ouverte entre le pouvoir «finissant» de Joseph Kabila et, au moins, une partie des princes de l’église catholique et de la population farouchement opposés à sa reconduction à la tête du pays. La CENCO, son comité permanent à tout le moins, met tout en œuvre pour «dégager les incompétents», selon les termes du cardinal congolais. Lettres pastorales, appels à manifester … se multiplient qui sollicitent l’adhésion populaire aux manifestations politiques contre le pouvoir en place. A Kinshasa, la hiérarchie de l’église catholique, qui porte à bouts des bras le Comité des Laïcs Chrétiens (CLC), un mouvement né dans les années ’90 sous l’impulsion de Pierre Lumbi, entre autres, réquisitionne paroisses et clergé catholique pour encadrer les manifestants. «Le 31 décembre 2017, le 21 janvier 2018 et le 25 février 2018, le CLC initie trois grandes marches, appelant à des élections et à la renonciation de Kabila à un troisième mandat. L’organisation de ces trois manifestations est étroitement coordonnée avec les mouvements sociaux, ainsi qu’avec les partis d’opposition (même si tous les insignes politiques étaient interdits dans les marches). Les différentes structures de l’Église catholique jouent un rôle clé dans la mobilisation des gens à Kinshasa et dans quelques autres villes : au niveau local, les protestations sont annoncées et discutées dans les Communautés ecclésiales vivantes de base (CEVB), une structure laïque créée en Amérique latine dans les années 1940 et 1950 et présente dans toutes les paroisses. La commission Justice et Paix et le Conseil de l’apostolat des laïcs du Congo (CALCC) constituent d’autres structures clés pour la mobilisation au sein de l’Église», révèle le GEC. Dont les rapporteurs estiment que c’est cette pression exercée par une partie de la hiérarchie de l’église catholique associée à des organisations de la société civile qui a contraint Joseph Kabila à désigner en dauphin en la personne de Ramazani Shadary et ainsi, à renoncer à un troisième mandat consécutif moyennant modification constitutionnelle, comme la plupart de ses pairs dans la région à l’époque.

Mais il ne semble pas, selon les observations du GEC et de beaucoup d’autres, que les princes de l’église catholique de la RDC cornaqués par le cardinal Monsengwo se soient limités à obtenir la sortie du jeu de Joseph Kabila. A Kinshasa, l’archevêque métropolitain active en sous-main le CLC, ressuscité d’entre les morts à l’initiative de Pierre Lumbi, devenu entre-temps patron du plus grand parti politique de la dissidence kabiliste emmenée par Moïse Katumbi. Derrière les manifestations qui ont fait capituler Joseph Kabila se trouvait Lumbi, son ancien conseiller spécial en charge de la sécurité, qui avait franchi le Rubicon. Il était «le cerveau derrière tout cela. Il savait comment mobiliser les prêtres (…). Il a donné une certaine logistique pour faire des affiches, des bannières. Lumbi était toujours là», révèle un prêtre kinois cité par le GEC.
Fayulu : substituer le médiocre
La main occulte du bras-droit katumbiste apparaîtra jusqu’au déploiement par la CENCO des fameux 40.000 observateurs électoraux miraculeusement dotés de moyens de surveillance permettant de rivaliser avec la CENI. Qui ont alimenté les rumeurs de la victoire à la présidentielle 2018 d’un candidat de l’opposition soutenu par Moïse Katumbi dans le cadre d’un accord politique sous-traité par la communauté internationale à Bâle (Suisse)quelques mois plus tôt, à la suite d’une estimation parallèle, contestée par la CENI et illégale, Martin Fayulu. Si le parti pris en faveur du changement était évident (et acceptable pour certains en RDC) dans le chef de ce groupe de princes de l’église catholique essentiellement ressortissants de l’Ouest du pays, le choix d’un acteur politique particulier, issu de la même région que ces évêques, ne fut pas du goût de tout le monde. Même parmi l’ensemble des évêques réunis au sein de la CENCO.
A cet égard, l’accent mis sur les élections par les églises traditionnelles de la RDC participe d’un réductionnisme qu’on peut déplorer. Les rapporteurs du GEC-Ebuteli en font état, en des termes très policés : «l’accent mis par l’Église sur les élections est donc peut être une opportunité manquée en termes d›éducation civique et de mobilisation populaire. Comme cette série de rapports va le souligner, on s’est trop concentré sur l’aspect strictement électoral de la démocratie au Congo – l’acte de voter, la présentation des résultats et l’intégrité de la Ceni – à l’exclusion relative d’autres aspects clés de la démocratie et de la justice sociale: une population qui comprend ses intérêts, se mobilise en fonction de ceux-ci et demande des comptes à ses dirigeants. L’Église catholique, aux côtés d’autres groupes d’intérêt, pourrait jouer un rôle clé en fournissant l’espace physique, les réseaux sociaux et l’impulsion morale pour ce type de mobilisation».
J.N. AVEC LE MAXIMUM