Dimanche 7 août 2022, le secrétaire d’Etat américain, Anthony Blinken, entame une tournée africaine qui le conduira à Pretoria, Kinshasa et Kigali, ainsi que le département d’Etat l’a annoncé le 29 juillet à Washington. Un voyage manifestemment destiné à contrecarrer l’influence russe et chinoise sur le continent noir. Il s’agit pour le chef de la diplomatie de l’administration Biden «d’expliquer aux pays africains qu’ils ont un rôle géostratégique essentiel et sont des alliés cruciaux sur les questions les plus brûlantes de notre époque, de la promotion d’un système international ouvert et stable à la lutte contre les effets du changement climatique, l’insécurité alimentaire et les pandémies mondiales», selon le communiqué officiel publié à cet effet par ses services.
A Kinshasa et à Kigali, Blinken évoquera le regain de tension qui n’est pas près de redescendre entre les deux capitales, au vu de l’évolution de la situation sur le terrain des affrontements entre les forces armées congolaises et les Rwanda defense forces par M23 interposé. L’entendement américain du «rôle géostratégique» des deux pays devrait apparaître au cours d’entretiens que tiendra sans nul doute Anthony Blinken avec Félix Tshisekedi, puis avec Paul Kagame.
Les observateurs notent, en effet, qu’après avoir concentré ses efforts à réduire l’influence économique rampante de la Chine sur le continent, particulièrement en Afrique centrale, Washington tient désormais à contrer la Russie dont la percée est, elle aussi, manifeste en Afrique. Ce n’est pas un hasard si la tournée de Blinken survient quelques semaines après celle effectuée par son alter ego Russe, Sergeui Lavrov, dans quelques Etats africains. Presqu’au même moment où le secrétaire d’Etat américain sera en Afrique du Sud, en RDC et au Rwanda, Linda Thomas-Greenfield, ambassadrice américaine à l’ONU visitera le Ghana et l’Ouganda. Tandis que Samantha Power, cheffe de l’Agence américaine d’aide au développement sera en train de terminer une tournée au Kenya et en Somalie.
Rôle décisif
Le rôle prépondérant joué par Washington dans l’évolution de la situation politique en RDC depuis la fin de la guerre froide est un secret de polichinelle : le projet de balkanisation du pays mis en œuvre par Kigali avec le soutien des puissances économico-financières, essentiellement anglo-saxonnes, est aussi et même avant tout d’inspiration américaine. La résolution du problème aussi, donc, ainsi qu’une enquête de Jeune Afrique sur le sulfureux businessman israélien Dan Gertler, largement distribué dans les réseaux sociaux, le rappelle. En réduisant les résolutions du fameux Dialogue de Sun City, fondateur d’un nouveau pacte républicain en RDC, à une décision de la diplomatie et de l’exécutif américains. «Le 17 avril 2002, Jendayi Frazer écrit à Joseph Kabila, au nom du président Bush, qu’il faudrait mettre sur pied un gouvernement de transition incluant les mouvements rebelles. Une médiation avec le Rwandais Paul Kagame est indispensable», ajoute l’hebdomadaire qui, paraphrasant Mathieu Olivier et Romain Gras, précise que «cinq jours plus tard, Kabila donne son aval. Condie Rice, Dan Gertler et surtout, Jendayi Frazer et Chaïm Lebovits multiplient les rendez-vous et échangent des centaines de lettres et de courriels (…) Le quatuor finit par proposer un plan prévoyant l’instauration d’un gouvernement de transition comportant trois postes de vice-président, attribués à l’opposition politique, au Mouvement de libération du Congo (de Jean-Pierre Bemba) et au Rassemblement congolais pour la démocratie (d’Ernest Wamba dia Wamba)».
Pessimisme à Kinshasa
A Kinshasa, si une certaine opinion se laisse aller à placer ses derniers espoirs dans le séjour annoncé d’Anthony Blinken dans la région pour persuader Kigali de se retirer des territoires qu’il occupe en RDC, certains observateurs se montrent plutôt pessimistes. «Le secrétaire d’Etat américain vient jouer aux équilibristes entre les deux pays, à défaut de pouvoir blâmer franchement Paul Kagame», avance ce professeur de droit de l’Université de Kinshasa. Qui rappelle à cet égard qu’en 2013, lorsqu’il avait été prouvé que Kagame armait le M23, Washington n’avait pas eu besoin de déplacer un si haut personnage pour lui ordonner de lever le pied au Nord-Kivu. Entre Kinshasa et Kigali, Washington pourrait donc tenter de couper la poire en deux, en renvoyant l’agresseur et l’agressé à d’interminables négociations. Ce à quoi le M23 semble se préparer activement et qui est loin d’enchanter Kinshasa. L’opinion publique ici se montre de plus en plus excédée par le lourd tribut humain et matériel payé à l’aventurisme militaire de Kigali depuis l’invasion rwando-burundo-ougandaise sous le défunt Maréchal Mobutu. Nombreux sont ceux qui, au pays de Lumumba, en appellent à tourner les regards vers d’autres horizons (la Russie?) dont l’intervention dans certains pays du continent paraît plus porteuse d’espoirs de paix. «Trois décennies d’exactions multiformes de groupes armés nationaux et étrangers ont démontré les limites de la pax américana», déclare notre interlocuteur.
Le 1er août 2022, les forces rwandaises et leurs supplétifs ont ainsi simultanément attaqué les positions des FARDC à Bukina et Kanombe en territoire de Rutshuru. Vers 12h00 locales le même jour, une attaque similaire était signalée sur la colline de Karazaro à Kigoma dans la localité de Nkokwe.
Mardi 2 août, les affrontements sont allés crescendo dans la région, entraînant d’importants déplacements de populations. Selon des sources, mercredi 3 août, certaines localités congolaises comme Kadahenda et Nyesisi seraient passées sous contrôle rwandais.
Même si les FARDC n’ont pas encore communiqué sur cette nouvelle évolution du front, les villages de Kabaya, Kanombe, Nkokwe et Rubumba se seraient vidés de leurs populations fuyant vers Rumangabo, entre autres.
Kigali se prépare de toute évidence à négocier en position de force, comme toujours. En RDC, de plus en plus de voix s’élèvent pour exhorter Kinshasa à envisager sérieusement la diversification de ses alliances stratégiques en se tournant vers la Chine et la Russie dont les interventions dans certains pays africains se révèlent souvent gages de succès.
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