L’occupation de la localité frontalière congolaise de Bunagana par le Rwanda et ses sous-traitants du M23 a été suivie par une vaste campagne médiatique pour alerter la communauté internationale sur la énième aventure sanguinaire et kleptocratique de la principauté militaire de Kigali au Congo. Baptisée Rwanda is killing (le Rwanda est en train de tuer) cette campagne est la réaction la plus congruente face aux phalanges sans foi ni lois qui font main basse sur l’Est de la RDC depuis près d’un quart de siècle. La seule réponse efficiente des compatriotes de Patrice-Emery Lumumba contre cette tartuferie de Paul Kagame et ses hordes est en effet de se mobiliser comme un seul homme contre le cynisme et l’avidité de ces pillards qui déferlent sur les zones minières de l’Est, y provoquant des tragédies humaines récurrentes. Hélas, c’est sans compter avec des invertébrés comme Martin Fayulu, l’inconsolable candidat malheureux à l’élection présidentielle de 2018 qui s’abîme dans une rengaine pompeuse, sacrifiant de manière égocentrique la ligne de défense congolaise en désignant, contre toute évidence, le président Félix Tshisekedi comme seul responsable de ce drame qui transperce la nation.
À l’instar de Fayulu, le journaliste Patrick Lokala s’est laissé aller à parodier le député national Lambert Mende Omalanga qui, invité de l’émission à succès Bosolo na politik d’Israël Mutombo, avait engagé tous les gouvernements bien-pensants du monde qui condamnent l’invasion de l’Ukraine par la Russie à «ne plus se taire sur l’occupation de Bunagana par le Rwanda», en ergotant que cette critique ciblait le pseudo immobilisme du gouvernement congolais et de l’Union sacrée dont il est l’émanation face à l’agression rwandaise. Une intoxication de mauvais goût tendant en fait à dédouaner les responsables des massacres dans la partie orientale de la RDC.
La sobriété post-mortem observée au Royaume-Uni à la suite du décès de la reine Elizabeth II le 8 septembre 2022 après 70 ans de règne sur un pays dont les opinions sont loin d’être unanimes devrait inspirer les Congolais. Le deuil est général sur toutes les chaînes de télévision outre-Manche où l’establishment, toutes tendances confondues, rivalise de révérences à la mémoire de la vieille dame qui a incarné pendant son règne une démocratie représentative dans laquelle les dirigeants sont élus très démocratiquement. Horaires balayés, les présentateurs, tout de noir vêtus, évoquent la reine disparue d’un ton très affable. Tous les tabloïds, de Londres à Édimbourg en passant par Liverpool ou Birmingham, affichent des Unes uniformément sombres et ne tarissent pas de réminiscences respectueuses sur la défunte souveraine. La très prolixe classe politique britannique s’est dépouillée de ses habituelles chamailleries entre conservateurs, libéraux-démocrates et travaillistes.
Certes, c’est pendant le règne d’Elizabeth II que les troupes britanniques ont massacré des civils en Irlande du Nord après une marche de protestation contre l’embastillement des catholiques ou envahi l’Irak aux côtés des troupes américaines sous prétexte d’y éradiquer des armes de destruction massive inexistantes, causant des centaines de milliers de morts et des millions de déplacés. Mais depuis la mort de la reine, il n’y a pas eu de place pour l’ambivalence, même si près d’un tiers de la population, surtout les jeunes, souhaite l’abolition de la monarchie.
Même les nationalistes écossais en lutte depuis des décennies contre la domination anglaise symbolisée par les Windsor ont participé au deuil effusif. Les querelles, les problèmes urgents comme l’inflation, la guerre en Europe, les dérèglements climatiques etc. peuvent attendre que soit géré le traumatisme national causé par le décès de la reine. Un éditorialiste de la BBC évoquant le long hiver au cours duquel d’aucuns ne pourront pas chauffer suffisamment leurs habitations à la suite de la crise énergétique a déclaré que ces souffrances étaient «insignifiantes» du fait de la mort paisible d’une grand-mère de 96 ans entourée de tous les siens…
Cerise sur le gâteau, le gouvernement de Liz Truss a interdit le survol de la Grande Bretagne par les jets privés des chefs d’États qui se sont annoncés aux obsèques officielles d’Élizabeth II le 19 septembre et qui ont été gentiment invités à emprunter des vols commerciaux et à renoncer aux voitures particulières pour prendre place à bord de bus affrétés spécialement, à l’exception de Joe Biden. Comme pour incruster dans le marbre l’image d’une reine irréprochable, Londres justifie cette décision par «les valeurs de modestie et de sobriété qu’incarnait la défunte reine».
Les Britanniques savent pourtant ce qu’ils payent pour entretenir le faste et les privilèges de la couronne incarnée par les enfants, petits-enfants et arrière-petits enfants d’Elizabeth II en faveur desquels de vastes étendues du Royaume-Uni sont enclos, devenant leurs propriétés. Malgré cette iniquité, l’aphorisme anglo-normand ‘’honni soit qui mal y pense’’ qui sert de devise à l’Ordre de la Jarretière, le plus important ordre de la chevalerie britannique, demeure de strict respect ici.
Les rares gloses irrévérencieuses sur la reine décédée n’ont été entendues que hors d’Europe, notamment au Kenya où des internautes rappellent le début du règne de la reine dans les années 1950 qui a coïncidé avec la répression sanglante du mouvement indépendantiste Mau-Mau; au Nigéria où Uju Anya, une survivante de la guerre du Biafra qui vit aux États-Unis, a ramené à la surface le soutien ouvert de la Grande-Bretagne dans la deuxième moitié des années 1960 à la dictature militaire qui décima sous les bombes et la famine plus d’un million d’Igbos en exprimant sur son compte Twitter son «mépris pour cette reine qui a supervisé un gouvernement qui a parrainé le génocide, qui a massacré et déplacé la moitié de ma famille et dont ceux qui vivent aujourd’hui tentent encore de surmonter les conséquences». En Afrique du Sud, rappelant les atrocités commises par les forces britanniques aux 19ème et 20ème siècles dans ce pays, l’opposant Julius Malema a déclaré : «Nous ne pleurons pas la mort d’Elizabeth car notre interaction avec la Grande-Bretagne a été marquée par la douleur, la mort et la dépossession, ainsi que la déshumanisation du peuple africain».
Si la mort d’Elizabeth II a pu ainsi produire une véritable union sacrée dans une opinion britannique habituellement bigarrée, les Congolais soumis depuis 1998 à une cruelle agression qui leur a coûté près d’une dizaine de millions de vies humaines devraient en prendre de la graine et mettre en relief un paradigme unificateur qui va dans le sens de l’Histoire. On n’imagine pas un opposant britannique rendre le 1er ministre Winston Churchill responsable des bombardements de la Luftwaffe hitlérienne qui firent des dizaines de milliers de morts et des destructions massives à Londres pendant la 2ème Guerre mondiale.
C’est une leçon de morale politique pour les matamores de l’opposition congolaise qui se vautrent avec une rare désinvolture dans des postures mélodramatiques et nauséeuses. Tant qu’ils ne saisissent pas que le vrai patriotisme pour un peuple agressé n’a rien à voir avec le communautarisme téléguidé vers lequel les «influenceurs» de tous acabits les entraînent, le Congo n’est pas sorti de l’ornière.
Rwanda is Killing et ce ne sont pas les jérémiades haineuses et grotesques de Martin Fayulu et ses affidés contre le président Félix Tshisekedi qui désarmeront les gros bras assassins télécommandés par le tristement célèbre ‘Congo Desk’ de Kigali qui écument les monts et les vallées des belles et riches provinces du Kivu et de l’Ituri.
Être patriote aujourd’hui n’a donc rien à voir avec les tortillements de ceux qui cherchent seulement à éblouir de généreux influenceurs ou qui courbent l’échine pour éviter d’avoir à choisir entre les forces en présence ou de prendre le parti du pouvoir en place au risque d’être accusé de perdre son «objectivité». De pauvres arguties sophistes et désincarnées…
Pour l’heure, face à l’agression récurrente qui a fait du Congo-Kinshasa la lie de l’Afrique, voire de l’humanité, que l’on soit de l’opposition, de la majorité ou de la société civile, nul n’a le droit de distraire les Congolais du devoir prioritaire qui leur incombe de faire front à l’unisson. Se limiter à maugréer à tout bout de champ sur la prétendue ‘’incapacité’’ de Félix Tshisekedi, de son gouvernement et des FARDC qu’ils ont déployés contre les agresseurs rwandais est en définitive un exercice de démoralisation et de démobilisation blâmable en temps de guerre car il met de l’eau au moulin de l’agresseur rwandais et des oligarchies financières extra-africaines hégémoniques dont Kigali est le sous-traitant connu et reconnu. Le combat contre les extrémistes au pouvoir au Rwanda et leurs sbires du M23 est donc indispensable car rien n’est plus légitime pour un pays et son peuple que de se battre pour son existence, sa souveraineté, sa sécurité et l’intégrité de son territoire.
A l’évidence, de même qu’une poule ne peut engendrer des canetons, le système politicomédiatique congolais tel qu’il se développe aujourd’hui n’est pas à même de formater autre chose que ces lamentables logorrhées insensées qui justifient l’injustifiable dans ce grand pays où le philosophe et psychologue Frantz Fanon a vu la ‘‘gâchette du revolver Afrique’’.
Fayulu, Lokala et leurs semblables ont donc tort de cultiver sans cesse l’ambiguïté chez leurs compatriotes en les noyant dans une lecture vaporeuse de l’histoire immédiate et en renvoyant paresseusement ‘’dos-à-dos’’ les représentants en place du peuple congolais et ceux qui agressent le Congo, en donnant à croire que la planète est remplie d’hommes de bonne foi qui ne pensent qu’à accourir à la rescousse des Congolais martyrisés.
Dans le monde réel, il n’y a que le rapport de forces entre nations même lorsqu’elles vivent côte à côte.
Dans cet écheveau de contradictions nouées par l’histoire et la géographie entre ces ensembles finis que sont les États engagés dans une compétition incessante, il faut un minimum de lucidité pour opérer un choix utile même au détriment des luttes de positionnement personnel. C’est ce que le Dr. Gilbert Kabanda, le ministre de la Défense nationale rappelle en mettant en relief le cadre logique des six fonctions stratégiques classiques que sont la connaissance, la prévention, l’anticipation, la dissuasion, la protection et l’intervention.
Puissent les janissaires prêts à dégainer contre leur propre camp comprendre tout l’intérêt de ce cadre logique.
A.M. AVEC LE MAXIMUM