Pour une claque, celle de notre confrère Jean-Baptiste Placca, éditorialiste à RFI en était une. Probablement parce qu’elle est venue de la radio publique française connue, notamment, pour arroser le continent d’émissions manichéistes savamment distillées. Le journaliste, d’origine camerounaise, n’a manifestement pu s’empêcher de laisser s’exprimer le plus profond de son ressenti d’Africain. Et sur le continent, ce qui se passe en RDC ne laisse guère indifférent.
«Tous chefs d’Etat» est le titre de l’édito coupe-gorge diffusé et mis en ligne, le 7 octobre 2023 par RFI, relatif aux candidatures à la présidentielle du 20 décembre 2023 en RDC. L’opus signé de J.B. Placca aborde la ruée vers le top job au pays de Lumumba du point de vue moral. «Que reste-il donc de conscience morale à un peuple, si ceux qui en ont l’étoffe et la qualité choisissent tous de briguer les fonctions exécutives ? Voilà une question que, plus que jamais, l’on devrait se poser à Kinshasa, à Bukavu, et ailleurs en RDC», lance d’entrée de propos l’éditorialiste de RFI, en parlant particulièrement du candidat Denis Mukwege, prix Nobel de la paix 2018, qui fait la fierté de son pays et du continent.
Un Nobel dans la course
«De nombreux Congolais s’y attendaient sans doute, mais la plupart semblent surpris par la candidature du docteur Denis Mukwege. Il y aura donc un Nobel sur la ligne de départ de la présidentielle du 20 décembre prochain, en RDC. Pour autant, la déclaration du célèbre gynécologue ne semble pas avoir déclenché un enthousiasme à la mesure de sa notoriété», note l’éditorialiste. Qui n’a pas mis de gants pour s’expliquer.«Peut-être n’attendaient-ils (les Congolais, ndlr) tout simplement pas leur illustre concitoyen dans une course à la magistrature suprême. Les Congolais l’avaient hissé sur un piédestal, pour son admirable dévouement, dans le Sud-Kivu, au service des survivantes des violences sexuelles, ces femmes dévastées dans leur chair par d’authentiques criminels de guerre», a-t-il précisé avant de rapporter ce que tout le monde sait : «Le docteur Mukwege avait conquis le respect de l’Afrique et du monde ; il était récompensé par de prestigieuses distinctions, dont, en 2018, le prix Nobel de la paix, qui l’a définitivement placé au-dessus de la mêlée, de la haine, de la médiocrité et d’autres tares caractéristiques de la vie politique congolaise».
Dégringolade
Seulement, le médecin de Panzi n’a pas pu s’empêcher de dégringoler du podium de la moralité. Cela saute aux yeux de l’éditorialiste de RFI. «Devait-il (le Dr Mukwege, ndlr), pour autant, se porter candidat à une présidentielle déjà largement encombrée ? C’est là que surgit la circonspection, qui explique sans doute pourquoi certains hésitent tant à s’enthousiasmer pour cette candidature », avance Placca, qui cite le célèbre «réparateur des femmes» désormais aligné au starting block de la course à la magistrature suprême dans son pays.
«Je ne vais pas attendre 2028. Demain, ce sera trop tard», avait cru devoir déclarer Denis Mukwege devant la presse 24 avant le dépôt de son dossier de candidature à la CENI. Une justification qui, loin de le hisser au-dessus de la mêlée d’où il est descendu, l’y enfonce de pleins pieds, plutôt. «Dire cela, comme cela, reviendrait à prétendre que lui seul peut sauver la patrie, et uniquement en tant que chef de l’Etat. Double erreur ! S’il peut être un bon chef d’Etat – ce qui n’est, en rien, une certitude, en dépit de son parcours admirable et du Nobel -, son profil est plutôt de ceux que les leaders s’entendent généralement pour aller chercher, comme un recours fédérateur. Or, ici, c’est lui qui se proclame, soutenu par un groupe de personnes, certes respectables, mais il n’est guère que le vingt-et quelquième facteur de division, et ne peut même pas revendiquer le label de la société civile, celle-ci ayant désigné un autre candidat (Floribert Anzuluni Ndlr)». La longue tirade de Jean-Baptiste Placca a déconstruit le mythe de «Mukwege sauveur de la patrie» derrière lequel voudrait se réfugier le Nobel de paix 2018 pour justifier de viles et triviales ambitions politiques, communes à la plupart de ses compatriotes. Et il ne se trompe pas. «Pour être élu, il (Dr Mukwege, ndlr) devra donc, d’une manière ou d’une autre, user de ces mêmes méthodes qui poussent parfois à se demander si la politique n’est pas, décidément, un métier de voyous. Ses adversaires vont désormais se croire autorisés à le traiter comme ils se traitent entre eux. Aucune mesquinerie ne lui sera épargnée. Et, sur ce théâtre, il pourrait vite se trouver désemparé», avance-t-il à bon escient.
Le mythe illusoire du sauveur de la patrie
Jean-Baptiste Placca se désole, sincèrement à ce qu’il paraît, de cette dégringolade de Mukwege du piédestal nobeliste, comme beaucoup d’autres en RDC et en Afrique. «Étant là où il était jusqu’à présent, faisant ce qu’il faisait depuis 1999, il était infiniment plus important et plus utile à son peuple que nombre de ces chefs d’État qui n’ont cessé de bafouer la dignité du Congo et des Congolais. Il pouvait parfaitement contribuer à sauver la patrie en étant, simplement, une conscience morale, un faiseur de roi, pourquoi pas ! Il aurait pu pousser la multitude à s’unir, pour le sursaut dont lui-même dit rêver. Il aurait pu raisonner ces ambitions éparses, propres à écarteler à mort la RDC. Surtout, il aurait pu être l’arbitre, au-dessus de la mêlée, pour rappeler, y compris le futur président, à ses obligations, et la classe politique à ses responsabilités. Les peuples qui n’ont pas de tels repères, de telles consciences morales, sombrent toujours plus facilement que les autres », a-t-il bûcheronné.
Le Dr Denis Mukwege, candidat président de la République ? Il n’y aurait pas plus à attendre de lui que d’un autre de ses nombreux challengers. «Désormais acteur, il pourrait, s’il venait à être élu, se trouver débordé par la gloutonnerie de certains de ceux qui le poussent aujourd’hui à soi-disant sauver la patrie, mais espèrent, secrètement, se faire surtout une place au bord de la mangeoire, pour, dans son ombre, perpétuer l’œuvre de prédation… Ils se serviraient donc de lui !», selon Jean-Baptiste Placca.
J.N. AVEC LE MAXIMUM