Après Kisangani (Tshopo) et Lubumbashi (Haut-Katanga), c’est le tour de Kalemie au Tanganyika. Le président de la République Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo persiste et signe : la constitution de 2006 sera remplacée ou révisée. Arrivé dans le chef-lieu de la province du Tanganyika mardi 26 novembre 2024 dans l’après-midi, le chef de l’Etat s’est refusé à toute polémique sur la question, annonçant que le peuple tranchera en dernière instance. 24 heures plus tard, les 26 gouverneurs de provinces de la RDC, réunis dans le cadre de leur conférence annuelle, ont annoncé leur soutien à l’initiative présidentielle avec force récriminations contre l’actuelle loi fondamentale. Et ils sont loin d’être les seuls.
L’affaire est donc résolument enclenchée. «Je n’ai rien à changer à ce que j’ai dit à Lubumbashi en ce qui concerne la constitution. Mon message reste le même, et vous, vous êtes un peuple plein d’initiatives qui a combattu la dictature la plus atroce. Vous devez aussi prendre l’initiative pour ce qui est de cette Constitution qui ne vise pas l’intérêt de la nation congolaise», a déclaré le président de la République, Place Maendeleo à Kalemie, devant une foule toute ouïe. «Vous êtes un grand peuple. Et vous savez ce qui est bien pour vous et ce qui ne l’est pas. On ne peut pas vous traiter comme des enfants en vous empêchant de réfléchir. C’est votre pays, votre destin qui est en jeu. Vous avez le droit de l’analyser, de réfléchir et de regarder cette constitution et prendre la décision que vous allez prendre après cela. Je ne veux pas rentrer dans la polémique. Je veux le libre débat entre ceux qui sont pour et ceux qui sont contre. Et le moment venu, le dernier mot reviendra à notre peuple», a encore expliqué Félix Tshisekedi sous les applaudissements nourris de la foule.
Mercredi 27 novembre 2024, l’initiative présidentielle a obtenu l’adhésion unanime des gouverneurs des provinces de la RDC, que l’on sait constamment malmenés par les Assemblées provinciales. La constitution «contient beaucoup de dispositions ambiguës et incohérentes, sources d’instabilité des institutions provinciales et obstacles au développement à la base», soutiennent-ils dans leur «Message de soutien à la réforme constitutionnelle». Le document signé par les participants à la conférence des gouverneurs de Kalemie en appelle à une «évaluation profonde de la constitution» pour l’adapter aux réalités du pays. Et déclare leur «adhésion sans condition au projet salvateur de révision ou changement de ladite constitution».
Révision ou changement ?
Comme nombre de leurs compatriotes, les gouverneurs des provinces semblent encore hésiter entre révision et changement de la constitution. Probablement parce que le président de la République ne semble pas avoir définitivement tranché sur la question. Mardi dernier à Kalemie, Félix Tshisekedi avait clairement fait allusion au recours en dernière instance à l’arbitrage de la population. Ce qui laisse entrevoir la perspective d’un référendum populaire, et donc d’une nouvelle constitution à adopter par un vote populaire. Mais les observateurs rappellent qu’à Kisangani, quelques jours plus tôt, il avait annoncé la mise en place, dès janvier 2025, d’une commission interdisciplinaire chargée d’étudier la question et les adaptations à apporter à la constitution. En principe donc, les options fondamentales devraient découler des conclusions de ce groupe de travail.
L’incertitude demeure donc sur la question de savoir s’il y aura révision ou changement de la constitution. D’autant plus que le parti présidentiel, l’UDPS, semble, lui aussi hésiter.
Certes, en réaction aux déclarations des partis politiques de l’opposition réunis au sein des Forces politiques et sociales de la République, qui s’étaient opposés à toute révision ou changement constitutionnel le 20 novembre 2024 à Kinshasa, l’UDPS avait monté les enchères. Le 21 novembre 2024 au siège du parti présidentiel à Kinshasa/Limete, Augustin Kabuya, le secrétaire général et président a.i. du parti avait déclaré que «notre cahier des charges, c’est maintenant le changement de la constitution. Que le peuple nous départage». Mais au cours d’une interview sur RFI, le 26 novembre 2024, il a donné l’impression de nuancer ses propos. En réponse à une question de nos confrères de la radio publique française sur le changement de la constitution, le secrétaire général de l’UDPS a déclaré que «nous ne sommes pas encore à ce stade. Ne cherchez pas à faire dire au chef de l’Etat ce qu’il n’a pas dit, ou lui prêter les intentions qu’il n’a pas».
Intégrité territoriale compromise
Si la question de la modification ou du changement de la constitution reste entière, il en va tout autrement des griefs retenus à charge de la loi fondamentale promulguée en 2006 que plusieurs voix stigmatisent.
L’article 51, relatif à la protection des minorités ethniques en RDC est ainsi régulièrement critiqué comme étant en totale contradiction avec l’article 12 qui stipule que tous les Congolais sont égaux devant la loi.
Même si les articles les plus incriminés sont ceux relatifs à l’intégrité territoriale sérieusement malmenée. Me Jean-Marie Kabengela Ilunga, après une étude comparée des constitutions d’un certain nombre d’Etats du continent estime qu’«il faut réviser la Constitution en modifiant notamment les articles 214, 216, 217 et 220 en vue de préserver l’intégrité du territoire national comme d’autres Etats l’ont fait».
L’article 217 particulièrement cristallise les débats depuis notamment qu’il a été rétorqué à ses détracteurs qu’il s’agit d’une disposition commune à la plupart d’Etats du continent. Interrogé sur la question, l’ancien ministre Mutiri wa Bashara livre un éclairage qui ne manque pas de pertinence. «Il faut comprendre quel était le contexte. En 1967, les pères fondateurs, pionniers des indépendances africaines, pensaient vraiment fort à l’unité africaine. Ils rêvaient de faire de l’Afrique un espace uni, politiquement et économiquement. Plusieurs pays avaient donc à ce moment-là, mis dans leurs constitutions la possibilité de céder des espaces au nom de l’unité africaine. On était en ’67 dans le concept de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation. Mais qu’est-ce qu’il en reste ? Aujourd’hui, il y a des crises partout. L’agonie de l’unité africaine par le fait de plusieurs acteurs que vous connaissez. Et le dernier, c’était Kadhafi. Aujourd’hui, ce serait une aberration au moment où le Rwanda de Kagame veut conquérir nos territoires. Ce rêve de l’union africaine n’existe plus et l’intangibilité des frontières est devenue un leurre. Il n’y a personne dans cette Afrique qui respecte ce principe», argue-t-il. Ce point de vue est partagé par le député national Lambert Mende qui rappelle que «le principe de l’intangibilité des frontières coloniales a été malmené avec la création du Soudan du Sud est de l’Erythrée suite à la partition du Soudan et de l’Ethiopie. A bon entendeur, un exemple suffit».
Monstruosités sur la territoriale
Des dispositions sur la territoriale, dont les promesses n’ont pas été tenues font également frémir les pourfendeurs de la constitution de 2006. «Il serait opportun de faire notamment une pause sur le processus de désignation des gouverneurs de provinces et les pouvoirs des assemblées provinciales sur eux. Leur double casquette de haut fonctionnaire et d’élu est une monstruosité administrative et politique qui obère leurs capacités à agir efficacement», avance le juriste Charles Kabuya qui penche, après beaucoup d’autres, pour «un régime présidentiel renforcé, avec un président élu au suffrage universel direct pour un mandat de 7 ans, renouvelable une seule fois et qui aurait le pouvoir de nommer ses représentants en provinces parmis des non originaires». Parce que «l’immensité du défi du développement d’un si grand pays nécessité que le temps de la gouvernance soit élargi».
Un fait paraît évident. La constitution de 2006, élaborée par des belligérants préoccupés par la préservation de leurs intérêts stratégiques, apparaît on ne peut plus incapacitante. Et ce ne sont pas les explications du politologue belgo-congolais Bob Kabamba qui a fait partie des concepteurs de la constitution de 2006, qui convaincraient du contraire. Au cours d’une interview sur Top Congo FM, cet universitaire a affirmé en effet, que «la constitution de 2006 n’est pas adaptée au contexte que nous sommes en train de vivre. On a essayé de faire qu’il n’y ait pas de pouvoir fort, et que chacun ait un contre-pouvoir. L’Assemblée a un contre-pouvoir, le Sénat. Au niveau du pouvoir judiciaire, on a trois ordres et chacun en guillemets surveille l’autre, même si on a mis un peu la cour constitutionnelle au-dessus. Au niveau même de l’Etat, on a mis l’Etat central, mais l’Etat central on lui a mis aussi comme contre-pouvoir, les provinces. Au niveau de l’exécutif, on a mis deux têtes à l’exécutif : un président de la République et un premier ministre, chef du gouvernement».
La liste des articles qui posent problème dans la constitution en vigueur en RDC n’est pas exhaustive. Mais le cocktail est paralysant à souhait.
J.N. AVEC LE MAXIMUM