Durant quatre jours, du 7 au 11 octobre 2024, s’est tenu devant le tribunal correctionnel de Paris un drôle de procès contre Charles Onana, politologue et journaliste franco-camerounais, poursuivi pour «contestation publique de crime contre l’humanité». Les plaignants, des organisations proches du dictateur rwandais Paul Kagame, à l’instar de la Fédération internationale des Droits de l’Homme (FIDH), de la Ligue des droits de l’Homme (LDH), Survie-France, la Ligue Internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme (LICRA), la Communauté des Rwandais de France (CRF) et Ibuka (Collectif des rescapés du génocide). Cet aréopage interlope reproche à Onana et à son éditeur la remise en cause de la planification du génocide des Tutsi de 1994 présenté par l’auteur comme «l’une des plus grandes escroqueries du XXe siècle».
Les plaignants dans ce procès ouvert lundi dernier à Paris en ont donc particulièrement après les thèses soutenues par cet universitaire dans Rwanda, la vérité sur l’opération Turquoise. Quand les archives parlent, paru en 2019 aux Editions du Toucan.
Sur les 500 pages de l’ouvrage complétées récemment par un autre, Holocauste au Congo. L’Omerta de la communauté internationale aux Editions l’Artilleur, l’auteur compile les résultats de longues recherches qu’il a entreprises en vue de la soutenance d’une thèse de doctorat en sciences politiques. Mais ses détracteurs n’en ont retenu que quelques 19 phrases, dont certaines se réduisent à des ponctuations, qui prouveraient dans leur entendement, une négation du génocide des Tutsi au Rwanda, selon Christian Lusakweno de la radio kinoise Top Congo FM qui couvre le procès de Paris.
Charles Onana est poursuivi sur la base d’une plainte déposée en 2020 en vertu de la loi sur la liberté de la presse en France, modifiée en 2017 (pour les besoins de la cause, selon certaines sources) et punissant «le fait de nier, minorer ou banaliser de façon outrancière tous les génocides reconnus par la France, et pas seulement celui des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale». Le contrevenant encourt une peine d’un an de prison et une amende de 45.000 Euros. «Nous sommes face à un négationniste assumé qui ne peut se réfugier derrière aucun prétexte», a déclaré aux médias, Me Sabrina Goldman, avocate de la Licra, également partie civile. «Pour qu’il y ait un génocide, il faut un plan concerté, ce qu’il récuse», a-t-elle soutenu.
Onana ne nie pas le génocide
Lundi 7 octobre 2024 devant le tribunal correctionnel de Paris, c’est un Charles Onana sûr de lui qui s’est défendu d’avoir nié le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994. «Je ne nie pas du tout le génocide et je ne le ferai jamais», a-t-il déclaré, ajoutant qu’au contraire, il considérait «le génocide des Tutsi comme étant un fait incontestable». Néanmoins, il a soutenu avoir effectué «un travail de recherche scientifique comme politologue», lequel a établi une différence «entre les civils tutsi qui ont été victimes d’un génocide et des rebelles qui mènent une action violente et qui ont conquis le pouvoir par la force des armes au Rwanda». Le chercheur affirme sans se démonter que par deux fois, la reconnaissance de l’existence d’un génocide est explicite dans l’ouvrage. Mais aussi, que le véritable sujet polémique est celui de la planification ou non du génocide de 1994. Depuis trois décennies, Kagame et son Front Patriotique Rwandais (FPR) tentent par tous les moyens, d’imposer leur version de ce drame. Selon cette version qu’il met en discussion, le gouvernement du deuxième président du Rwanda, le hutu Juvénal Habyarimana, aurait programmé de longue date l’élimination complète de la minorité Tutsi.
Cette thèse est, selon plusieurs sources citées par l’universitaire franco-camerounais, de plus en plus remise en question par de nombreux travaux scientifiques qui incitent à tourner le regard vers Paul Kagame et ses troupes rebelles du FPR. «Si ce ne sont pas les Hutu qui ont planifié le génocide, qui d’autres l’ont fait ?», s’interroge ainsi Simon-Pierre Gahamanyi, un opposant au régime en place à Kigali pour qui Kagame et sa bande d’anciens miliciens en provenance de l’Ouganda veulent faire taire le franco-camerounais dont les conclusions les mettent en cause.
Charles Onana est, lui aussi, assez clair sur le sujet. «En réalité, Kagame et l’Etat rwandais avaient déjà déposé deux plaintes contre moi, en 2002, pour mon livre intitulé Les secrets du génocide rwandais (Editions Duboiris). Un ouvrage écrit avec mon ami Déo Mushayidi, rescapé du ‘‘génocide Tutsi’’. Deux jours avant le procès, j’avais déposé 4.000 documents de preuve auprès du juge : Kagame ainsi que l’Etat rwandais n’eurent alors d’autre choix que de retirer leur plainte», a-t-il révélé quelques jours avant l’ouverture du procès de Paris.
Pas de planification du génocide
La question de la planification ou non par le gouvernement Habyarimana du génocide rwandais ouvre la voie à un réexamen des responsabilités des différents protagonistes de cette abominable tuerie intervenue en 1994 au Rwanda et qui a emporté près d’un million de Tutsi, de Hutu et de Twa, les trois ethnies qui composent la société rwandaise. Pour Kagame et ses affidés, toute recherche dans ce sens doit être prohibée car elle pourrait aboutir à remettre en question ‘‘sa’’ vérité selon laquelle seuls des Tutsi auraient été victimes de ce pogrom, ce qui est historiquement inexact.
De manière sereine, Charles Onana attire par ailleurs l’attention sur la RDC, pays voisin envahi dans la foulée de la prise de pouvoir à Kigali par Kagame et où on déplore plus de 10 millions de morts que le dictateur veut passer aux oubliettes. Le véritable enjeu du procès contre Onana repose manifestement dans la révélation par cet auteur des tenants et aboutissants du drame que vivent les Congolais depuis trois décennies à ce jour. «Le livre sur Turquoise, qui a été préfacé par le colonel belge Luc Marchal, commandant des casques bleus de l’ONU en 1994 au Rwanda, explique à partir des cartes d’Etats-majors, notamment celles de la CIA et de la Direction du renseignement militaire français, que Paul Kagame a planifié l’invasion de la RDC dès 1994 en y poussant massivement des millions de réfugiés rwandais», assure Charles Onana dans une interview à la presse.
«L’objectif de cette pression militaire sur les populations était de vider le Rwanda de la majorité Hutu que la rhétorique du régime de Kagame a tendance à qualifier pêle-mêle de ‘‘génocidaire’’». Lorsque cette partie de la population rwandaise a été poussée de force vers la RDC, Kagame a prétexté que «ces génocidaires constituaient une menace pour le Rwanda et qu’il fallait les poursuivre au Congo», selon l’universitaire franco-camerounais.
Les dépositions des témoins devant le tribunal correctionnel de Paris infirment, elles aussi, la thèse de la planification du génocide rwandais qui n’a pas ciblé que des Tutsi. Selon le colonel Luc Marchal, l’élément déclencheur de ce crime contre l’humanité a été l’assassinat le 6 avril 1994 du président Juvénal Habyarimana, un Hutu, par … un commando tutsi de la branche armée du FPR de Paul Kagame. L’officier supérieur belge à la retraite a également révélé devant le tribunal que le FPR a été la première à perpétrer des massacres de masse, le 7 avril 1994, soit 24 heures après l’assassinat d’Habyarimana. «Tout a été planifié parce qu’on ne peut pas abattre l’avion présidentiel par hasard», selon cet officier supérieur belge qui avance que le sort des Tutsi restés au Rwanda, qui ne sont jamais partis en exil, était «le cadet des soucis des dirigeants du FPR qui les considéraient comme des ’’collabos’’ du régime Habyarimana››. Pour Luc Marchal, les accusations de négationnisme portées contre Charles Onana, auteur d’un ouvrage scientifique fruit de dix ans de recherches en vue d’une thèse doctorale soutenue à l’Université Lyon III en 2017 et reçue «avec les félicitations du jury», ne sont donc pas fondées.
Onana n’est pas négationniste
Charles Onana n’est pas négationniste, a soutenu également devant le tribunal correctionnel de Paris, Yohann Swinnem, ambassadeur belge au Rwanda au moment des faits. «L’issue de ce procès est importante aussi pour la RDC. Il ne faut pas banaliser ni le génocide, ni l’accusation du négationnisme. Mais il faut s’en prendre aux véritables négationnistes et Charles Onana n’est pas un négationniste. C’est pourquoi je suis venu et j’ai tenu à témoigner», a-t-il déclaré à Top Congo FM. Selon ce diplomate, qui rappelle que le tribunal sur le génocide n’a pas pu prouver qu’il y a eu planification avant l’attentat contre l’avion du président Juvénal Habyarimana, «génocide Tutsi oui, il y en a eu, il faut le confirmer, crier fort l’indignation contre ce génocide. Mais en même temps garder ouvert le débat sur d’autres responsabilités».
Des responsabilités qui étalent leurs tentacules jusqu’en RDC voisine, envahie à maintes reprises par l’armée rwandaise. La RDC qui est pillée et infiltrée jusqu’à la moelle pour mieux asseoir la prédation de ses ressources naturelles et l’extermination de ses populations civiles. Au pays de Patrice Lumumba, le procès intenté à Charles Onana s’avère plutôt riche en révélations. Notamment, en ce qui concerne l’influence et le rôle d’organisations internationales dans la domestication de ce géant de l’Afrique. A l’instar de la sacro-sainte FIDH, longtemps vénérée ici et considérée comme une organisation internationale neutre, qui se révèle en fin de compte proche du pouvoir dictatorial monoethnique tutsi en place au Rwanda depuis 1994 puisqu’elle se retrouve parmi les parties civiles qui veulent en découdre avec le chercheur franco-camerounais. La FIDH, c’est cette ONG internationale qui a pistonné jusqu’au sommet de la Commission nationale des droits de l’Homme de la RDC (CNDH), la candidature de Paul Nsapu, son actuel président dont on sait qu’il fut membre du directoire de la FIDH.
La planification du génocide des Tutsi au Rwanda telle qu’elle est présentée par la propagande du régime Kagame est d’autant plus douteuse qu’elle apparaît de plus en plus comme une démarche stratégique d’un rare cynisme pour des objectifs prédateurs dont on n’a peut-être pas encore mesuré l’ampleur.
J.N. AVEC LE MAXIMUM