Une tribune publiée dans le journal sudafricain Sunday Times, dimanche 23 février 2025, aura suffi pour changer du tout au tout l’idée que ses compatriotes se faisaient de lui. Joseph Kabila Kabange, quatrième président de la RDC depuis le mystérieux assassinat de son père Laurent-Désiré Kabila en janvier 2000 s’est ratatiné, se réduisant au rang de ces nombreux «tirailleurs» qui écument le pays de Lumumba depuis trois décennies.
Pourtant, ceux qui le soutiennent le disaient occupé à fignoler une thèse de doctorat en sciences politiques dans une université sudafricaine. D’aucuns se laissant même aller à affubler anticipativement l’ancien «Raïs» du titre de professeur, tant mystifié dans le microcosme socio-politique national. Pour expliquer et justifier un silence qui, pourtant, avait toujours été la marque de fabrique du président de la République honoraire. Il en était à la dernière étape de la rédaction de sa thèse, lorsque le virus de la politique politicienne l’a ramené à des réalités plus triviales.
C’est un opposant très opposé au pouvoir «pacifiquement» transmis à Félix Tshisekedi, fin 2018, que les Congolais ont découvert dans les colonnes du Sunday Times. Joseph Kabila y livre sa lecture de la crise qui secoue une RDC agressée (pourtant) pour la énième fois par le Rwanda voisin sous le couvert d’une rébellion armée. Cette fois-ci, et pour la seconde fois, Kigali s’est servi à des renégats du M23, déjà utilisés en 2012, sous le règne de l’auteur de la tribune au vitriol parue dans le tabloïd Sudafricain.
Pas de solution militaire
«La crise que traverse la RDC nécessite plus qu’une solution militaire parce qu’elle est aussi humanitaire et fondamentalement politique, sociale, morale, éthique», estime l’ancien chef de l’Etat. Pour lui, cette crise trouve son origine dans «la rupture du pacte républicain» conclu entre les acteurs politiques congolais au terme du dialogue inter congolais de Sun City (Afrique du Sud) en 2002. C’était, selon le prédécesseur de Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, «une véritable base de la stabilité et de la cohésion nationales, permettant de mettre fin à plusieurs années de guerre civile, de réunifier le pays, d’organiser trois élections réussies et d’assister au premier transfert de pouvoir depuis l’indépendance».
Celui qui porte toujours le titre de sénateur à vie dénonce ce qu’il considère comme «des violations répétitives de la constitution et des lois du pays, ainsi que l’organisation d’élections truquées en décembre 2023». Il fustige toute tentative de trouver une solution à cette crise qui ignorerait ses causes profondes (à commencer par la gouvernance actuelle de la RDC) car elle ne pourra pas apporter une paix durable. Ainsi, il évoque pour la toute première fois les fameuses «causes profondes du conflit» à l’Est de son pays qui ne sont rien d’autres que celles maintes fois ressassées par Paul Kagame, le chef de la principauté militaire en place à Kigali que l’opinion nationale et internationale considère comme l’agresseur de la RDC. Selon lui, contrairement à ce que Kinshasa et les Nations unies déclarent, «la crise ne se limite pas aux actions inconsidérées du M23, présenté à tort comme un groupe anarchiste et une marionnette d’un Etat étranger sans revendications légitimes- ni aux désaccords entre Kinshasa et Kigali».
Pas de compassion pour les victimes
Alors que sur le terrain des affrontements entre forces loyalistes congolaises et les troupes gouvernementales rwandaises accompagnées par les terroristes du M23 se redessine le tracé du découpage et de l’annexion de la partie Est de la RDC par le régime rwandais, la présentation des faits par Joseph Kabila ne pouvait plus mal tomber. Goma et Bukavu, investis par des milliers d’éléments de forces spéciales des Rwanda Defense Forces fin janvier 2025 n’avait pas encore fini d’enterrer tant bien que mal ces quelque 9.000 morts lorsque l’ancien chef de l’Etat a signé sa rentrée politique à controverse. Des victimes qui s’ajoutaient à une hécatombe humanitaire à nulle autre pareille à travers le monde, avec plus d’un million de civils déplacés fin 2024, selon l’ONU. Mais cet aspect du drame congolais a été occulté par l’ancien président de la République devenu entre temps doctorant ès sciences politiques Joseph Kabila qui n’aura pas pipé le moindre mot de compassion pour ses compatriotes victimes de cette barbarie d’un autre temps. Cela a énormément déçu et déplu.
Les observateurs reprochent également à Kabila de minimiser la dimension internationale de la crise congolaise ainsi que le rôle plus que déterminant du Rwanda, envahisseur multirécidiviste de la RDC, qu’il s’est abstenu de citer.
Pour nombre de Congolais, le fameux «pacte républicain» de Sun City auquel il a fait allusion n’a été en réalité qu’un vaste bluff, parce que la paix n’a jamais été rétablie dans les territoires de l’Est du pays, demeuré sous une occupation larvée du Rwanda. De ce point de vue, le dialogue invoqué par le sénateur à vie n’en est pas un puisqu’il tend à légitimer une ingérence étrangère qui, sous le prétexte de la recherche d’un compromis politique, ne vise qu’à assoir le pillage des ressources minières congolaises par Kagame et ses affidés.
Pire, en légitimant les revendications des renégats du M23, un groupe qu’il avait lui-même combattu avec acharnement une dizaine d’années plus tôt, l’ancien président de la République semble avoir commis l’irréparable pour nombre de ses compatriotes. En se rangeant du côté de ceux qui, depuis trois décennies, ont choisi de se mettre au service des intérêts étrangers cherchant à baknaliser la RDC pour exploiter ses ressources sans contrepartie, en faisant la promotion du recours à la violence pour s’imposer sur l’échiquier politique national, Joseph Kabila a fauté.
«Kabila, à peine 6 ans après avoir quitté le pouvoir suprême, prend les armes. Les autres ont fait des années dans l’opposition non armée, sans violer nos mamans, nos soeurs, sans voler les biens des autres, sans massacrer la pauvre population», déplore Véronique Bernard, une internaute qui réagit sur son compte X.
Joseph Kabila a, en quelques lignes, détruit un héritage politique bâti «sur la lutte contre les ingérences étrangères (et), se retrouve aujourd’hui à défendre une cause qu’il a lui-même combattue», se désole Litsan Choucran dans une tribune sur Beto.
Soutien au M23
Certaines réactions à la tribune du président de la République honoraire dans les colonnes du Sunday Times sont sans appel. «Monsieur le Président, comment ce qui a été votre plus grande blessure durant 18 ans de mandat, peut devenir votre nouvelle cause? Nous ne pouvons pas en tant que Congolais espérer qu’une rébellion armée à partir du Rwanda qui mettra fin à notre processus démocratique soit une solution viable à la construction de notre nation. Ce recul démocratique serait un coup d’arrêt fatal à notre pays, dans sa trajectoire lente mais prometteuse vers des lendemains meilleurs. Je désapprouve ces mots extrêmement graves de notre ancien Président», écrit Germain Kambinga, un de ses anciens ministres. Ou encore, Stewart Muhindo Kalyamuhuma, un internaute qui estime que «le silence lui donnait un semblant d’intelligence, de patriotisme et de grandeur. A peine qu’il l’ouvre, on se rend compte de la pourriture qu’il représente ».
Le soutien de Joseph Kabila au M23, ce sera le péché mignon de l’ancien président de la République. «L’ex-président a parié sur l’amnésie des Congolais, pensant signer ainsi son retour sur la scène politique. Echec ! A-t-il réglé ses comptes avec B. Bisimwa ?», interroge Siméon Nkola, un autre internaute qui rappelle les révélations de l’ONG américaine Human Rights Watch en décembre 2017, sur le «recrutement des rebelles du M23 pour réprimer des manifestations politiques en République démocratique du Congo». Une opération reconnue par le chef rebelle dans un tweet daté du 4 décembre 2017 accusant Kinshasa d’avoir recruté «clandestinement quelques déserteurs et indisciplinés radiés du M23».
De quoi faire rejaillir des soupçons de collusion entre Joseph Kabila et le mouvement terroriste «vaincu» en 2012, qui a miraculeusement refait surface en 2021 pour se lancer dans une nouvelle campagne de conquête de la RDC. Dans sa nouvelle version, le M23 s’est allié l’Alliance Fleuve Congo (AFC), un mouvement politico-militaire lancé par Corneille Nangaa, l’ancien président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) sous Joseph Kabila, qui ne cache pas ses intentions de défaire le pouvoir en place à Kinshasa et bénéficie du ralliement de nombreux cadres du PPRD de Joseph Kabila.
Collusion avec le M23 et les Mobondo
Pour Kinshasa, les faits sont clairs : M23/AFC = Joseph Kabila, n’a cessé de répéter Félix Tshisekedi. La dernière de ces accusations remonte au 15 février 2025 à Munich, alors que le chef de l’Etat congolais s’exprimait dans le cadre d’une conférence sur la sécurité internationale. Joseph Kabila est le parrain de l’AFC a-t-il déclaré à ses interlocuteurs. Ce que les propos de son prédécesseur dans le Sunday Times semblent corroborer.
Et comme pour couronner le tout, au cours d’une campagne de mobilisation populaire contre l’agression rwandaise et de recrutement au sein des FARDC, Jean-Pierre Bemba, ancien rebelle MLC devenu ministre Tshisekedi, a lui aussi enfoncé le clou sur ces accusations de collusion. Jeudi 26 février à l’escale de Bandundu-ville, l’ancien ministre de la Défense Nationale a formellement accusé Joseph Kabila d’être le parrain des Mobondo, un mouvement terroriste qui écume les provinces du Maindombe, du Kwilu et du Kwango depuis quelques années. «Depuis que je connais le Grand Bandundu, je n’ai jamais appris que deux tribus qui se côtoient s’entretuent. J’étais ministre de la Défense, nous avions arrêté ces gens-là et les avions interrogés. Ils ont tout avoué et cité le nom de l’ancien président de la République. C’est Joseph Kabila qui est derrière tout ça. Il l’a fait dans le but de déstabiliser Kinshasa», a-t-il déclaré au cours d’un meeting.
Ainsi resurgit le spectre d’un retour à la case départ, aux négociations et accords de Sun City en Afrique du Sud qui consacrèrent le partage du pouvoir entre belligérants (soutenus par les puissances étrangères), l’opposition politique interne non armée et l’alors pouvoir en place détenu par Joseph Kabila. Aujourd’hui, il se range parmi les belligérants, aussi bien par son soutien au M23 que par le mode d’accession au pouvoir de l’AFDL de Laurent-Désiré Kabila, dont il est issu. Les pistoleros sont donc de retour, en supposant qu’ils soient jamais partis ! Et l’esprit Sun City est de retour avec ses équilibres précaires issus de conciliabules inter congolais encadrés par le très controversé Thabo Mbeki et qui n’ont pas empêché le pays de basculer dans la violence à plusieurs reprises. Comme en 2002, la communauté internationale (Etats-Unis, Canada, Royaume-Uni, Union européenne) ne fait pas mystère de sa préférence pour ces ‘‘équilibres’’ précaires, et appelle avec insistance à un nouveau dialogue.
J.N. AVEC LE MAXIMUM