A Goma, chef-lieu de la province congolaise du Nord-Kivu, on se croirait revenu 30 ans en arrière, en 1994, à l’occasion du tristement célèbre génocide rwandais. A quelques détails près, le scénario macabre qui endeuilla la capitale du Rwanda voisin avant de s’étendre alentours, notamment en RDC, se répète. Goma investi par les troupes régulières rwandaises depuis le 28 janvier 2025 n’est pas loin d’un enfer. «C’est la cinquième fois que la ville tombe aux mains d’une rébellion soutenue par le Rwanda au cours des trois dernières décennies. Les deux premières fois, en 1996 et en 1998, c’était pendant les guerres du Congo, lorsque le Rwanda est entré officiellement dans le pays voisin», rappelle, pudiquement, Jason Stearn, un chercheur spécialiste de la région des Grands Lacs. Mais la vérité, tout le monde la connaît. La réalité aussi. Ce sont les forces spéciales RDF entrés en masses par les postes frontaliers 12 et 13 ainsi que par voie lacustre qui avaient investi Goma, le 28 janvier. Sans elles, «le M23 n’aurait jamais pu prendre la ville», expliquera aux parlementaires britanniques, quelques jours plus tard, David Lammy, leur ministre des affaires étrangères. Ni faire passer de vie à trépas quelque 3.000 âmes congolaises.
3.000 tués
Mardi 4 février, les Nations Unies ont rendu publics les premiers bilans des affrontements dans la ville volcanique : 2.000 personnes ont été enterrées depuis la semaine dernière, auxquelles il faut ajouter 900 dépouilles mortelles qui attendaient d’être inhumées dans les morgues des hôpitaux de la ville.
«De nombreux corps, en état de décomposition, restent encore dans certaines zones, notamment à l’aéroport et à la prison de Goma. L’enterrement rapide est essentiel pour prévenir des risques sanitaires, notamment les épidémies», explique à RFI, Bounena Sidi Mojhamed, directeur adjoint du Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (Ocha) en RDC. Des habitants avancent qu’une opération de fouille au Mont Goma pourrait mener à la découverte de nombreux autres corps humains. «L’armée rwandaise, la RDF, a fait du bon boulot pour le compte l’AFC/M23, comme à l’époque de l’AFDL. Elle a marché sur des vies humaines pour punir Félix Tshisekedi. Dans une ville de plus de deux millions d’habitants sans compter les déplacés et les maybobo, le plus grand défi oublié reste le nombre de morgues et leurs capacités. Les libérateurs n’avaient pas pris en compte cette réalité», commentent nos confrères de Les Coulisses.
Une centaine d’inhumations/jour
Les gomatraciens ne sont mis aux tâches funèbres. Pour la seule journée du 4 février, les équipes de la Croix Rouge ont inhumé une centaine de corps emmenés à bord d’au moins 3 camions au cimetière de l’Itigi Don Bosco. En l’absence des membres de leurs familles. Le lot quotidien des populations congolaises prétendument libérées n’est guère enviable. Elles vivent terrorisées, la peur au ventre, d’autant plus que les occupants, soldats rwandais ou rebelles AFC/M23 s’adonnent à des patrouilles régulières rythmées par des perquisitions de domiciles, rapporte Stéphane Dujarric, porte-parole du secrétaire général de l’ONU. «Des pillages et des occupations de domiciles privés par le groupe armé ont été signalés, ainsi que des tentatives de saisie de véhicules, notamment ceux appartenant à des organisations», déclare-t-il. Si les pour les organisations humanitaires il ne s’agit que de tentatives, il en va tout autrement des privés congolais dont les véhiculés pillés sont emmenés au Rwanda, selon le témoignage de Crispin Mbindule, un député élu de Butembo. «Des hordes de Rwandais traversent la frontière pour venir piller à Goma», a-t-il déclaré sur Top Congo FM. Personne n’ose lever le petit bout du doigt, et pour cause. L’AFC/M23 a interdit les activités de la société civile et des mouvements citoyens, pourtant si promptes à décréter villes mortes et autres manifestations de contestation de ci ou de ça. Même pas celles de Lucha, pourtant peu encline à caresser Kinshasa dans le sens du poil.
Restriction des libertés
Alors qu’ils tentaient de gagner Beni, encore libre, en traversant le Rwanda, les activistes des droits de l’homme, Clovis Munihire et Thomas d’Aquin Mwiti Luanda ont été arrêtés et placés en détention au Rwanda.
De nombreux actes de sabotage gratuit sont rapportés. Même les établissements d’enseignements scolaires ne sont pas épargnés par les occupants rwandais. «Comment expliquer cette haine qui conduit à saccager des dossiers des élèves, des laboratoires de chimie et physique, des bancs de l’internat de l’Ecole du Cinquantenaire, unique établissement d’enseignement secondaire et technique de la ville ?», se plaint Les Coulisses. Qui rapporte le sabotage de la tour de contrôle de l’aéroport international de Goma «dans le seul but d’opérer en toute quiétude».
Dans ces conditions, Goma s’est sensiblement vidé de ses habitants, contraints de se réfugier dans les localités voisines ou d’émigrer au Rwanda.
Même les déplacés de guerre se sont vu contraints de quitter les sites précaires qui les abritaient autour de la ville. Beaucoup parmi eux (près de 700.000) sont retournés dans leurs milieux d’origine, également sous occupation, selon un rapport d’Ocha.«La quasi-totalité des sites de déplacés sur l’axe Kanyaruchinya ont été détruits et vidés de leurs occupants. Les installations d’eau et les latrines, ainsi que les structures de santé ont été détruites. Les occupants de ces sites qui avaient fui vers Goma ont commencé à retourner dans leurs localités d’origine sur l’axe Kibumba-Rutshuru», indique l’agence onusienne.
A ce tableau apocalyptique s’ajoute le taux, alarmant selon l’ONU, des violences sexuelles enregistrées ces derniers jours. «Des éléments armés auraient profité du contexte délétère pour perpétrer des pillages et des viols dans les quartiers de Majengo, Virunga, Birere, ainsi qu’autour de l’aéroport et du rond-point Instigo», rapporte Ocha. Alors que le bureau local de l’UNICEF fait état de «45 cas de violences sexuelles sur des enfants et 70 enfants blessés de moins de 5 ans envoyés à l’hôpital Virunga pour y recevoir des soins spécialisés».
Tel est le bilan provisoire de la énième «libération» made in Kigali.
J.N. AVEC LE MAXIMUM