Les lampions se sont éteints samedi 5 octobre 2024, sur le 19ème sommet de la francophonie à Villers-Cotterêts (Aisne) et au Grand Palais de Paris en France. Au pays d’Emmanuel Macron, quelques 160 délégations, flanquées de 200 exposants pour des rencontres d’affaires ont échangé autour de l’intelligence artificielle (IA), la transition énergétique, le capital humain, le développement et le financement de l’innovation. Mais au-delà de ces thématiques, la session 2024 de l’organe suprême de l’OIF aura enregistré de sérieux couacs. Notamment, l’absence de plusieurs figures de proue de l’organisation, à l’instar de Bassirou Diomaye (Sénégal), Paul Biya (Cameroun), Denis Sassou Nguesso (Congo-B), Teodoro Obiang Nguema (Guinée Equatoriale) et Mohamed VI du Maroc. Pire, le rd congolais Félix Tshisekedi, président du premier pays francophone au monde, a claqué la porte de ces assises avant terme en signe de protestation contre le discours à double standard prononcé par le chef de l’Etat hôte.
Si en France, ce camouflet de dernière minute administré par le n° 1 congolais à son homologue français a surpris, au point de susciter quelques explications embarrassées d’Emmanuel Macron, en RDC, la réaction de Félix Tshisekedi, appelée de tous leurs vœux par la plupart de ses compatriotes, n’a guère étonné. Plusieurs heures auparavant, «des sources proches de la délégation rd congolaise rapportaient que le président de la République ne prévoyait pas de participer aux séances à huis clos prévues l’après-midi de samedi en protestation face au silence du président français qui n’a pas mentionné dans son discours d’ouverture des assises, le conflit de l’Est de la RDC, premier pays francophone du monde». Le 6 octobre sur TV5, Bestine Kazadi, ministre déléguée auprès de la ministre d’Etat aux Affaires étrangères chargée de la Coopération et de la Francophonie, confirmait les faits. «C’est vrai que la RDC a été frustrée par le discours du président Emmanuel Macron, parce que lorsqu’il a identifié la liste des pays de l’espace francophone victimes de conflit, il a omis de parler du conflit en RDC, pourtant le pays francophone le plus grand, le plus important, qui quand même une crise sécuritaire et humanitaire abominable et injuste. On a été extrêmement attristé que ce conflit soit passé sous silence. Ça paraissait comme un silence complice», a-t-elle déclaré.
Aucun mot sur la RDC
A l’ouverture du sommet, Emmanuel Macron avait pourtant souligné que «la francophonie est un espace d’influence diplomatique qui nous permet d’embrasser les enjeux du siècle. Elle est un lieu où nous pouvons ensemble porter une diplomatie qui défend la souveraineté et l’intégrité territoriale partout à travers la planète. Pas de place pour les double standards». Mais lorsqu’il a illustré ses propos en citant les pays en crise à travers le monde dans lesquels la francophonie «… porte le même discours aux côtés de l’Ukraine agressé aujourd’hui, menacée dans ses frontières et dans son intégrité territoriale par la guerre d’agression russe», il n’avait évoqué que la situation au Moyen-Orient en soutenant qu’«il ne pourra y avoir de paix au Proche-Orient sans solution à deux Etats. Le Liban aujourd’hui bousculé dans sa souveraineté et sa paix». Avant de faire allusion à l’Arménie et à des pays du Pacifique. Sur l’immense et très francophone RDC qui, de notoriété publique, est en train de subir une guerre d’agression avérée du Rwanda, un autre pays membre de la francophonie, depuis près de 30 ans, pas un traître mot de la part de Macron qui n’avait cessé de donner du «Cher Paul» au Rwandais Kagame, auteur de cette offensive prédatrice et du «Chère Louise», à Mme Mushikiwabo, son ancienne ministre des Affaires étrangères devenue Secrétaire générale de l’OIF.
L’hôte du 19ème sommet de la Francophonie n’avait donc aucunement tiré les leçons du précédent sommet, tenu à Djerba (Tunisie) en novembre 2022 lorsque l’alors 1er ministre rd congolais, Sama Lukonde, refusa de poser sur la photo de famille en compagnie du chef de la principauté militaire de Kigali, identifié comme principal auteur de l’agression dont la RDC est victime. Ni, encore moins, de la détérioration continue des relations entre la RDC et le Rwanda, deux pays membres de l’espace francophone.
En mars 2024, 6 mois avant les assises de Villers-Cotterêts et de Paris, Christophe Lutundula, alors chef de la diplomatie congolaise, estimait déjà qu’«il est inadmissible et contradictoire que l’OIF, qui doit défendre et promouvoir les valeurs de la Francophonie, reste aphone et inactive face à l’agression avérée de la RDC par le Rwanda». Il prêchait dans le désert.
Le camouflet de Tshisekedi
En RDC, le soutien au camouflet lancé par Félix Tshisekedi à Emmanuel Macron peine à trouver des détracteurs, même dans les rangs de la tonitruante opposition politique congolaise. Le fait est assez rare pour être souligné. «Le boycott du huis clos francophone a constitué une posture d’une audace remarquable, tant il s’est agi de préserver la dignité nationale, ou du peu qui nous en reste», avance ainsi, Martin Ziakwau, un professeur d’université auteur d’une réflexion publiée dans les colonnes d’Actualités.cd.
Selon cet analyste, «au-delà de quelques condamnations superficielles (…), la Francophonie n’a jamais osé sanctionner le Rwanda. Maintenant, le président français s’abstient même de faire état de l’agression de la RDC par ce pays qui est à la base de la crise sécuritaire et humanitaire qui sévit dans l’Est du pays. Contrairement à 2022, la Résolution sur les situations de crise a omis de mettre en exergue le M23 parmi les groupes armés meurtriers dans la partie orientale de la RDC».
A la limite, les contradicteurs du chef de l’Etat et de sa politique étrangère lui reprochent de n’en avoir pas fait plus. Estimant que le simple boycott ne saurait suffir, d’aucuns plaident pour le retrait ou la suspension pure et simple de la participation de la RDC à cette organisation qui ne lui apporte de positif. «Malgré les violations des droits de l’homme documentées au Rwanda et son soutien militaire aux rebelles du M23 dans l’Est du Congo, la France a évité de prendre des mesures concrètes. Cette inaction peut s’expliquer par le rôle stratégique du Rwanda dans la protection des intérêts français au Mozambique, en particulier pour sécuriser les ressources en gaz naturel, vitales pour les besoins énergétiques de la France», écrivent nos confrères de Kivu Pulse, un journal en ligne de la province martyre du Nord-Kivu, à ce sujet. «La souffrance du Congo est délibérément ignorée pour protéger des alliances stratégiques et des intérêts économiques», constatent-ils, amers.
Appels à quitter l’OIF
La tentative macronienne de justifier l’omission coupable dans son discours d’ouverture du 19ème sommet de la francophonie du terrible martyre des Congolais, a ému jusqu’au président de l’Assemblée nationale de la RDC. Au cours d’une plénière, lundi 7 octobre 2024 à Kinshasa, Vital Kamerhe a ainsi déploré «des discours lors de rencontres internationales, où l’on parle de l’Ukraine, de Gaza, de tout le monde, mais on ne parle pas de la RDC. C’est scandaleux !».
Aussitôt prononcé le discours de Macron, samedi 5 octobre, l’ex-sénatrice kabiliste Francine Muyumba appelait la RDC à suspendre provisoirement sa participation à la Francophonie. Le 8 octobre, elle est revenue sur le sujet qui la révolte haut plus haut point, manifestement. «La RDC est membre à part entière de l’OIF ayant le droit non négociable de bénéficier de la solidarité de cette institution. Un président français, Emmanuel Macron, choisit au nom de la Francophonie d’être solidaire de pays non membres de cette organisation en évoquant leurs problèmes politiques, sécuritaires et humanitaires en bafouant complètement les problèmes du Congo», dénonce-t-elle, ajoutant que «Je ne vois pas ceux qui représentent le Congo à ces assises mais je vois l’humiliation et le mépris du président Macron contre le peuple congolais».
Alors que Stève Mbikayi, un acteur politique proche de la majorité au pouvoir, estime que «s’agissant de la francophonie, depuis plusieurs années, nous avons toujours estimé que c’est une espèce de colonisation mentale et culturelle à laquelle nous devons mettre fin. Arrêtons de nous lamenter et organisons-nous pour nous armer et être capables de frapper le Rwanda comme fait Israël face aux multiples ennemis qui l’entourent. Israël ne se plaint pas. Pour se défendre, il attaque», écrit-il sr son compte X.
Un avis de plus en plus partagé en RDC.
J.N. AVEC LE MAXIMUM