Le 3 mai 2024, les terroristes de la coalition RDF-M23 ont massacré d’inoffensifs congolais déplacés dans le camp de Mugunga en périphérie de Goma (Nord-Kivu). Cinq bombes tirées à partir de Karuba, une localité située dans les hauteurs de Kiroche sous contrôle de l’armée gouvernementale rwandaise ont causé la mort de 37 personnes, dont des enfants, et blessé plus d’une trentaine d’autres, selon des témoins.
Survenu après beaucoup d’autres incidents du même genre, cette énième tuerie de sang-froid a provoqué des condamnations en chaîne. Notamment, celle, très remarquée, des Etats-Unis d’Amérique qui ont pour une fois nommément cité le Rwanda de Paul Kagame comme auteur de cet acte constitutif de crime de guerre.
Samedi 4 mai, Matthew Miller, porte-parole du Département d’Etat américain, n’a pas hésité à confirmer un communiqué rendu public par ses services un jour plus tôt. «Les Etats-Unis condamnent fermement l’attaque lancée aujourd’hui par les Forces de défense rwandaises à partir des positions du M23 contre le camp de personnes déplacées de Mugunga, dans l’Est de la République Démocratique du Congo. Il est essentiel que tous les Etats respectent la souveraineté et l’intégrité territoriale de chacun», a-t-il posté sur son compte X.
Condamnations
De nombreuses autres condamnations ont été exprimées par la MONUSCO, la Belgique, la France et l’Union Africaine. Comme de coutume depuis un quart de siècle d’occupation larvée des territoires de l’Est rd congolais, elles brillent par leur timidité lorsqu’il s’agit de désigner précisément l’auteur des crimes ainsi dénoncés commis imperturbablement dans cette partie du Congo. Même si, comme pour faire bonne mesure, elles en appellent à la cessation des hostilités, voire, au retrait des troupes rwandaises du territoire congolais.
Le communiqué publié le 3 mai par la MONUSCO illustre cette gêne de la communauté internationale occidentale. «La représentante spéciale (de l’ONU Ndlr) appelle les autorités congolaises à prendre toutes les mesures nécessaires pour que les auteurs de ces actes odieux qui sont une violation flagrante des droits de l’homme et du droit international humanitaire et peuvent constituer un crime de guerre soient identifiés. Elle appelle également les parties au conflit à garantir le caractère civil des sites des déplacés et à prendre les mesures idoines pour réduire les risques pesant sur la protection des civils et de maintenir l’accès des humanitaires», peut-on lire dans ce communiqué.
Dans l’émotion et la révolte qui ont suivi le carnage de Mugunga vendredi dernier, les réactions timorées d’une partie de la communauté internationale en ont désabusé plus d’un dans l’opinion congolaise. A l’instar de Jules Muhindo, un activiste des droits de l’homme de Goma, qui dénonce «la propension des onusiens à placer sur le même pied d’égalité le pays agressé et les terroristes agresseurs en les considérant tous comme ‘‘parties au conflit’’».
Déclaration mitigée
La MONUSCO et sa cheffe ne sont pas les seules à user de la langue de bois. Lundi 6 mai 2024, la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), qui regroupe les évêques catholiques du pays, a condamné la tuerie de Mugunga dans un long communiqué signé de Mgr Donatien Nshole, ci-devant Chapelain du Pape et secrétaire du comité permanent des évêques. Selon ce texte, la CENCO «condamne avec la dernière énergie ce crime». Mais elle en dilue aussitôt l’empleur en ajoutant qu’«il est difficile de comprendre que les rebelles du M23 soutenus par le Rwanda et les forces loyalistes des FARDC qui s’affrontent s’invitent à se positionner de part et d’autre d’un camp de déplacés qui existe depuis des années, exposant ainsi en permanence des pauvres gens qui vivent déjà comme des laissés pour compte. Il est aussi surprenant que ce drame survienne à la porte de Goma, une ville hypermilitarisée où beaucoup d’indications étaient données invitant les autorités compétentes à une alerte maximale pour sécuriser la population».
Comme des étrangers
A Goma mais aussi à Kinshasa où la situation sécuritaire à l’Est du pays préoccupe nombre de Congolais, cette déclaration des princes de l’église catholique romaine laisse perplexe.
«On croirait entendre parler des diplomates occidentaux», commente, dégoûté, Dieumerci Kasongo, étudiant dans une université de Goma. «Des Congolais, évêques soient-ils, ne peuvent pas mettre ainsi sur un même diapason les terroristes agresseur de leur pays et les forces loyalistes qui se sacrifient nuit et jour pour notre peuple martyrisé», déclare le jeune homme dont la demeure familiale au chef-lieu du Nord-Kivu est envahie par des membres du clan qui ont fui les affrontements autour de Sake.
A Kinshasa, Félix Matondo, officier à la retraite de l’armée exprime aussi sa rage à la lecture du message de Nshole sur Mugunga. «A la guerre, la partie agressée ne s’invite pas. Elle est contrainte de se défendre par tous les moyens. Les FARDC envoyés au Kivu n’ont pas le choix des positions défensives face aux hordes barbares de Kagame. Il n’y a pas de démocratie là où tonnent les armes et les Congolais le comprennent bien, c’est pourquoi leurs représentants au parlement ont instauré l’Etat de siège», explique-t-il avant d’ajouter que «ces prétendus hommes de Dieu qui donnent l’impression d’accuser nos forces loyalistes d’avoir bombardé Mugunga devraient s’occuper des domaines qu’ils maîtrisent mieux».
Propos séditieux
La déclaration mitigée de la CENCO survient quelques semaines après que le primat de l’église catholique romaine de la RDC, le cardinal Fridolin Ambongo, ait vertement critiqué les stratégies militaires des FARDC en cours au Nord-Kivu. Dans un entretien à Fides, l’archevêque de Kinshasa avait notamment déclaré que «l’armée congolaise est dans une confusion totale» et accusé Kinshasa de «distribuer les armes supplémentaires à divers groupes armés, dont les Wazalendo, mais aussi aux génodicaires du FDLR…», reprenant mot pour mot le plaidoyer pro domo de Paul Kagame, le chef de la principauté militaire de Kigali.
Réagissant à cette saillie, le procureur général près la Cour de cassation, a instruit le 27 avril 2024, le procureur général près le parquet de grande instance de Kinshasa Matete d’ouvrir une information judiciaire à charge du prélat. En sa qualité de patron du parquet, Firmin Mvonde reproche au cardinal Ambongo «des propos séditieux de nature à décourager les forces armées qui combattent au front. Je vous ordonne d’ouvrir une information judiciaire à charge du prélat susvisé qui violente délibérément les consciences et semble trouver plaisir, à travers ces faux bruits et autres incitations à la révolte contre les institutions établies et aux attentats contre les vies humaines».
Missions extraverties
Ce dont se défend la hiérarchie de l’église catholique qui excipe d’une mission prophétique reçue du Christ pour se prononcer sur les affaires socio-politiques. «En tant que prophète, vous avez le devoir de parler sans peur au nom de Dieu. Un évêque peureux est un faux», a déclaré à ce sujet le cardinal Ambongo, le 28 mai 2024 à Kinshasa.
Mais, nombre d’observateurs estiment que c’est là un prétexte commode pour défendre des intérêts extravertis inavoués. «Ce prélat et ceux qui le soutiennent s’alignent en fait sur les positions occidentales lorsqu’il s’agit de questions importantes. Sur la guerre d’agression contre la RDC, ils ne condamnent jamais leurs donateurs occidentaux», explique au Maximum un professeur de l’Université catholique du Congo, sous le sceau de l’anonymat.
Le communiqué publié par Mgr Nshole, le 6 mai 2024, n’échappe manifestement pas à cette règle. Les évêques y condamnent également la résolution des conflits par les armes et invitent le M23 à déposer les armes tout en réitérant «la recommandation de la CENCO, plusieurs fois répétée d’une concertation des forces vives du pays, au-delà des clivages politiques, afin de créer une forte dynamique nationale pour parvenir ensemble à une solution acceptable». Ce qui revient à attribuer, on ne sait trop par quelle alchimie, la qualité de force vive congolaise aux phalanges des Rwanda Defense Forces actives au Nord-Kivu aux côtés du fantômatique M23.
C’est le dialogue avec l’agresseur et occupant rwandais que préconise la CENCO pour complaire à ses mentors occidentaux.
J.N. AVEC LE MAXIMUM