Dans une correspondance envoyée lundi 17 août 2020 au secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin et au secrétaire d’État aux affaires étrangères, Mike Pompeo, quelques sénateurs américains encouragent l’administration Trump à «relever les défis structurels en RDC, pour lutter contre la corruption de haut niveau et mettre fin à la violence systématique contre le peuple congolais. Les États-Unis ont une opportunité historique d’aider à relever les défis structurels en RDC en travaillant avec des partenaires pour construire des institutions démocratiques fortes, enmettant particulièrement l’accent sur celles qui combattent la corruption et construire l’état de droit», ont-ils écrit. Ils suggèrent aux États-Unis de concentrer leurs efforts sur le démantèlement de ce qu’ils ont allègrement désigné comme «système kleptocratique de l’ex-président Joseph Kabila Kabange».
Pour ces sénateurs qui se comportent comme des proconsuls de la RDC, «les efforts des États-Unis devraient se concentrer sur le démantèlement du système kleptocratique de l’ancien président Kabila, de sorte que les vastes richesses naturelles de la RDC profitent au peuple congolais. Sans s’attaquer à la corruption et à son impact sur les questions de gouvernance, du conflit violent aux élections et aux droits humains, ce bref moment de promesse sera perdu pour les mêmes forces qui ont contribué à une histoire d’exploitation en RDC ». Ils ajoutent que «si l’administration Tshisekedi peut démontrer des progrès dans la lutte contre la corruption et faire progresser les réformes pour répondre aux besoins du peuple congolais, cela affaiblira le système prédateur qui a frappé le pays et laissé trop de citoyens vivant dans la pauvreté et vulnérables à la violence».
D’aucuns s’étonnent à Kinshasa que, près de deux ans après une alternance démocratique réussie, certains suprématistes étrangers s’amusent à alimenter une logique d’autoflagellation des Congolais comme pour justifier leur diktat sur la gouvernance d’un pays qui n’est pas le leur. Les USA eux-mêmes sont loin d’être un modèle anti-corruption. On comprend maintenant que la perfusion financière promise aux nouvelles autorités congolaises de la part des USA n’est pas innocente et semble destinée à nourrir ces dérives néo-coloniales qui ne cadrent ni avec les règles diplomatiques, ni avec le droit international.
En effet, dans une étude publiée en octobre 2017 par l’ONG Transparency international, les Américains estimaient que leur société est bien plus corrompue qu’elle ne l’était depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump. Près de 6 personnes sur 10 interrogées jugent que la corruption a augmenté lors des 12 derniers mois, contre environ 3 sur 10 en janvier 2016, selon l’association Transparency International. La corruption est un problème endémique à la Maison Blanche pour 44% d’Américains interrogés, un chiffre en augmentation de 8 points. Et le Congrès est le plus fréquemment cité comme étant l’institution la plus corrompue, selon la même étude.
Alors que la moitié des sondés estimaient en 2016 que le gouvernement américain avait échoué dans sa lutte contre la corruption, ils sont désormais plus de 70% à partager cet avis. « Nos élus ont échoué (dans leurs efforts) pour susciter la confiance à l’égard de Washington dans sa capacité à être au service de la population. Ils sont toujours perçus comme représentant les intérêts d’une élite corporatiste», a commenté Zoe Reiter, porte-parole de Transparency. L’étude a été menée par téléphone auprès de 1.005 adultes entre octobre et novembre avec une marge d’erreur de 3,1%.
Après sa prise de fonction, le président Trump a confié à ses fils le contrôle quotidien de ses affaires mais a conservé toutes ses parts dans la Trump Organization. Avec un empire qui a des ramifications partout dans le monde, des voix s’étaient élevées contre la multiplicité des conflits d’intérêts en faveur du président américain. On doute qu’un tel gouvernement puisse légitimement donner des leçons de vertu en matière de gouvernance à qui que ce soit.
Par ailleurs, l’on rappelle que Roger Stone, le viel ami de Donald Trump qui a vu sa peine commuée en 2019 par le président américain, demeure jusqu’à ce jour «un repris de justice condamné et à juste titre», a affirmé l’ancien procureur spécial Robert Mueller, qui avait lancé les poursuites contre lui.
Stone, 67 ans, devait commencer déjà à purger la peine de quarante mois de prison qui lui avait été infligée, notamment pour subornation de témoin et pour avoir menti au Congrès dans le cadre de «l’enquête russe» sur la campagne de Trump en 2016. Le président, dont il est un ancien conseiller, avait annoncé sans se gêner qu’il commuait cette peine. L’influent sénateur républicain, Mitt Romney, a joint quelques mois avant sa mort sa voix à celles des démocrates pour dénoncer à cet égard un acte de «corruption». «Corruption historique, sans précédent: un président américain commue la peine de prison d’une personne condamnée par un jury pour avoir menti afin de protéger ce même président», avait tweeté Mitt Romney, ancien candidat républicain à la présidentielle de 2012.
Dans une tribune publiée dans le Washington Post, Robert Mueller a défendu son enquête. « Stone a été poursuivi et déclaré coupable parce qu’il a commis des crimes fédéraux. Il demeure un repris de justice condamné à juste titre », avait-il écrit.
De nombreux sénateurs américains sont accusés d’avoir profité d’informations dont ils disposaient grâce à leurs fonctions pour réaliser de juteuses opérations boursières au début de la crise sanitaire de la Covid-19. À la mi-février, le président de la commission du Renseignement du Sénat, Richard Burr, destinataire des rapports encore confidentiels sur la propagation du coronavirus, a ainsi vendu une partie de son portefeuille d’actions, à hauteur de 1,6 million USD. Le sénateur républicain de Caroline du Nord a pour sa part liquidé notamment ses parts dans des chaînes hôtelières qui perdirent depuis, plus de 30% de leur valeur, réalisant de la sorte une énorme plus-value.
Quinze jours plus tard, alors que Donald Trump et le parti républicain continuent de minimiser la gravité de la situation, Burr a tenu une réunion au Capitole avec un club de riches donateurs. «Il y a une chose que je peux vous dire à ce sujet, c’est que le virus est beaucoup plus agressif dans sa transmission que tout ce que nous avons vu dans l’histoire récente. Ça ressemble à la pandémie de 1918», leur a-t-il avoué.
Trois autres sénateurs dont deux républicains, Kelly Loeffler et James Inhofe, et une démocrate, Dianne Feinstein, auraient aussi vendu des centaines de milliers de dollars de leurs actions quelques jours après avoir assisté à une réunion confidentielle au Sénat sur la crise sanitaire de la Covid-19. Loeffler, élue de Georgie et épouse du secrétaire de la Bourse de New York, aurait vendu avec son mari dans les jours qui ont suivi cette réunion entre 1 et 3 millions USD d’actions, tout en rachetant des parts dans des sociétés commercialisant des logiciels de télétravail.
Soupçonnés de délit d’initié, ces sénateurs ont agi en violation du Stock Act, une loi qui interdit aux élus américains de réaliser des opérations financières en se basant sur des informations non-publiques. Tucker Carlson, présentateur vedette de la chaîne de télévision conservatrice Fox News, a jugé ce comportement inqualifiable. «Il n’y a pas de plus grand crime moral que de trahir son pays en temps de crise, et cela semble être ce qui s’est passé», a-t-il dit jeudi soir au cours de son émission.
Dans le même temps, Robert Menendez, sénateur du New Jersey de 63 ans, était accusé par les procureurs fédéraux d’avoir utilisé sa fonction pour défendre les intérêts d’un riche ami ophtalmologue et homme d’affaires de Floride, Salomon Melgen, en échange de cadeaux et de dons politiques. Le parquet a retenu pas moins de 14 chefs d’accusations à son encontre, pour une période allant de 2006 à 2013.
Menendez a bénéficié de nombreux vols gratuits en jets privés, du prêt d’une villa en République dominicaine, de séjours dans l’hôtel de luxe Park Hyatt Paris-Vendôme, de repas, de parties de golf… et de plus de 750.000 USD de dons de campagne.
En échange, selon l’accusation, il aurait aidé Salomon Melgen dans l’attribution d’un contrat à sa société de contrôle de marchandises auprès des douanes de la République dominicaine. Il serait intervenu aussi pour que les petites amies brésiliennes, dominicaines et ukrainiennes de son ami obtiennent des visas américains, ou pour l’aider à régler un contentieux avec le ministère américain de la Santé.
Les dessous des cartes
Les donneurs des leçons en matière de lutte contre la corruption et d’organisation des élections ainsi démasqués ne sont donc pas des saints dans leurs pratiques. Ils tentent seulement de se donner bonne conscience et de distraire le peuple congolais avec des affabulations du reste non élaborées sur Joseph Kabila, président honoraire de la RDC à qui ils n’ont jamais pardonné la promulgation d’un nouveau code minier favorable aux intérêts nationaux de son pays, encore moins sa volonté d’émancipation de la RDC des griffes de l’impérialisme.
Les sénateurs américains qui questionnent le processus de désignation des membres de la CENI n’ont d’autres buts que de contrôler cet attribut de la souveraineté de la RDC estiment plusieurs observateurs. En appellant à la vigilance de CACH face à la majorité écrasante du Front commun pour le Congo (FCC) de Joseph Kabila à l’Assemblée nationale où les futurs animateurs de la CENI devraient être investis, ils étalent leur ruse et cherchent à ankyloser le pays de Lumumba dans la chienlit. Ils évoquent les “intérêts démocratiques” qui seraient mis en péril en RDC par un président qui a eu l’élégance de quitter volontairement le pouvoir il y a deux ans alors qu’en réalité, ils craignent pour leurs propres intérêts hégémoniques en RDC.
Ces impérialistes n’auront jamais de cesse de se délecter des déchirements entre les différentes composantes de la classe politique congolaise.
Alfred Mote avec le Maximum