En RDC, le banditisme urbain, dénommé phénomène kuluna à Kinshasa, n’a pas fini d’attirer l’attention. En décembre dernier, le gouvernement a lancé «Ndobo», une gigantesque opération de traque des kuluna à Kinshasa. Quelques jours plus tard, au moins 784 présumés bandits urbains ont été appréhendés, jugés en procédure de flagrance et condamnés. A mort. Avant d’être transférés dans des prisons de haute sécurité, à la satisfaction des kinois, qui ont pu passer les fêtes de fin d’année dans la quiétude. Même si chez les politiques, les mesures sécuritaires gouvernementales ne plaisent pas à tout le monde.
Parmi ces moralisateurs de l’action publique, un acteur politique, Olivier Kamitatu Etsu, ancien président de l’Assemblée nationale sur les listes du MLC, devenu porte-parole d’Ensemble pour la République de Moïse Katumbi, un parti de l’opposition politique en RDC. «Alors que le carnage de centaines de détenus de Makala lui colle toujours à la peau, sans qu’aucune suite n’ait jamais été donnée à ce massacre, l’obsession persistante de Constant Mutamba Tungunga à vouloir exécuter les peines capitales tient du zèle d’un boucher», dénonce-t-il sur son compte X, le 6 janvier 2025.
Pour cet homme politique, également connu pour être l’idéologue du challenger du président Tshisekedi et candidat malheureux à la dernière présidentielle, l’exécution des peines capitales «ne fait que dévoiler le sinistre visage de la politique de Félix Tshisekedi et expose aux yeux du monde à quel point l’humanité et la compassion sont désormais réduites en des simples accessoires dans l’opéra tragique orchestré par ce régime sanguinaire».
Zèle de boucher ?
Pour Kamitatu, «dans une société démocratique, des vies ne devraient jamais être sacrifiées sur l’autel de la vengeance ou de la peur. Aucune société ne peut se libérer de ses échecs en se livrant à la barbarie. La justice ne doit pas répondre à la sauvagerie par une autre sauvagerie. La peine capitale est un acte irréversible qui annihile toute possibilité de pardon et de réhabilitation. Chaque individu, fût-il un enfant abandonné à la violence de la rue, mérite une chance de rédemption. Et c’est le devoir de l’État de mettre en place les conditions de sa réhabilitation».
Seulement, si un calme relatif est observé à Kinshasa, la capitale de la RDC, depuis le lancement de l’opération « Ndobo », à Lubumbashi, deuxième ville du pays, le banditisme urbain s’est dernièrement révélé au public congolais dans toute son ignominieuse brutalité. Dans la nuit de mardi à mercredi 8 janvier 2025, Adonis Numbi, journaliste-vedette de la ville cuprifère, a été sauvagement assassiné. La victime rentrait à son domicile, vers 1 heure du matin, lorsqu’elle a été agressée et tuée à coups de machettes par une bande de malfrats. «Les bandits lui ont crevé un œil et l’autre œil est sorti de l’orbite. Sa tête est complètement abîmée», rapporte Claudel Tshikamba Nawej, un internaute. Adonis était fils unique et venait à peine de fonder un foyer il y a seulement quelques mois, le 16 mai 2024. On devine aisément le désarroi et le désespoir des proches de ce jeune homme ainsi fauché dans la fleur de l’âge.
L’assassinat brutal d’Adonis Numbi à Lubumbashi n’est pas sans rappeler un autre, tout aussi odieux, perpétré sur une journaliste de la RTNC à Kinshasa. Le 12 novembre 2024, Jemimah Diane Mogwo, présentatrice du journal télévisé sur la chaîne publique, avait été attaquée et mortellement blessée par des kuluna alors qu’elle rentrait chez elle après le service. 12 jours plus tard, le 24 novembre 2024, cette journaliste avait succombé à ses blessures, provoquant un émoi sans pareil dans l’opinion kinoise. Cette tragédie a révélé à quel point l’insécurité gangrenait la vie dans la capitale de la République Démocratique du Congo, particulièrement dans les quartiers peu huppés mais néanmoins habités et fréquentés par les millions de ménages.
Le ras-le-bol contre le banditisme urbain en RD Congo est donc nettement perceptible dans presque tous les milieux. Et les mesures gouvernementales, aussi extrêmes soient-elles, sont plutôt accueillies avec satisfaction par une majorité des contribuables, ainsi qu’on peut s’en rendre compte aux réactions observées après l’assassinat odieux d’Adonis Numbi à Lubumbashi. «Devant de telles atrocités, même nous-mêmes nous sommes prêts à exécuter la peine de mort à ces assassins si l’État est trop timoré pour agir. Ç’en est assez !», écrivait dans un tweet rageur, Claudel Tshikamba, mercredi 8 janvier 2025.
Réaction semblable de la part d’une internaute kinoise, Maria Boke Tende, un jour plus tôt, le 7 janvier 2025. Elle en veut et s’en prend à «ceux-là qui, grâce à la République (pour certains) vivent dans un monde parallèle de celui du kinois de Yolo, Kimbanseke, Makala, Bibwa, Mitendi, etc.», qui se trouvent, ‘de facto’ à l’abri de l’insécurité causée par les bandits urbains. « Ceux-là qui habitent Macampagne, Gombe, Ngaliema … dans des parcelles à hautes clôtures, surveillées 24H/24 par des gardes armés ne connaissent pas l’humiliation que subissent les pères de famille obligés de s’accoupler avec leurs propres filles pour avoir la vie sauve … ces gens-là, tout autant qu’ils sont de l’opposition ou du pouvoir, ne connaissent rien de la réalité du congolais lambda, et ils feraient mieux de se taire quand le sujet est abordé», écrit-elle, pestant ainsi littéralement contre les appels à la modération et quant aux condamnations prononcées contre les kuluna jugés à Kinshasa et qui proposent leur réinsertion dans la société.
Ignorants des réalités congolaises
«Les kuluna qui ont massacré à plusieurs coups de couteau et crevé les yeux de la journaliste de la RTNC sur avenue du 24 novembre mériteraient que leurs vies soient préservées au nom de la dignité de cette même vie qu’ils arrachent au gré des vagues ?», interroge encore Mme Boke.
Elle encourage le ministre de la Justice et la police nationale, au nom du kinois lambda à «traquer, juger et exécuter ceux qui seront reconnus coupables». Radicale, elle suggère des mesures draconiennes contre les criminels endurcis qui écument les bas-fonds de la mégapole kinoise. «Faudrait même les exécuter en public», conclut-elle, prenant à contre-pied ceux qui, à l’instar d’Olivier Kamitatu, dénoncent la ‘’barbarie’’ des sanctions prononcées contre les kuluna à Kinshasa.
Dans l’opinion publique kinoise franchement remontée contre la cruauté cynique des kuluna, le narratif alambiqué et truffé de mots savants d’Olivier Kamitatu passe mal. «Même dans les sociétés dites démocratiques, l’application des sanctions judiciaires a été évolutif. Elles sont parties de la célèbre ‘loi du Talion’ prescrivant des sanctions de type ‘œil pour œil dent pour dent’, longtemps avant d’en arriver à l’abolition de la mort sur l’échafaud», explique ce prof d’anthropologie culturelle à l’Unikin. Selon ce scientifique, «les valeurs défendues avec l’éloquence qu’on lui connaît par l’ancien speaker de l’Assemblée nationale semblent assez étrangères à la société congolaise, kinoise ou lushoise, dans laquelle il vit».
Valeurs étrangères
Parmi ses collègues acteurs politiques, les réactions sont un peu moins empreintes de réserves et circonlocutions langagières. Pour ce cadre de l’UDPS, le parti présidentiel en RDC, «Kamitatu et son parti politique représentent ce qu’était le PNP dans les années des indépendances : un parti des colonisateurs. Les valeurs soutenues et véhiculées par les Kamitatu et Cie sont des valeurs que l’Occident tente d’imposer à nos pays pour mieux les asservir politiquement, économiquement et culturellement. Il suffit de les examiner de près pour s’apercevoir à quel point le mimétisme est flagrant, et très soutenu par leurs parrains». Et d’ajouter : «ce n’est pas un hasard si des organisations comme Amnesty international ont tôt fait de voler au secours de ceux qui, sans tenir compte des préoccupations des Congolais, condamnent les sanctions prises pour décourager le banditisme dans nos rues». Allusion faite au communiqué publié par l’ONG internationale de défense des droits de l’homme, lundi 6 janvier 2025, exhortant le président Tshisekedi à abandonner tout projet d’exécutions massives et critiquant le transfert des prisonniers vers Angenga.
Au cours d’un briefing de presse, le même lundi 6 janvier, le ministre d’Etat à la Justice, Constant Mutamba, avait répliqué à l’ONG britannique. «On n’abolit pas la peine de mort pour faire plaisir aux ONG de défense des droits de l’homme», avait-il déclaré, ajoutant que «nous ne devrions pas tout mimer de l’occident, nous ne devrions pas nous complexer de tout ce qui se passe en occident». Rappelant que la peine de mort était toujours d’application aux Etats-Unis d’Amérique, un État réputé démocratique, Constant Mutamba a encore déclaré que «nous n’allons pas accepter un seul instant que des règles de l’étranger soient transposées chez nous sans tenir compte des us et coutumes et des réalités congolaises».
Dans la traque et l’éradication des kuluna en RDC, c’est la mort qui divise l’opinion et une certaine classe politique.
J.N. AVEC LE MAXIMUM