Mercredi 10 août 2022, après son séjour kinois, le secrétaire d’Etat US Anthony Joe Blinken, est arrivé à Kigali, dernière étape d’une tournée africaine qui l’avait déjà menée en Afrique du Sud quelques jours plus tôt. Objectif claironné sur tous les toits depuis mi-juillet : offrir une alternative à l’influence de la Russie et de la Chine sur le continent noir à travers une nouvelle offre de coopération qui culminera, fin décembre, par un sommet USA-Afrique à Washington DC. Le contenu des échanges entre le patron du département d’État américain et ses hôtes étaient, eux aussi, connus d’avance. A Pretoria, il devait plancher sur les opportunités de la nouvelle offre diplomatique yankee et essayer de ramener ce pays phare du continent, membre du BRICS, dans le giron occidental dont il semblait s’éloigner. Au pays de Lumumba et au Rwanda, États-pivots dans la nouvelle guerre froide mettant aux prises la Chine et la Russie d’un côté et les États-Unis de l’autre, il était question à la fois de rassurer du soutien de Washington et de tempérer l’escalade d’un dangereux conflit provoqué par l’hégémonisme belliqueux de Kigali qui venait de se révéler à travers une énième agression contre son immense et riche voisin.
Avec le président rd congolais Félix-Antoine Tshisekedi et son gouvernement ce sont les questions de sécurité et de défense (la situation à l’Est du pays), de croissance économique, d’environnement et de protection de la biodiversité qui étaient à l’ordre du jour. Tout autre chose qu’à Kigali où Anthony Blinken devait également exprimer à Paul Kagame l’anxiété des puissances occidentales devant le peu de considération de son régime pour les droits de l’homme dans la région et dans son propre pays par son pouvoir, illustré particulièrement par le dossier Paul Rusesabagina, cet opposant Hutu rwandais sauveur de plus d’un millier de Tutsi pendant le génocide de 1994. Détenteur d’un passeport belge, résidant aux Etats-Unis, Rusesabagina dont l’histoire a inspiré le film ‘’Hôtel Rwanda’’ a été enlevé par les services secrets rwandais alors qu’il faisait escale à Dubaï, en route vers Bujumbura. Jugé hâtivement, il a été condamné à 20 ans d’emprisonnement sous l’incrimination farfelue de « soutien aux génocidaires FDLR ». C’est ce qui fut fait.
Comme à Kinshasa où il s’était préalablement entretenu en tête-à-tête avec le chef de l’État avant de prendre part à une séance de travail bilatérale élargie suivie d’un point de presse conjoint avec son homologue du lieu, Antony Blinken a parlé aux médias locaux et étrangers admis à son point de presse de Kigali, jeudi 11 juin 2022. Il a réaffirmé que « les rapports qui indiquent que le Rwanda continue à soutenir les rebelles du M23 et possède ses propres forces en RDC sont crédibles, ce qui met en danger les communautés locales et la stabilité dans la région. Chaque pays doit respecter l’intégrité territoriale des autres ». Sur son compte Twitter, le même jour, le secrétaire d’État américain a écrit que ses entretiens avec les autorités rwandaises à Urugwiro Village, siège de la présidence de la République du Rwanda, avaient porté sur « la relation américano-rwandaise et comment réduire les tensions et la violence en cours dans la région. Nous avons également discuté des préoccupations des Etats-Unis concernant la démocratie et les droits de l’homme au Rwanda, notamment la détention injustifiée de Paul Rusesabagina ».
Mais la plupart des médias sélectionnés par la présidence rwandaise ont déformé les propos du plénipotentiaire US, parfois en les sortant délibérément de leur contexte pour en travestir grossièrement le sens.
Alors que France24 a paraphrasé Blinken déclarant que « nous avons discuté des rapports crédibles qui indiquent que le Rwanda continue de soutenir le groupe rebelle M23 » selon le site de la chaîne de télévision publique de l’Hexagone à la même date et que les reporters Jorge Engels et Jennifer Hansler de CNN indiquaient que « le jeudi 11 août au cours de la conférence de presse conjointe avec son homologue rwandais, Vincent Biruta, Blinken a dit avoir soulevé avec Kagame la question des rapports crédibles concernant le soutien présumé du Rwanda au groupe rebelle (…) et les allégations selon lesquelles les forces rwandaises seraient envoyées en RDC voisine » avant d’ajouter que « mon message au président Tshisekedi de la RDC et au président Kagame est le même : tout soutien ou coopération avec un groupe armé dans l’Est de la RDC met en danger les communautés locales et la stabilité régionale. Chaque pays dans la région doit respecter l’intégrité territoriale des autres. Blinken a affirmé avoir également soulevé de sérieuses inquiétudes concernant les droits de l’homme avec Kagame au Rwanda en demandant que les gens de tous les pays puissent exprimer leurs opinions sans crainte d’intimidation, d’emprisonnement, de violence ou de toute autre forme de répression. Il a dit avoir souligné la préoccupation des États-Unis concernant le manque de garanties d’un procès équitable pour M. Rusesabagina et continué d’exhorter le gouvernement à répondre aux préoccupations concernant les protections juridiques qui lui sont accordées dans cette affaire et à établir des garanties pour empêcher des résultats similaires à l’avenir ».

Bizarrement, deux médias publics français, TV5Monde et RFI ont entendu autre chose à Kigali. Sur TV5Monde, R. Mugisha a prétendu que « le secrétaire d’État Antony Blinken a appelé jeudi les gouvernements congolais et rwandais à cesser de soutenir les groupes armés dans l’Est de la République Démocratique du Congo. Il existe des rapports crédibles sur un soutien aux groupes armés par toutes les parties, y compris les FDLR par les forces congolaises et le M23 par les forces rwandaises ». Nageant dans la même sauce révisionniste, RFI soutenait de son côté que A. Blinken aurait déclaré qu’ « il y a des informations crédibles sur un soutien aux groupes armés par toutes les parties, y compris les FDLR par les forces congolaises, et le M23 par les forces rwandaises ». Pire, selon le reportage de la ‘’radio mondiale’’ (sic !), Antony Blinken n’avait fait aucune annonce au sujet de Paul Rusesabagina, et qu’il s’était contenté de déclarer que « la criminalisation de la participation de certains individus à la politique et le harcèlement de ceux qui critiquent le gouvernement en place mettent en péril la paix, la stabilité et les succès futurs du Rwanda ».
Morale de l’histoire : Antony J. Blinken n’a pas renvoyé dos à dos la RDC comme une certaine presse européenne s’est efforcée de le faire croire, loin de là. On se perd en conjectures sur ces ergotages contradictoires qui révèlent autant la culture de l’intoxication systémique instaurée par le régime en place au Rwanda que le déficit de professionnalisme dans le chef de certains médias « globaux » qui ne sont en réalité que des « médias mensonges ».
LE MAXIMUM