La légèreté dans la gouvernance de la ville-province de Kinshasa devient de plus en plus insupportable.
Elu depuis le 29 avril 2024 à la tête de la mégalopole kinoise, une des villes les plus peuplées d’Afrique, Daniel Bumba Lubaki ne semble pas en mesure de relever les défis consistant à rendre la vie de ses administrés plus agréable. Au contraire, malgré une floraison de slogans aguicheurs, il laisse s’installer des marchés pirates à tout vent, des chantiers qui entravent la circulation sur la chaussée à côté des montagnes d’immondices pestilentielles et d’épaves de véhicules servant de repères à une pègre chaque jour plus audacieuse au nez et à la barbe d’une police des plus débonnaires.
Une ville-poubelle
La gestion des déchets ménagers à Kinshasa est, selon plusieurs observateurs, marquée par une incapacité avérée de l’autorité urbaine à prendre à bras le corps de manière concrète et efficace la collecte, le traitement et la gestion des risques environnementaux qui nuisent au bien-être et à la santé de près de 20 millions de kinois, ce, malgré divers projets et partenariats visant à améliorer la situation.
On signale à cet égard que Clean Plast, une société de recyclage de déchets plastiques en RDC, devrait jouer un rôle crucial dans la lutte contre la pollution plastique à Kinshasa.
Fondée en 2018, cette entreprise s’est en effet rapidement imposée comme un acteur clé dans la gestion des déchets plastiques qui est un problème majeur pour la capitale congolaise.
Implantée à Kingabwa, elle a pour mission de collecter, traiter et recycler tous les types de déchets plastiques. Avec une capacité de traitement de 4.000 tonnes par mois alors que la ville produit par jour que 10.000 tonnes de déchets, soit un gap de 296.000 tonnes par mois qui empoisonnent littéralement la ville.
Qu’est-ce qui empêche le gouvernement Bumba d’en finir avec ces amas d’ordures qui jonchent les quatre coins de la ville-capitale ? Alexander Bamanisa, le directeur gérant Clean Plast a déclaré que pour assainir la ville, sa société a signé un partenariat public-privé avec les autorités qui vise notamment à sensibiliser la population à l’importance du recyclage. «Nous avons également installé 15 sites de collecte dans toute la ville, où environ 10 tonnes de déchets plastiques sont récupérées quotidiennement».
A voir l’état des cours d’eau et des rues encombrés de déchets, il est clair que la seule sensibilisation ne suffit pas. «Tout se passe comme si les autorités en place dans la ville et les vingt-quatre communes de Kinshasa sont incapables d’imposer le respect de la législation et des réglements en la matière. Plusieurs sources indiquent qu’elles préfèrent ‘‘négocier’’ les entorses auxdits législation et règlements en échange de prébendes sonnantes et trébuchantes», s’insurge un député provincial de Kinshasa sous le sceau de l’anonymat.
Le bourgmestre d’une commune de la Tshangu interrogé par nos rédactions a révélé que les vingt-quatre bourgmestres sont limités dans leurs moyens d’action contre ces fléaux à cause de la centralisation excessive de la gestion au niveau de l’hôtel de ville de Kinshasa.
La seule solution idoine pour juguler l’insalubrité dans une ville tentaculaire de près de 10.000 kilomètres carrés comme Kinshasa, réside dans l’implication active des édiles à la base (bourgmestres, chefs de quartiers et de rues) et la mise effective à leur disposition des ressources logistiques et humaines appropriées pour appliquer et faire appliquer les normes. Aucun individu, quelque soit ses qualités et compétences, ne peut y arriver en agissant en solo.
C’est en s’accrochant à une gestion unilatérale que les autorités urbaines sont en train de détruire à petit feu le siège des institutions congolaises qui ne paie pas de mine. «Il ne suffit pas de multiplier les appels au changement des mentalités, encore faut-il faire respecter la loi en réprimant chaque fois que de besoin les trop nombreuses incivilités qui caractérisent la vie quotidienne des hommes et des femmes qui ont en partage la capitale de la RDC», estime l’urbaniste André Engongo.
C’est bien à cause de l’incompétence et de l’incurie du gouvernement provincial de Kinshasa que des entreprises comme Clean Plast et d’autres ne sont pas en mesure à ce jour de donner leur plein rendement. Le directeur technique de Clean Plast Jagdeep Pandya déclare euphémiquement que cette entreprise ne fonctionne qu’«à 20 % de sa capacité en raison d’un manque d’infrastructures et d’une sensibilisation insuffisante au recyclage.Elle doit encore développer ses opérations pour maximiser son impact».
On signale que dans les fatras de déchets qui s’observent à Kinshasa, une part significative est constituée de plastique. L’interdiction de cette matière ou son recyclage systématique est donc impérative pour éviter le pire.
Des structures sclérosées
La collecte des déchets dans la capitale est théoriquement de la compétence de la Régie d’assainissement et des travaux publics de Kinshasa (RATPK) mais elle demeure irrégulière, ce qui entraîne la formation de nombreuses décharges sauvages.
Pour ce qui du traitement, Kinshasa dispose du centre d’enfouissement de Mpasa, créé grâce au Projet d’Appui à la réhabilitation et l’assainissement urbain (PARAU), financé par l’Union européenne, ce qui fait dire à des mauvaises langues que même pour améliorer leur milieu de vie, les Congolais ont besoin de la communauté internationale. Non sans raison étant donné que l’impact de ce projet s’est estompé dès que le partenaire européen avait mis fin à son financement en 2015.
Projets récents et à venir
En partenariat avec l’Agence Française de Développement (AFD), le projet To petola, d’une hauteur de 15 millions d’euros, destiné à renforcer la résilience des quartiers vulnérables de Kinshasa (N’danu, Salongo et Abattoir) face aux inondations et aux défis de gestion des déchets a été mis en oeuvre. Il concerne la réhabilitation des infrastructures de drainage, la formation des communautés locales à la pré-collecte et au tri des déchets, ainsi que l’amélioration de la gouvernance urbaine. Si le gouvernement de la ville-province de Kinshasa n’est pas capable d’entreprendre de telles actions, on est en droit de se poser la question de son utilité.
Depuis son avènement à la tête de Kinshasa, le gouverneur Daniel Bumba a initié un plan de gestion des déchets dévoilé en septembre 2024. Ce plan inclut la création de nouveaux sites de décharge et l’implication des PME locales pour la collecte, avec à la clé une rémunération des travailleurs afin de stimuler l’économie locale.
Un autre projet de recyclage et valorisation des déchets prévu pour 2024 en partenariat avec l’entreprise Yetu, vise à recycler les déchets et à moderniser les technologies de collecte et de traitement.
Il existe par ailleurs une ébauche de projet en négociation avec Cambridge, une société américaine pour la production de l’électricité à partir de déchets dont le financement reste à trouver.
Même des artères modernisées comme les boulevards Lumumba ou du 30 Juin souffrent de l’incapacité de l’autorité urbaine à les entretenir décemment. De temps en temps, on aperçoit des éboueurs armés de balais en lieu et place d’aspirateurs automoteurs sur ces tronçons emblématiques, ce qui démontre, si besoin en était encore, le peu d’ambition du gouvernement provincial. Il en est de même des marchés pirates et débits de boissons qui envahissent impunément le moindre trottoir réservé aux piétons et aux deux roues qui, en se disputant la chaussée aux automobiles, transforment chaque jour Kinshasa en un maelström indescriptible.
Faute d’agir en pleine responsabilité contre ces multiples dysfonctionnements, le pays entretient dans sa capitale une véritable bombe à retardement.
Le Maximum