L’archevêque métropolitain de Kinshasa, la cardinal Fridolin Ambongo vient de jeter un pavé dans la marre en condamnant l’irresponsabilité des ministres envoyés en mission de facts-finding à Kwamouth dans la province du Maï-Ndombe où les Teke et Yaka, deux communautés ethniques congolaises, s’étripent depuis quelques semaines. Il accuse les délégués du gouvernement de s’être arrêtés à Masiaka, une localité qui, bien que faisant partie intégrante du territoire rural de Kwamouth, est située à une quarantaine de kilomètres du chef-lieu éponyme de ce territoire qui est l’épicentre de ce conflit sur lequel ils devaient enquêter. Le vice premier ministre et ministre de l’Intérieur Daniel Aselo Okito, chef de la délégation, a évoqué dans sa relation des faits «une main noire» à la base des graves incidents qui endeuillent cette partie de la République et dans lesquels plus de 150 compatriotes ont d’ores et déjà perdu la vie. Prenant le contrepied de ce narratif officiel relayé de bonne foi par le président de la République Félix-Antoine Tshisekedi dans une interview accordée à la presse internationale en marge de la 77ème assemblée générale des Nations-Unies, le prélat est d’avis qu’il ne reflète nullement la réalité prévalant sur terrain. Il s’agirait à son avis d’une posture d’autojustification de la part de ces plénipotentiaires de l’exécutif cherchant à s’exonérer de leur lâcheté. «Le problème aurait dû, et pu, être résolu en amont», vitupère le Adam Bapengo, un internaute grand bandundois qui attribue ces révoltantes pertes violentes d’autant de vies humaines à quelques encablures de la capitale congolaise à «la déliquescence de l’État provoquée par l’incompétence des responsables en charge de la sécurité au niveau du gouvernement central». Il en veut pour preuve le fait que le malaise qui se solde aujourd’hui par l’atavisme interethnique ravageur entre autochtones Teke et allochtones Yaka à Kwamouth avait été «bel et bien porté à la connaissance du N°1 du ministère de l’Intérieur depuis des lustres. Tout ce que le Grand Bandundu compte de leaders d’opinion à Kinshasa ont eu à tirer la sonnette d’alarme depuis plus d’une année, en appelant le vice-premier ministre, ministre de l’Intérieur à prendre des initiatives proactives, en vain. De nombreuses correspondances de l’administrateur du territoire de Kwamouth, des députés provinciaux de Maï-Ndombe et des autorités coutumières Teke et Yaka lui ont adressées renseignant sur l’aggravation de la situation sécuritaire qui, au risque de dégénérer à tout moment, nécessitaient l’initiation d’une sorte de barza communautaire pour une désescalade indispensable se sont heurté à l’indifférence du ministre qui n’a pas daigné y réserver le moindre accusé de réception».
Un élu provincial de Maï-Ndombe témoigne avoir fait plusieurs fois le pied de grue avec ses collègues au ministère de l’Intérieur sur boulevard triomphal afin d’alerter sur les dangers qui guettaient la convivialité entre ces deux communautés. «Nous n’avons récolté que morgue et mépris», se souvient-il.
Une main noire ?
Le moins que l’on puisse dire est que le ministère de l’Intérieur, sécurité et affaires coutumières a fait preuve d’une indolence blâmable et qu’il tente d’induire en erreur l’autorité suprême et d’alimenter une psychose générale avec ses allégations sur une «main noire» non autrement identifiée qui aurait poussé les communautés Teke et Yaka à en découdre ou qui commettrait des assassinats au nom des frères ennemis respectifs.
Dans une tentative de se dédouaner de son inaction scandaleuse qui a poussé les deux groupes en conflits à «se prendre en charge» en se tailladant sauvagement à coups de coutelas et d’armes à feu de fabrication artisanale, le responsable de la sécurité au sein de l’exécutif national a choisi d’en rajouter aux rumeurs faisant état de Rwandais qui tireraient les ficelles en assassinant les chefs traditionnels leurs paisibles sujets à Kwamouth, Kenge et Bagata.
La platitude de ces explications qui font l’impasse sur un massacre de plus grande ampleur (près de 900 morts en deux jours en novembre 2018) commis naguère dans le territoire voisin de Yumbi, suite à un conflit interethnique opposant les Banunu aux Batende sur fond des revendications foncières et coutumières de même nature est des plus sordides. De fait, toute attitude susceptible de créer les conditions d’anomie et de non-droit qui poussent une personne saine de corps et d’esprit à recourir à la part sombre de l’hédonisme pouvant transformer un être humain en assassin est à prendre en compte dans l’étiologie d’un phénomène de cette ampleur. Ainsi que l’a rappelé à bon escient Albert Camus, «mal nommer les choses ajoute à la misère du monde». L’usage à tout bout de champ des échappatoires comme ‘’la main noire’’ en guise de cache-misère est contre-productif car il est de nature à attiser une paranoïa de mauvais aloi dans l’opinion publique et à entamer le moral des forces de défense et de sécurité auxquelles on brandit un ennemi prétendument nanti du don d’ubiquité, voire d’invincibilité.
Il faut donc se garder de toute agitation verbeuse irrationnelle qui peut obscurcir la perception générale d’un problème sécuritaire et anéantir les capacités défensives de l’État dans un contexte aussi volatile que celui dans lequel se trouve la République Démocratique du Congo.

La solution aux échauffourées entre Teke et Yaka qui s’étendent désormais vers Kenge, à moins de 300 kilomètres de Kinshasa, requièrent la prise en compte des vraies causes du délitement dans lequel le grand Bandundu et d’autres entités congolaises s’enfoncent inexorablement. Ceux des gouvernants qui s’époumonnent pour se disculper devraient savoir qu’en ce qui les concerne, il s’agit moins de culpabilité que de redevabilité (accountability), un principe qui renvoie au mécanisme permettant de rendre un acteur public responsable de ses actions, de son inaction et de ses décisions pour autant que celles-ci impactent le bien-être public. C’est le sens de l’irritation du cardinal Fridolin Ambongo, contre ces ministres qui ont rebroussé chemin au lieu de se rendre sur terrain conformément à la mission leur confiée par la hiérarchie.
Une exacerbation justifiée
Au mois de septembre dernier, au plus fort des affrontements interethniques, l’ancien 1er ministre Adolphe Muzito avait traversé toutes les zones troublées de Kwamouth jusqu’au chef-lieu du territoire éponyme, s’efforçant tant bien que mal de rapprocher les vues des groupes belligérants pour restaurer la paix. Son cortège composé de civils n’avait fait l’objet d’aucune attaque, alors même qu’il s’était chargé de convoyer des biens de première nécessité destinés aux sinistrés de cette région perturbée. On ne comprend dès lors pas pourquoi une délégation gouvernementale emmenée par le vice-premier ministre, ministre de l’Intérieur, tuteur des forces de la police nationale se soit autorisé à faire volte-face dans la localité périphérique de Masiaka où il n’y a plus rien à signaler depuis qu’un chef de terre y avait été décapité fin août sans arriver au chef-lieu du territoire de Kwamouth.
Dans son homélie du 8 octobre, le cardinal Ambongo se basant sur les renseignements émanant des paroisses catholiques du cru déclaré ‘’fantaisistes’’ les allégations impliquant une ‘’main noire’’ qui donnent à croire que des colonnes d’une force étrangère auraient infiltré les protagonistes dans ce conflit. Estimant que la situation était moins préoccupante que ne le laisse entendre cette rhétorique alarmiste, le cardinal a annoncé qu’il se rendrait lui-même à Kwamouth en compagnie de deux évêques, l’un Teke et l’autre Yaka pour «savoir en profondeur ce qui se passe, afin de voir ce que nous pouvons faire pour que la paix, la fraternité et l’amour du prochain soient rétablis entre les frères qui sont là-bas délaissés à leur triste sort». Une précaution à laquelle les délégués du gouvernement central auraient dû penser au lieu de se lancer dans des élucubrations indignes de leurs fonctions.
JBD AVEC LE MAXIMUM