La République Démocratique du Congo doit illico presto accorder une protection rapprochée au chercheur et médecin kivutien Gérôme Muniengi. Tous les jours qui passent, ce jeune chercheur qui a découvert une molécule plus efficace que celle qui ‘‘officiellement’’ recommandée par l’OMS contre le paludisme (malaria) brave de nombreuses menaces de mort dans l’Est (Goma, Bukavu, Kindu) qu’il sillonne pour offrir son produit notamment dans des écoles. «Attention, vous êtes en train de piétiner notre business», c’est l’un des derniers postings de menaces qu’il a reçu au téléphone. Le Dr Muniengi a dit avoir identifié ce message comme provenant d’un grand dépôt pharmaceutique actif en RDC. Quelques jours plus tôt, le médecin chef d’une zone de santé de la province du Nord-Kivu qui s’est déployé à Goma avait réussi à empêcher la tenue de la conférence projetée par le chercheur sur l’artesunine, la tisane à partir de laquelle il a inventée son médicament. Vendu cinq fois moins cher que l‘ACT recommandée par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), l’antipaludéen de Muniengi a été jugé, en outre, plus efficace par un autre laboratoire au Sénégal. En d’autres termes, le médicament proposé par l’OMS ne ferait que disparaître les symptômes du palu alors que celui de Muniengi a l’avantage de l’éradiquer jusqu’au niveau des cellules souches.
Voilà quatre ans que ce chercheur rd congolais peine à faire publier les résultats de ses recherches dans un journal médical de référence mondiale pour que son produit soit enfin reconnu à l’échelle internationale. Même la Fédération internationale des fabricants de médicaments ne veut pas en entendre parler, rapporte une enquête réalisée par la chaine française France 24. Au moins 500.000 personnes, essentiellement, sur le continent africain, meurent du palu. «L’Afrique a besoin des insoumis de la recherche», confie le Dr Muniengi, qui visiblement, n’a aucune intention de reculer dans sa croisade contre le palu avec ce moyen de fortune mais combien efficace. Pourtant, des menaces, il en a connu et essuyé, y compris à Paris, où il s’était fait arracher son carnet de recherches au point qu’il a dû s’enfuir du pays-berceau des droits de l’homme et de Louis Pasteur.
Muniengi croit, à l’instar de l’industrie pharmaceutique chinoise, que l’OMS roule pour les intérêts des firmes occidentales du secteur. L’organisation mondiale accompagne, en effet, une campagne de test de vaccin antipalu, notamment au Kenya, mais refuse d’apporter le moindre soutien au chercheur congolais.
Une affaire des gros sous
L’opinion se souviendra de la polémique sur les vrais faux antipaludéens à base de quinquina qui a notamment opposé Zenufa à Pharmakina. Des dizaines de milliers de dollars étaient en jeu, au point que la justice a longtemps traîné à rétablir la vérité.
Depuis début juin 2019, les écorces de quinquina, la poudre de totaquina, le sel de quinine et le rauwolfia connaissent une stabilité de prix sur le marché international en se négociant respectivement à 1,53 USD, 54 USD,91,80 USD et 1,53 USD. Mais voilà que la tisane de Muniengi risque de bouleverser le marché des antipaludéens. La firme Roche détiendrait, en effet, des parts dans la société Pharmakina qui dispose de 4 000 hectares de plantations de quinquina en RD Congo et au Rwanda, dont 3 800 dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu. Elle en tire l’essentiel de sa matière première. Ce laboratoire situé en RDC est l’un des premiers producteurs africains de sels de quinine et de toute une gamme de médicaments (sirops, comprimés, solutions injectables pour nourrissons, enfants et adultes) destinés à combattre la fièvre et le paludisme, l’une des maladies les plus mortelles en Afrique subsaharienne.
Seule entreprise de la filière dans le pays, Pharmakina, qui emploie quelque 2.000 personnes, dont 1.300 saisonniers, est aussi l’unique unité pharmaceutique ici à avoir ciblé l’export. Un marché qui représente environ 40 % de son chiffre d’affaires. Ce sont surtout les sels de quinine qui sont exportés vers l’Asie (Inde, Pakistan, Chine), l’Europe (Allemagne, Espagne, France) ainsi que vers le Kenya, l’Ouganda, la Tanzanie, l’Afrique du Sud, le Sénégal, le Cameroun, le Bénin et le Ghana. Quant aux produits finis (sirops, etc.), s’ils comptent quelques clients au Rwanda et au Burundi, ils sont surtout écoulés en RD Congo. À Kinshasa, notamment, qui absorbe 60 % de la production. Pharmakina doit aussi affronter la concurrence asiatique sur son propre marché intérieur. Des sources proches du producteur signalent que de nombreux Indiens viennent s’approvisionner localement en quinquina, puis vont fabriquer en Inde les médicaments qui sont ensuite exportés vers la RD Congo sans que l’on sache combien cela rapporte au Trésor.
Les régies financières, l’ancienne Office national du café, le ministère de l’Agriculture et la Banque centrale du Congo, que nos rédactions ont approchés, ne disposent pas de données spécifiquement retracées sur les exportations de quinquina ou de la papaïne.
800.000 morts/an dues aux antipaludéens
Non seulement les faux médicaments ne font rien, mais ils tuent. C’est l’argumentaire de la campagne de sensibilisation que la Fondation Chirac mène en Afrique. Elle estime à 800.000 le nombre de décès chaque année dus aux faux médicaments contre la malaria. Cette campagne vise à lutter contre la vente et la prise de faux médicaments qui prend des proportions inquiétantes dans la mesure où la majorité ne sait pas distinguer en l’espèce le vrai du faux.
Les pharmaciens attirent régulièrement l’attention sur les médicaments dits génériques, plus fréquemment contrefaits. «Une partie de la solution réside dans la protection de marques qui permet aux consommateurs d’être rassurés sur l’origine des produits», fait remarquer à ce sujet le pharmacien Romain Boyoko Sale. «Certains prétendent que les marques sont importantes uniquement pour les médicaments chers et brevetés. Mais c’est l’inverse qui est vrai parce que la plupart des médicaments consommés dans le monde sont des génériques, c’est-à-dire des médicaments dont les brevets ont expiré. Ce qui devrait créer un marché dynamique de génériques de marque où la concurrence porte non seulement sur le prix, mais aussi sur la qualité», poursuit-il. La non-protection des marques dans les pays en développement signifie que les patients ne peuvent être que rarement sûrs que les produits génériques qu’ils achètent sont des médicaments authentiques. D’après ce pharmacien, les médicaments non-brevetés sont souvent contrefaits. «Dans les pays riches, le droit de la responsabilité civile veille à ce que les consommateurs lésés puissent obtenir réparation auprès des tribunaux, décourageant ainsi la contrefaçon et ceux qui la colportent. Cela n’est possible qu’avec des systèmes juridiques efficaces, indépendants et non corrompus », commente Boyoko. Malheureusement, regrette-t-il, les gouvernements, les tribunaux et la police de la plupart de nos pays sont loin de cet idéal car leur laxisme dû à la corruption endémique permet à des criminels de s’en sortir en payant des pots-de-vin, rendant ainsi toute précaution inutile.
Les taxes et tarifs douaniers qui à eux seuls représentent environ 20% du prix du médicament rendent ce dernier plus cher, ce qui facilite la circulation des faux produits. Le renforcement de l’État de droit est certes essentiel pour la lutte contre la contrefaçon de médicaments, mais ce sont des réformes courageuses, longues et difficiles que l’Etat doit surtout entreprendre en la matière.
PLM