Dans la guerre qui sévit au Nord-Kivu, Paul Kagame et son armée ont carrément cessé de se dissimuler. Depuis lundi 27 janvier dans la journée, les forces spéciales RDF ont massivement fait irruption à Goma, s’emparant après d’âpres combats, d’un certain nombre de points stratégiques du chef-lieu de la province du Nord-Kivu. Malgré cette énième agression rwandaise, la communauté internationale dont dépend largement la survie du régime de Kigali tarde à réagir face à cette outrecuidance, contrairement à l’attitude affichée dans les mêmes circonstances en 2012, lorsque Goma fut capturé par la même armée rwandaise se couvrant derrière les mêmes renégats du M23.
Dans l’opinion, en RDC et à travers le monde, les interrogations le disputent à la révolte : qu’est-ce donc qui a changé depuis la dernière occupation de Goma par Kigali et ses supplétifs ?
Aujourd’hui, le monde a basculé. Les valeurs qui guidaient l’agir politique ont évolué avec une rapidité stupéfiante, explique-t-on. «Cette fois-ci, nous semblons vivre dans un monde différent – un monde dans lequel la migration, les investissements commerciaux et d’autres préoccupations nationales sont plus importants que le droit international et les considérations humanitaires, et où l’apathie l’emporte sur la solidarité. Un monde où nous dénonçons l’agression en Ukraine, mais où nous haussons les épaules lorsque des millions de personnes sont déplacées en Afrique centrale», écrit Jason Stearns, un spécialiste de la région des Grands Lacs africains.
Le cynisme et l’arrogance de Paul Kagame et de ses mentors en faveur desquels il pille les richesses naturelles de la RDC, commettant au passage des atrocités sans nom et provoquant la plus grande crise humanitaire du moment, au vu et au su de tout le monde, trouveraient leur explication dans ce basculement du monde.
Entre 2012 et 2025, le dictateur rwandais a réussi à se procurer de solides soutiens au sein de la communauté internationale, qui le protègent et lui permettent de se comporter comme bon lui semble aussi bien dans son pays qu’en République Démocratique du Congo.
Des clients influents dans la communauté internationale
Parmi les protecteurs de la principauté militaire qui s’est installée par la force au pouvoir au Rwanda et qui couvrent invariablement les pillages des ressources minières de la RD Congo émerge le Royaume-Uni, appâté par la volonté de Kigali de l’aider à résoudre ses problèmes de trop plein d’exilés, selon des diplomates occidentaux. Jusqu’à il y a peu, personne n’était disposé à discuter des sanctions en réponse aux exactions commises par l’armée rwandaise en RDC voisine, assure-t-on. Même le nouveau gouvernement travailliste britannique, qui a pourtant prestement mis un terme au financement du projet d’expédition des migrants clandestins au Rwanda, aurait choisi de ne pas réprimander Paul Kagame au sujet de la guerre en RDC. Est révélateur à ce sujet, selon ces analystes, le fait que le premier dirigeant africain reçu par le nouveau premier ministre britannique soit le président rwandais, reçu au 10, Downing Street le 27 juillet 2024. Ses prédécesseurs conservateurs avaient pour leur part versé la bagatelle de 270 millions de livres sterling, soit 10 fois le montant de l’aide accordée habituellement à Kigali dans les mois qui avaient précédé, alors que la guerre sévissait déjà à l’Est de la RDC.
La France du président Emmanuel Macron, un des plus grands donateurs bilatéraux au Rwanda, compte également parmi les soutiens importants de Paul Kagame dans la communauté internationale. En raison du déploiement des troupes rwandaises au Mozambique où elles ont en charge la protection des installations gazières françaises. L’Union européenne a ainsi versé 20 millions d’Euros aux troupes rwandaises chargées de protéger le complexe de Total Energies dans ce pays.
Kigali a ainsi réussi à séduire les Occidentaux, en ce compris les Américains, en se présentant comme le troisième grand contributeur aux missions de maintien de la paix des Nations Unies, allant parfois jusqu’à menacer de retirer ses troupes si des sanctions étaient prises à son encontre, selon les mêmes sources. Pour le reste, grâce à des lobbies grassement rétribués, Kigali soigne son image de «chouchou des donateurs» aussi bien au Royaume Uni qu’aux Etats-Unis, estime-t-on.
Approvisionnements réguliers des entreprises occidentales
Au-delà de ces opérations de séduction qui lui auraient permis de mettre plus d’un dirigeant occidental dans sa poche, l’approvisionnement régulier d’entreprises occidentales en minerais stratégiques pillés en terre congolaise plaiderait en faveur du régime de Kagame. La capacité de Kigali à offrir à l’Occident un approvisionnement fiable en coltan contribue à expliquer l’inaction déplorée de l’UE, selon certains analystes. Or, c’est connu : l’armée de Kagame et ses supplétifs du M23 ont pris possession de la mine de Rubaya au Nord-Kivu, qui, à elle seule, représente 15 % des réserves mondiales de ce minerais hautement stratégique. C’est ainsi que l’UE aurait préféré malgré toutes les dénonciations, conclure un accord avec le Rwanda sur ces minerais stratégiques notoirement connus comme congolais, il y a quelques mois.
Enfin, il faut ajouter la dette morale contractée par la communauté internationale vis-à-vis du Rwanda depuis le génocide de 1994. Trente ans plus tard, des sources diplomatiques citent le génocide de 1994 comme un frein à tout questionnement objectif de la politique du Rwanda. Une certaine culpabilité occidentale collective imprègne la réponse occidentale aux problèmes sécuritaires posés par ce pays dans la région.
Mais, il semble que la dernière agression rwandaise contre son voisin rd congolais fasse évoluer la perception que les uns et les autres se faisaient du Rwanda et de son président Paul Kagame. De plus en plus de voix s’élèvent qui dénoncent les excès de l’armée rwandaise, qui ont provoqué la mort d’une dizaine de casques bleus en RDC, trois ans après qu’elle se fut de nouveau introduite sur le territoire d’un pays membre de l’ONU, y provoquant la plus grande crise humanitaire jamais connue à travers le monde. Une situation qui a révolté au plus haut point jusqu’aux britanniques, pourtant demeurés peu enclins à laisser titiller leur chouchou dans la région des Grands Lacs.
Le Royaume-Uni se rebiffe
Dans une déclaration à la chambre des Communes, le 28 janvier 2025, David Lammy, secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, du Commonwealth et du Développement britannique, a ainsi stigmatisé une recrudescence des violences qui «causent des dommages incalculables et freine la croissance économique – le fondement de notre futur partenariat avec les pays africains».
Le même jour au Conseil de sécurité des Nations-Unies, l’ambassadeur britannique, James Kariuki, a dénoncé l’obstruction par le Rwanda de l’action humanitaire des Nations-Unies, après que David Lammy eut personnellement téléphoné à Paul Kagame, le 26 janvier 2025, pour l’exhorter «à la désescalade nécessaire au retour de Kigali et de Kinshasa à la table des négociations».

La nouvelle administration américaine semble, elle aussi, peu encline à poursuivre le régime des faveurs en faveur de Paul Kagame et son régime. Dans un entretien téléphonique, lundi 27 janvier 2025, Marco Rubio, nouveau secrétaire d’État américain, a pris le temps d’échanger au téléphone avec les présidents congolais et rwandais pour discuter des relations bilatérales et du renforcement des liens avec leurs deux pays. M. Rubio a condamné l’assaut contre Goma «par le M23 soutenu par le Rwanda» et a affirmé le respect des Etats-Unis pour la souveraineté de la RDC. Et le secrétaire d’Etat américain et le président Tshisekedi ont convenu de l’importance de faire progresser le processus de Luanda et les efforts du président angolais Joao Lourenço, sabordés récemment par le forfait de Paul Kagame à la rencontre tripartite convoquée à cette fin dans la capitale angolaise pour relancer les pourparlers entre le Rwanda et la RDC dès que possible, selon le communiqué publié par ses services.
Pressions américaines
Au cours de la réunion du Conseil de sécurité sur la situation sécuritaire à l’Est de la RDC, le 28 janvier, les Etats-Unis ont, de même, condamné fermement les avancées du M23 et du Rwanda contre Goma et Sake au Nord-Kivu et appelé à un cessez-le-feu. Dans un commentaire sur son compte X, l’ancien secrétaire d’Etat américain, Herman J. Cohen, estime que «tant que le régime rwandais continue de refuser de reconnaître la souveraineté du gouvernement Tshisekedi sur la ville de Goma, dans l’Est de la RDC, il restera disqualifié de toute assistance internationale».
A l’évidence, les Etats-Unis exercent des pressions sur Paul Kagame pour qu’il retire les forces armées rwandaises de l’Est de la RDC et qu’il maîtrise ses supplétifs du M23 afin d’empêcher une nouvelle escalade de violence. Ce à quoi le dictateur rwandais aurait riposté en arguant de ce que les relations avec les Etats-Unis devraient demeurer empreintes de cordialité et de respect mutuel et non de coercition, selon des sources dans la région. Mercredi 29 janvier 2025 sur son compte X, le président rwandais a assuré avoir eu «une conversation productive avec le secrétaire Rubio sur la nécessité d’assurer un cessez-le-feu dans l’Est de la RDC et de s’attaquer aux causes profondes du conflit une fois pour toutes, et sur l’importance d’approfondir nos liens bilatéraux sur la base du respect de nos intérêts nationaux respectifs. Je me réjouis de travailler avec l’administration Trump pour créer la prospérité et la sécurité que les populations de notre région méritent». Des propos dont le caractère ubuesque tranche avec les actes posés par les forces gouvernementales rwandaises au Congo.
Des sanctions qui pointent
Le président rwandais s’est ainsi déclaré d’accord avec les Etats-Unis sur la nécessité d’un cessez-le-feu RDC, selon une dépêche de Reuters du 29 janvier 2025. Mais s’est abstenu de donner la moindre indication sur le retrait de ses troupes et celles du M23 du territoire congolais.
Néanmoins, la page des sanctions économiques contre Kigali semble s’ouvrir. Selon Christine Coleman, les Etats-Unis ont décidé la réduction de leur aide au Rwanda via l’USAID.
Mardi 28 janvier, l’Allemagne a annoncé une pause dans ses discussions avec le Rwanda sur l’aide au développement, exigeant que le pays de Paul Kagame et ses alliés du M23 retirent préalablement leurs forces de l’Est de la RDC. Selon une dépêche de Belga, le ministère allemand du Développement et de la coopération économique a indiqué avoir annulé des «consultations gouvernementales» prévues en février prochain avec le Rwanda. Et un porte-parole allemand a déclaré que «dans l’escalade actuelle, il ne peut y avoir de ‘business as usual’. Les discussions sur la coopération et l’aide au développement ne pourront reprendre que lorsque le Rwanda et le M23 auront mis fin à l’escalade et se seront retirés», a-t-il déclaré en substance.
En 2012, les donateurs du Rwanda avaient suspendu le versement de 240 millions USD d’aide en raison de l’occupation de Goma par l’armée rwandaise et le M23. Ce fut suffisant pour convaincre Paul Kagame de retirer ses troupes et ses rebelles du territoire de son voisin congolais.
J.N. AVEC LE MAXIMUM