Le témoignage recueilli auprès d’une source proche du dossier est troublant à plus d’un titre. C’est vers 4h20 que le peloton de garde au Palais de la Nation a vu débouler trois ou quatre véhicules escortés par une jeep de la police. Sans poser de questions, les éléments commis à la sécurité du quartier abritant les bureaux du chef de l’État ont immédiatement ouvert les barrières ainsi que le grand portail intérieur de l’enclos. Les assaillants se sont alors engouffrés dans le parking central du palais avant de se répandre vers la rotonde au rez-de-chaussée de l’immeuble central.
Lorsqu’ils se mettent à tirailler à hue et à dia sans viser qui que ce soit, les sentinelles comprennent un peu tardivement qu’elles venaient d’ouvrir la porte à une force hostile.
Paniquées, elles décrochent et, quittant le périmètre du Palais de la nation, prennent la direction de l’Hôtel Pullman, espérant faire jonction avec des unités de la Garde Républicaine qui sécurisaient depuis la veille une manifestation à laquelle le président de la République prenait part. En vain car le chef de l’État avait déjà quitté les lieux, accompagné de la forte escouade affectée à sa sécurité. «Il a fallu attendre des renforts en provenance du QG de la GR au Camp Tshatshi. Composés essentiellement d’artilleurs. Ces forces se sont positionnées d’abord en face du Palais de justice pour progresser vers les assaillants. C’est de ce point de déploiement que les premiers tirs au mortier seront lancés vers ces derniers. Mal orienté, un obus a traversé le fleuve pour tomber à Brazzaville, heureusement sans faire de dégâts notables», explique notre source qui critique vertement la facilité avec laquelle la garde du Palais de la nation a ainsi facilement laissé entrer les inconnus et décroché.
La source précise que des enquêtes sont en cours pour déterminer les causes de ce qui apparaît à première vue comme un dysfonctionnement qui aurait pu aboutir à des résultats plus dramatiques sans l’amateurisme des assaillants.
Peu avant 6h00, un plan d’attaque digne de ce nom avait été établi pour déloger la bande criminelle sans trop de casse. Chose surprenante: sur la quarantaine d’hommes que composaient le groupe, plus de la moitié n’étaient pas armés ! En outre pendant la progression des renforts de la GR, les assaillants ne prenaient aucune précaution de rigueur en situation de combat. Ils ne se couvraient pas et leur chef Christian Malanga qui se livrait à des péroraisons sur les réseaux sociaux, se comportait comme si rien de dommageable ne pouvait lui arriver. «Manifestement, ils avaient ingéré des produits hallucinogènes. Christian Malanga a été abattu d’une balle dans la région du ventre. C’est en le voyant s’écrouler que ses compagnons ont réalisé le danger et pris fuite vers le fleuve où la plupart d’entre eux seront appréhendés par la Garde républicaine», ajoute notre interlocuteur.
Avant de rendre son dernier soupir, Christian Malanga qui semblait vivre un rêve éveillé s’était adressé aux militaires autour de lui : «Nani apesi ordre bo tirer ngai ? Bring me to hospital… bobenga bakonzi na bino» (Qui vous a ordonné de tirer sur moi ? Amenez-moi à l’hôpital… Appellez vos chefs).
Bizarre, cette tentative de coup d’État précédée par un assaut en règle contre la résidence du député national Vital Kamerhe, alors pressenti président de l’Assemblée nationale où après avoir mortellement atteint deux policiers de la garde de ce dernier ils avaient perdu un de leurs camarades !
Condamnations nationales et internationales
Dans les heures qui ont suivi cette attaque présentée par l’armée comme une tentative de coup d’État, mais encore entourée de zones d’ombre, le calme était revenu dans la matinée de dimanche sur Kinshasa. Mais de nombreuses questions subsistent notamment sur les auteurs intellectuels et les motivations réelles de ces hommes armés. Le porte-parole des FARDC a affirmé qu’il s’agissait d’une tentative de coup d’État. Selon le général-major Sylvain Ekenge, les auteurs de ce «coup d’État étouffé dans l’œuf» étaient une cinquantaine au total, dont quelques Américains – Christian Malanga lui-même, son fils et «deux blancs» ainsi qu’un Congolais «naturalisé britannique».
Environ 40 membres de la bande ont été arrêtés après que quatre d’entre eux eurent été tués, dont le leader du groupe, Christian Malanga, un «Congolais naturalisé américain» selon les autorités.
Sur des vidéos tournées et diffusées en boucle, les assaillants posaient devant un drapeau de la République du Zaïre, nom de la RDC du temps de Mobutu Sese Seko, le dictateur renversé en 1997. «Vive le Zaïre, vive les enfants de Mobutu !», peut-on entendre dans l’un des postings. Des propos lancés à la cantonade par un Christian Malanga surexcité. Cet ancien militaire âgé de 41 ans s’est reconverti dans la politique à partir de 2006. Il est connu pour être le fondateur d’un petit parti de la diaspora qui prônait l’avènement d’un nouveau Zaïre (New Zaïre).
Des zones d’ombre
Outre la facilité avec laquelle cette bande d’hommes armés a pu accéder au Palais de la Nation, le bureau de travail du chef de l’État, on se pose des questions sur la véritable cible de cette attaque.
Pourquoi le domicile de Vital Kamerhe a-t-il été ciblé ? Y a-t-il eu défaillance des services de renseignements ? Que voulaient exactement ces hommes, cinq mois après la réélection du président Félix Tshisekedi, à la tête de ce pays au sous-sol immensément riche ?
Vital Kamerhe, ancien directeur de cabinet du chef de l’Etat a été désigné fin avril par l’Union sacrée de la nation (majorité parlementaire en RDC), unique candidat président de l’Assemblée nationale, deuxième personnalité de l’État. Il devait prendre possession de cette fonction samedi mais l’élection du bureau prévue ce jour-là avait été repoussée. Le président congolais Félix Tshisekedi s’était adressé quelques jours plus tôt aux députés de sa grande coalition majoritaire afin de les appeler à une discipline rigoureuse au sein de la majorité et donner quelques orientations pour l’élection des membres du bureau de l’Assemblée nationale.
Depuis sa réélection en décembre 2023 pour un deuxième mandat, le pays est dans l’attente d’un gouvernement. Sur le plan sécuritaire, la RDC, géant d’Afrique centrale est confrontée dans plusieurs régions à une grave crise, une rébellion (le M23), soutenue par le Rwanda, occupant de vastes pans de la province du Nord-Kivu.
Au-delà des réactions de la cheffe de la Monusco et du président de la Commission de l’Union africaine, qui se sont félicités «de la maîtrise de la situation» par l’armée rd congolaise, l’ambassadrice en RDC des États-Unis dans un message sur X, a également condamné cette tentative de coup de force. «Je suis choquée par les événements de ce matin et très préoccupée par les rapports faisant état de citoyens américains prétendument impliqués. Soyez assurés que nous coopérerons avec les autorités de la RDC dans toute la mesure du possible alors qu’elles enquêtent sur ces actes criminels et tiennent pour responsables tout citoyen américain impliqué dans des actes criminels», a déclaré Lucy Tamlyn dans un communiqué.
La Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), organisation à laquelle appartient la RDC, a condamné lundi «la tentative de coup d’État où des hommes armés ont entrepris d’attaquer les domiciles de membres du gouvernement et celui du président Félix Tshisekedi», a déclaré le bloc régional dans un communiqué.
L’opposant français Jean-Luc Mélenchon a, quant à lui indexé «des agents étrangers liés au Rwanda et ses alliés». Sur son compte X, le leader des insoumis accuse directement le Rwanda de Paul Kagame d’être le metteur en scène de la tentative de coup d’État en RDC. «Plein soutien aux institutions de la RDC et au président Tshisekedi qui ont vaincu une tentative de coup d’État d’agents étrangers liés au Rwanda et ses alliés», affirme-t-il.
Il convient de signaler que tous les assaillants ont été maîtrisés par les forces congolaises de défense et de sécurité. Quatre d’entre eux ont été tués et tous les matériels de guerre en leur possession récupérés par les FARDC.
LE MAXIMUM