En avant toutes vers l’industrialisation. La première partie du mégaprojet Grand Inga, qui fera du Congo-Kinshasa la plus grande puissance énergétique du continent acquise non sans mal.
Ce n’est pas trop tôt. Parce que le projet existe depuis une trentaine d’années. Mais, mieux vaut tard que jamais, comme le rappelle un adage populaire. Mardi 16 octobre 2018 à Kinshasa, le président de la République entouré de tout le Gouvernement a personnellement présidé la cérémonie de signature de l’Accord de développement exclusif du Projet Inga III. Le document signé par les consortiums China Inga III, Pro Inga Espagne et l’Agence pour le Développement et la Promotion du Grand Inga (ADPI) sous le regard de Joseph Kabila à l’Hôtel du Gouvernement est destiné à gérer les relations de coopération pour la mise en œuvre du projet Inga III et à fixer les modalités des études d’exécution et environnementales sur financement propre des consortiums signataires.
Chantage néocolonialiste de la Banque Mondiale
« Gérer les relations de coopération », « modalités des études d’exécution et environnementales », ça peut paraître un langage de bois, hermétique à une grande partie de l’opinion. Et c’est sûrement une sorte langage diplomatique qui enrobe le véritable parcours du combattant souverainiste au terme duquel le projet Inga III, intempestivement abandonné il y a quelques temps par la Banque Mondiale qui en avait pourtant assuré le financement d’études de faisabilité, a pu être sauvé. Les ambitions légitimes de la RD Congo, également. L’incident remonte à juillet 2016, lorsque l’institution de Bretton Woods décida brusquement de plier bagages, arguant de ce que Kinshasa aurait sélectionné des entreprises « blacklistées » (par la BM) et mais surtout rattaché le projet Inga III à la présidence de la République, comme s’il appartenait aux ronds-de-cuir de la banque de décider de la dispensation des compétences institutionnelles en RDC !
La Banque Mondiale exigeait que le projet qui devait aboutir à la fourniture de quelque 4800 MW d’électricité soit piloté par le gouvernement et qu’une loi en bonne et due forme soit votée au parlement à cet effet. Kinshasa a sèchement refusé cette incursion dans l’organisation des structures étatiques congolaises, malgré les pressions et l’urgence de la situation.
Parce que le projet Inga III est, notamment, soutenu par l’Afrique du Sud qui s’engage à acheter 2500 MG à produire dans un délai maximum de 10 ans pour couvrir ses besoins internes à l’horizon 2040. En fait, le pays de Nelson Mandela avait conclu un traité d’achat d’énergie électrique prévoyant la livraison de premiers mégawatts au plus tard en 2021, au terme de quelque 5 années de travaux de construction. La volte-face de la Banque Mondiale exposait Kinshasa au retrait de l’offre d’achat sud-africaine, gage de la bancarisation de l’ambitieux projet rd congolais.
Kinshasa, la persévérance et la détermination payent
La signature intervenue mardi 16 octobre dernier indique que Kinshasa a eu raison de mettre en avant son droit souverain. Un appel d’offres international a été lancé qui a permis de contourner la Banque Mondiale, mais surtout aidé Kinshasa à sélectionner les offres les « mieux disantes » conformément à ses besoins propres et à ses ambitions. De 4800 MW, les travaux d’Inga III visent désormais la production de 11.000 MW de puissance installée, soit plus du double du précédent projet, pour un coût de 14 milliards USD.
Et ce n’est pas tout, parce que Kinshasa n’a pas encore dit son dernier mot sur le dossier. Au terme d’études d’exécution qui seront financées par les consortiums Sino-Espagnols, les nouvelles estimations de coût doivent être soumises à l’approbation de la RD Congo. Car, ainsi que l’a expliqué Bruno Kapanji Kalala, le patron de l’ADPI mardi dernier, Inga III est une partie du Grand Projet Inga qui « vise à concrétiser la vision du président Joseph Kabila Kabange (…) de faire la République Démocratique du Congo la plus grande puissance en matière énergétique du continent ».
Trois impératifs ont présidé au choix porté sur les consortiums Chinois et Espagnols, selon les explications de Bruno Kapanji : l’augmentation significative de la demande nationale, sous-régionale et continentale depuis le lancement de l’appel d’offres internationales en 2010 ; les économies d’échelle que représente la construction d’ouvrages de base pouvant par la suite soutenir l’augmentation graduelle de la capacité totale du Grand Inga, offrant par la même occasion un plus bas prix de l’électricité au monde ; la cohérence avec l’enjeu de l’accélération de l’électrification du continent telle que définie par la Banque Africaine de Développement (BAD).
Exclusivité contre 14 milliards de financement
En contrepartie de l’exclusivité leur accordée sur le projet Inga III, les consortiums Chinois et Espagnols se sont engagés à financer les études d’exécution et à les actualiser en fonction de la nouvelle taille du projet porté à 11.000 MW. Ces études comprennent des études d’impact environnemental et social autant que les intentions d’achat d’électricité au terme desquelles le coût exact du projet estimé aujourd’hui à 14 milliards USD sera déterminé et soumis à l’appréciation du président de la République et du Gouvernement de la RDC.
Délestés du chantage à peine voilé de la Banque Mondiale, les négociateurs rd congolais ne se sont pas arrêtés en si bon chemin et se sont assurés que l’ensemble du projet Grand Inga préserve la souveraineté et le leadership du pays dans le développement du site. Rien n’a été hypothéqué. Fin mai 2016, Bruno Kapanji insistait lourdement sur cet aspect du projet. « Inga III est là pour répondre à un besoin. Il s’agit d’un projet Congolais, implanté au Congo, et vous devez réfléchir en tant que Congolais. En tant que Congolais, nous n’avons pas d’autres choix que de construire le barrage. Notre industrie ne peut se développer sans énergie … » rétorquait-il aux observations sur l’obligation d’études environnementales préalables au démarrage des travaux.
Le protocole d’accord avec l’Afrique du Sud est assorti de conditionnalités qui stipulent expressément que l’énergie à produire est destinée en priorité à la RD Congo ; que la coopération énergétique porte, certes, sur l’ensemble des 44.000 MW du site du Grand Inga, mais qu’une priorité d’achat de seulement 30 % sera accordée à l’Afrique du Sud sur chacune des 7 phases du site …
Inga III, première étape du projet Gand Inga
Le projet Inga III n’est donc que la première partie du vaste projet du Grand Inga comprenant la construction de quelque 7 barrages (pour une puissance totale installée de 44.000 MW) sur le site d’Inga dans la province du Kongo-Central, à 260 km de Kinshasa. Il s’agit en fait du « plus grand projet du monde », pour reprendre les mots du Président de la République Populaire de Chine Xi Jinping, qui a rappelé que le grand barrage des Trois Gorges qui constitue la fine fleur de la production électrique en Chine ne produit que 22.000 MW.
Inga III est destiné à prendre le relais des barrages d’Inga I (construit en 1972) et Inga II (construit en 1982), victimes d’un sérieux coup de vieux. Mais qui, surtout, n’avaient pas été conçus pour offrir de l’énergie aux populations rd congolaises. A l’instar de nombreux autres investissements totalement extravertis initiés par le colonisateur Belge et les deux premières Républiques en RDC. Les 11.000 MW attendus permettront de couvrir en totalité la demande interne en énergie électrique, qui souffre d’un gap de 4000 MW, et d’alimenter le continent en énergie propre selon Bruno Kapanji. Outre l’Afrique du Sud dont l’intérêt pour Inga a été reconfirmé au cours de la grande commission mixte RD Congo-Afrique du Sud le week-end dernier, Kinshasa entend fournir de l’énergie électrique à de nombreux pays du continent dans le cadre de l’intégration régionale prônée par l’Union Africaine et soutenue par la Banque Africaine de Développement (BAD). A cet effet, les pourparlers commencés en octobre 2012 avec le Nigeria en vue d’un protocole d’exportation de l’énergie électrique (Inga IV) devraient se poursuivre, avancent des experts qui renseignent en outre que l’Egypte est également intéressée par l’acquisition de l’énergie électrique made in DRC.
Inga III Basses chutes et Inga III Hautes chutes
Première étape du projet Grand Inga, Inga III se subdivise en deux parties : Inga III Basses Chutes (environ 4.755 MW) et Inga III Hautes Chutes (environ 3.030 MW). Les autres étapes sont : Inga IV (4.200 MW) ; Inga V (6.970 MW) ; Inga VI (6.680 MW) ; Inga VII (6.700 MW) ; et Inga VIII (6.740 MW).
En juin 2017, la RD Congo avait conseillé aux consortiums demeurés en lice à l’issue de l’appel d’offres de 2010 se mettre ensemble dans la cadre du projet Inga III. 6 entreprises chinoises rassemblées au sein de China Inga III (China Three Gorges international Corporation, State Grid International Development Co, Power Construction Corporation of China Ltd, Chan Jiang Survey, Planning, Design and Research Co Ltd, China Gezhouba Group Co Ltd,et Dongfang Electric Group Co Ltd) et 2 entreprises espagnoles réunies au sein du Groupement Pro Inga (Cobra Installciones Servicios S.A. et AEE Power Holding S.L.) ont ainsi accepté la proposition de l’ADPI et se sont mises ensemble pour réunir les 14 milliards USD prévus pour mener la première partie du projet à terme. Les travaux d’Inga III dureront 5 à 7 ans.
J.N.