A 10 jours de la rentrée scolaire 2018-2019 fixée au 2 septembre 2019, ça bouge tous azimuts en République Démocratique du Congo, particulièrement à Kinshasa, capitale et siège des institutions nationales. Cette année, la rentrée des classes revêt un caractère particulier en raison du changement intervenu à la tête du pays depuis le début de l’année civile avec l’élection d’un nouveau président de la République, fin décembre 2018. En campagne électorale, mais également dans son discours d’investiture le 24 janvier 2019, Félix-Antoine Tshisekedi a promis la gratuite de l’enseignement primaire et secondaire dans son pays, enfourchant ainsi le cheval de la lutte contre l’analphabétisme. S’adressant à la communauté rd congolaise au cours d’un voyage au Kenya, quelques mois après, le président de la République assurait que « nous ferons tout pour que la rentrée scolaire prochaine soit gratuite pour l’école primaire et secondaire. On fera tout pour améliorer. Tous les enfants de moins de 18 ans, même ceux qui sont au village, doivent aller à l’école ».
Dans les faits, particulièrement ceux auxquels les parents d’élèves ont habituelle- ment à faire face à l’occasion de chaque rentrée scolaire, peu de choses avaient changé depuis la promesse présidentielle. Les écoles maternelles, primaires et secondaires continuaient à rivaliser d’ardeur et d’ingéniosité dans le libellé des billets de vacances. Tout indique que rien n’a changé par rapport aux années précédentes, parce qu’on y apprend que les parents de ces cycles de formation sont sommés de s’acquitter de frais variés avant la rentrée des classes. C’était donc le casse-tête habituel jusqu’à il y a quelques jours, lorsque tout s’est subite- ment précipité sous la pression d’organisations de la société civile et de quelques syndicats du personnel de l’enseignement primaire et secondaire public qui ont, comme de coutume, choisi l’approche de la date fatidique du 2 septembre pour se rappeler au bon souvenir de leur employeur en montant les enchères.
Vision du président
Mercredi 21 août 2019, le ministre intérimaire de l’Enseignement primaire, secondaire et professionnel (EPSP), Emery Okundji Ndjovu, a créé la sensation en annonçant la gratuite de l’enseignement « pour matérialiser la vision du président de la République». Recadrant de manière plus ou moins feutrée l’engagement présidentiel au cours d’un point de presse ce jour-là à Kinshasa, le ministre a également rappelé « le caractère obligatoire de l’enseignement de base (c’est-à-dire primaire ndlr)» sur toute l’étendue du pays ainsi que la suppression de tous les frais de scolarité dans les établissements publics d’enseignement, notamment les frais de minerval, d’assurances et d’identification des élèves. « Le gouvernement de la République a pris en charge ces frais-là. Les frais de fonctionnement seront alloués mensuellement aux écoles », a-t-il également annoncé. Mais ce n’est pas tout, parce qu’il a fait état de l’allocation des frais de transport et de logement en plus des salaires pour les enseignants de la ville province de Kinshasa.
La table ronde sur la gratuité de l’enseignement prévue pour le 12 août avant d’être reportée avait, derechef, été remise au goût du jour. Ou- verte jeudi 22 août 2019 au Fleuve Congo Hôtel de Kinshasa, elle planche durant 48 heures (jusqu’au 24 août) sur le cadre légal et réglementaire, le financement, les conditions d’accueil des élèves, la formation des enseignants, la qualité des apprentissages, la gestion du sous-secteur de l’EPSP, etc, selon le mot d’ouverture lu par le ministre Okundji.
Attendu à l’ouverture des assisses du Fleuve Congo Hôtel, le président de la République Félix-Antoine Tshisekedi s’était fait représenter par Désiré-Casimir Kolongele Eberande, son directeur de cabinet adjoint.
Au moins un consensus
Ainsi que l’a assuré Emery Okundji dans son dis- cours d’orientation, c’est un consensus national sur la gratuité de l’éducation de base, à exprimer à travers les recommandations des parties prenantes à ces assises qui était attendu. Car, le dossier de la gratuité de l’enseignement de base est plus complexe qu’il n’y paraît. Et requiert de nuancer un certain nombre de promesses du président de la République. Parce que, d’une part, la gratuité de l’enseignement stipulée par la constitution et les textes légaux vigueur en RDC ne concerne que l’enseigne- ment de base : l’enseigne- ment maternel et primaire. Et, d’autre part, seuls les établissements d’enseignement public sont obligées d’appliquer cette mesure. Les décisions qui découleront de la table ronde de Kinshasa seront donc passablement limitées, étant donné que le secteur public ne compte que 44 % d’écoles maternelles (1.362 écoles conventionnées et 462 écoles publiques), contre 56 % d’écoles privées, selon l’annuaire 2014 de l’EPSP. Pour l’enseignement primaire, 41.651 écoles publiques fonctionnaient la même an- née (86,5 %) contre 6.496 (13,5 %) du secteur privé. De ce point de vue, la gratuite de l’enseignement ne peut pas être « intégrale ». Mais même pour les écoles du secteur public, qui comprend aussi bien les écoles non conventionnées que celles conventionnées, le contenu de la gratuité doit encore être correcte- ment défini, selon qu’elle concerne les frais administratifs habituellement payés par les parents d’élèves et les frais liés aux enseignements et autres services délivrés par les écoles ou la prise en charge des enseignants par les parents.
Frais supprimés
Certes, l’intérimaire de l’EPSP a annoncé la suppression d’un certain nombre de frais dus par les parents, des frais de fonctionne- ment pour les écoles et un début de prise en charge des enseignants. Mais le doute persiste quant à la capacité du Trésor à assurer l’intégralité de la gratuité de l’enseignement de base. Ce sont au bas mot quelques 2,9 milliards USD/l’an que le gouvernement doit en effet affecter au secteur de l’EPSP pour assurer cette gratuité, ce qui représente près de la moitié du budget de la RDC.
Mercredi dernier, Emery Okundji a annoncé la mise à disposition d’un budget trimestriel dont la hauteur n’a pas été précisée. Par ailleurs, même si cet aspect budgétaire était réglé, il restera encore à préciser la portée du concept de la gratuité de l’enseigne- ment sur le plan des contenus à enseigner aux élèves. Selon les textes légaux en vigueur, c’est le programme national d’enseignement qui détermine le contenu des enseignements à dis- penser gratuitement. Mais les écoles conservent une relative liberté dans l’organisation de la dispensation des enseignements, ce qui laisse le champ libre à des manipulations mercantiles. Il suffit, en effet, qu’une école transfère une catégorie d’enseignements ou d’exercices pratiques dans un ordre spécial (cours supplémentaires, exercices pratiques)pour que de nouveaux frais soient imposés aux parents.
J.N.