Lors d’un briefing en direct le 26 juillet dernier à la Radiotélévision nationale congolaise (RTNC) devant des journalistes de la presse nationale et internationale, Khassim Diagne représentant adjoint du secrétaire général des Nations-Unies en RDC, s’était laborieusement efforcé de dédouaner a priori la Monusco après un premier bilan macabre des manifestations contre cette mission onusienne à Goma et Butembo. «Nos éléments n’ont pas tiré sur les manifestants. Ce n’est pas nous qui avons tiré sur les manifestants. C’est interdit chez nous. Si on avait tiré, il y aurait eu plus de morts», avait-il martelé devant une assistance éberluée, insinuant que les morts et les blessés par balle étaient imputables aux manifestants eux-mêmes et aux forces de défense et de sécurité congolaises dont le N°2 de la Monusco ternissait ainsi insidieusement l’image sans la moindre preuve susceptible de convaincre l’opinion publique noyée dans un déluge de témoignages et d’images révélant le contraire.
Plus prompte à faire la leçon à leurs partenaires congolais de très loin moins équipées qu’elle, la Monusco essayait ainsi de couvrir grossièrement les excès de certains de ses éléments honnis par des populations civiles de l’Est victimes depuis trop longtemps des groupes armés dans l’indifférence totale de la communauté internationale. Avec une totale absence d’empathie, Mathias Gilmann, porte-parole de la mission estimait le 25 juillet que « les incidents de Goma sont non seulement inacceptables mais totalement contreproductifs. La Monusco est mandatée par le Conseil de sécurité pour accompagner les autorités à protéger les civils. Elle se tient aux côtés des populations et appuie les forces de défense et de sécurité nationale dans leur lutte contre les groupes armés ». Il a fallu qu’un habitant de Kasindi, poste douanier à la frontière ougando-congolaise, poste sur les réseaux sociaux la scène d’un groupe de casques bleus tirant à bout portant sur des paisibles manifestants dimanche 31 juillet passé pour que Mme Bintou Keïta, la représentante spéciale du Secrétaire Général de l’ONU et cheffe de la Monusco batte sa coulpe en évoquant sa « stupéfaction » devant « l’incident grave qui s’est produit à la frontière entre la République Démocratique du Congo et l’Ouganda, au cours duquel des militaires de la Brigade d’intervention de la force Monusco de retour de congé ont ouvert le feu au poste frontalier pour des raisons inexpliquées et forcé le passage. Cet incident grave a causé des pertes en vies humaines et des blessés graves ». Pour sa part, le gouvernement dans une réaction protocolaire laconique a présenté par son porte-parole Patrick Muyaya « ses condoléances aux familles éplorées et toute sa compassion aux blessés. Il leur rassure que des dispositions requises sont en cours pour assurer la prise en charge matérielle et judiciaire consécutive à ce drame ».
Tshisekedi tape du poing sur la table
Devant tant de frustrations accumulées par les populations congolaises, le chef de l’État Félix Tshisekedi a pris le taureau par les cornes. Tard dans la nuit du 1er août 2022, il a convoqué une réunion interinstitutionnelle d’urgence pour analyser à chaud le rapport de la mission gouvernementale dépêchée à Goma, Butembo, Beni, Kasindi, Kanyabayonga et Uvira afin d’en tirer toutes les conséquences. Le rapport de cette mission conduite par le vice 1er ministre et ministre de l’Intérieur Daniel Aselo fait froid dans le dos. On apprend que le bilan en pertes humaines de ces manifestations anti-Monusco est très lourd avec 36 morts (13 à Goma, 13 à Butembo dont 4 casques bleus, 4 à Uvira, 3 à Kanyabayonga, et 3 à Kasindi) et 170 blessés graves. Ce bilan en dit long sur le désamour entre des populations censées bénéficier de la protection de la mission onusienne et cette dernière qui semble avoir passé 22 longues années sans modifier d’un iota le rapport de forces avec des terroristes qui déciment jours et nuits les Congolais qui croisent leur route. 36 victimes en six jours de manifestations pour une revendication populaire que tout le monde juge « compréhensible », c’en était trop pour le président Tshisekedi qui a ordonné au gouvernement de réexaminer le plan convenu pour le retrait de la Monusco. Ce n’est manifestement pas l’avis de tout le monde car, mettant l’accent sur les actes de vandalisme qui ont accompagné les manifestations, le Département d’État américain et le Conseil de sécurité des Nations-Unies ont plus insisté sur leur condamnation et appelé le gouvernement congolais à protéger le personnel et les installations de la Monusco à laquelle les Congolais reprochent son incapacité à assumer sa mission de protection des civils 23 ans après son déploiement en RDC. Difficile dans ces conditions d’envisager une solution autre que celle suggérée par Félix Tshisekedi aux technostructures nationales compétentes d’examiner, toutes affaires cessantes le départ de la Monusco. Il a, pour ce faire, enjoint le gouvernement d’organiser une réunion de crise avec la mission onusienne à cet effet conformément à la résolution 2556 du Conseil de sécurité et en a clairement informé le secrétaire général des Nations-Unies au cours d’un entretien téléphonique.
Justice et réparation pour les victimes
Dimanche passé, après le carnage de Kasindi, la Monusco avait timidement rétropédalé en affirmant que « les auteurs de la fusillade ont été identifiés et mis aux arrêts en attendant les conclusions de l’enquête qui a d’ores et déjà commencé en collaboration avec les autorités congolaises ». On a appris que le commandement de la force onusienne avait pris contact avec le pays d’origine de ces militaires « pour qu’une procédure judiciaire soit initiée urgemment avec la participation des victimes et des témoins, afin que des sanctions exemplaires soient prises dans les meilleurs délais ». C’est la procédure prévue en la matière par le SOFA, l’accord de siège signé le 04 mai 2000 entre l’ONU et la RDC concernant le statut de la mission onusienne dans ce pays. L’article 50 de ce texte accorde une immunité de juridiction à « tous les membres de la MONUC, y compris le personnel recruté localement ». Dans le cas d’espèce, les casques bleus impliqués dans les incidents sanglants du Nord-Kivu doivent être déférés devant les cours et tribunaux de leurs pays de provenance pour en répondre. L’article 47 du SOFA stipule que « la MONUC et le gouvernement se prêtent mutuellement assistance pour la conduite de toutes enquêtes nécessaires concernant les infractions contre les intérêts de l’un ou de l’autre, ou des deux, pour la production des témoins et pour la production des preuves, y compris la saisie, et s’il y a lieu, la remise de pièces et objets se rapportant à l’infraction». Le gouvernement congolais a donc le devoir de jouer pleinement sa partition afin de permettre aux victimes et à leurs proches d’obtenir justice, réparation et compensations.
Ceci suppose que l’identité des éléments incriminés soient rendues publiques en temps utile et en toute transparence pour permettre notamment la constitution des parties civiles avec l’appui de la Monusco, devant les instances judiciaires des pays dans lesquels ces casques bleus devront comparaître. Il s’agit d’offrir toutes les garanties d’une justice réparatrice aux victimes congolaises et à leurs proches. L’expérience des 22 dernières années prouve à suffisance qu’on ne peut pas croire la Monusco sur parole. Il en faut plus pour sauver ce qui peut encore l’être dans l’intérêt des familles des 36 morts et des 170 blessés graves du Nord-Kivu. D’autant plus qu’il s’observe dans le chef des responsables de la mission une inclinaison à isoler les 3 morts et les 15 blessés de Kasindi des autres victimes enregistrées à Goma, Butembo, Kanyabayonga et Uvira. Il importe que la justice passe pour tous ceux auxquels l’incurie de la mission onusienne aura causé préjudice, sans exclusive ni discrimination aucune.
Aveu d’impuissance, ressentiment et intoxications
Le ressentiment contre une mission onusienne qui donne de plus en plus l’impression de s’accommoder de la cohabitation avec les forces négatives contre lesquelles elle est censée protéger les populations civiles est allée crescendo, particulièrement depuis qu’au cours d’un point de presse hebdomadaire, Mathias Gilmann, se soit laissé aller à faire état de «l’incapacité de la force MONUSCO à faire face aux agressions dont la RDC est l’objet ». Cet aveu d’impuissance explique le ressentiment, voire l’exaspération des populations congolaises en proie à la violence des groupes armées depuis près de trois décennies. Même la très réservée (vis-à-vis de la mission onusienne) Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) de l’Église catholique a indiqué le 27 juillet qu’elle «comprend la colère des compatriotes qui participent à ces manifestations (car) le Gouvernement de la RDC et la Monusco ont montré leurs limites dans leurs missions de sécuriser les populations civiles exposées aux attaques des groupes armés en RDC. En effet, après plus de deux décennies d’insécurité, les Gouvernements qui se sont succédés et les différentes résolutions des Nations-Unies n’ont pas réussi à neutraliser les groupes armés nationaux et internationaux. Ces derniers continuent, en toute impunité, à semer la désolation auprès des populations civiles», selon son président Mgr Marcel Utembi Tapa, archevêque de Kisangani. Dans les territoires de l’Est de la RDC où sévissent plus d’une centaine des groupes armés, dont un bon nombre entretenus par des États voisins, nombreux sont ceux qui tireraient profit de l’absence de la force onusienne qui, en 2013, avaient largement contribué à la défaite du M23, entre autres faits d’armes. En effet, après avoir été défait il y a 10 ans, ces assaillants soutenus par le Rwanda, ont récemment refait surface avec l’appui du même mentor.

A tort ou à raison, certains observateurs subodorent des manœuvres de Kigali et Kampala, qui n’ont jamais fait mystère de tout le mal qu’ils pensent de la présence onusienne en RDC, dans l’exacerbation des tensions entre les populations de l’Est de la RDC et la mission onusienne. Peu de doute subsiste à cet égard en ce qui concerne le pays de Paul Kagame dont l’aversion contre les casques bleus a été officiellement exprimée le 13 juin 2022 par Yolande Makolo, porte-parole du gouvernement, qui a accusé la Monusco de « prendre parti pour la RDC » (sic !) dans le conflit armé qui l’oppose au M23 et au Rwanda. Quant à l’Ouganda, Yoweri Museveni, le peu de considération qu’il a pour les troupes onusiennes est connu depuis qu’il avait déclaré, en janvier 2018, que «la Monusco préserve le terrorisme dans la zone», après que des rebelles ougandais de l’ADF aient perpétré une attaque meurtrière contre des casques bleus Tanzaniens non loin de la rivière Semliki dans la région de Beni.
On en était à ses conjectures peu flatteuses pour leur image lorsque des casques bleus du contingent tanzanien «de retour de vacances» le 31 juillet 2022 (selon la Monusco), ont forcé le passage de leurs véhicules au barrage frontalier de Kasindi (Nord-Kivu), tirant à balles réelles et tuant 3 civils Congolais. «Un véritable coup de pouce à la précipitation du départ des casques bleus de la RDC», selon un diplomate congolais à la retraite sur son compte Twitter.
En définitive, après une semaine de troubles anti-onusiens, tout le monde dans le pays et dans la région (Kinshasa, Kigali, Kampala, les groupes armées nationaux et étrangers, etc.) est d’accord : la Monusco doit s’en aller. Au plus tôt. En attendant, Mathias Gilmann, par qui le scandale est arrivé a été officiellement «invité à quitter le territoire congolais dans le plus bref délai » par le gouvernement congolais qui, aux termes d’une correspondance du chef de la diplomatie congolaise, Christophe Lutundula Apala, reproche à ce fonctionnaire « des déclarations indélicates et inopportunes (qui ne sont) pas de nature à favoriser un climat de confiance mutuelle et de sérénité si indispensable entre les institutions congolaises et la Monusco».
JN et JBD AVEC LE MAXIMUM