Septembre noir à la prison centrale de Makala à Kinshasa. Dans la nuit du lundi au mardi 3 septembre 2024, le plus grand centre pénitentiaire de la RDC a été mis sens dessus-sens dessous, en feu et en sang, au propre comme au figuré. A la suite d’une tentative d’évasion, selon le gouvernement, et des mouvements de panique dans les pavillons qui hébergent quelque 15.000 prisonniers, 129 personnes ont trouvé la mort et une cinquantaine d’autres blessées. Ces résultats d’enquêtes préliminaires diligentées par les autorités restent à confirmer. Autant que les circonstances et les causes réelles de l’hécatombe qui s’est abattue sur la vieille prison construite en 1917 et retapée en 1997.
C’est vers 2 heures du matin, dans la nuit fatidique de ce lundi 2 septembre que les quartiers riverains de l’immense bâtisse qui abrite la prison de Makala ont été réveillés par des détonations d’armes à feu en provenance du lieu carcéral. C’était déjà arrivé plus d’une fois par le passé, mais cette fois-ci, ce qui devait se limiter à un incident de quelques minutes semblait s’éterniser. Jusque 4 heures, à l’heure où beaucoup ici s’apprêtent à se lancer dans à leurs occupations de survie quotidienne, le feu d’artifice semblait loin de s’éteindre. Alors que l’enfer avait pris ses quartiers dans l’enceinte de la prison plongée dans le noir à la suite d’une interruption de la fourniture de courant électrique, qui a également affecté de pans des quartiers environnants. Et que le groupe électrogène de secours d’usage en pareille circonstance se retrouvait subitement hors d’usage.
Images insupportables
Les premières images, macabres et insupportable, de la situation à Makala ont circulé sur les réseaux dès les premières heures de cette journée de mardi 3 septembre 2024. Ainsi que des statistiques extrêmement alarmantes. Plus de 400 personnes étaient mortes dans ce qui était présenté comme un carnage. Des corps étalés à même le sol, à travers les couloirs reconnaissables de la prison, d’autres, en cours d’embarquement dans des véhicules manifestement réquisitionnés à la hâte. Pas de trace de sang sur la plupart de ces morts, très jeunes pour la plupart. Le spectacle était insupportable mais la cause immédiate et principale des décès, à première vue, était l’étouffement. Comme dans une gigantesque bousculade tel qu’il s’en produit au sortir de certains stades de football.
Face au drame de la prison de Makala, la première ministre, Judith Nsuminwa, a promptement interrompu une mission au Kongo-Central pour rentrer à Kinshasa et diriger une réunion d’urgence. L’hypothèse de la tentative d’évasion prévaut, mais d’autres pistes sont également explorées. Notamment celle d’une éventuelle implication des miliciens Mobondo internés au pavillon 4, ainsi que le facteur coupure de fourniture électrique qui a aggravé le crime.
En mission d’itinérance à l’intérieur du pays, le ministre d’Etat en charge de la justice, Constant Mutamba, dénonce un «acte de sabotage prémédité» et annonce des enquêtes pour identifier et sanctionner sévèrement les commanditaires. Ainsi que des mesures prises à titre conservatoire : interdiction de transfèrement par les magistrats des parquets des détenus à Makala, sauf autorisation du ministre ; intensification du processus de désengorgement des prisons Makala, Ndolo et de l’intérieur du pays; accélération du projet de délocalisation de la prison de Makala par la construction d’une nouvelle prison excentrée de la ville de Kinshasa.
129 morts
Le 4 août dans la journée, le vice-premier ministre, ministre de l’Intérieur a mis un terme aux spéculations sur le nombre de morts de Makala. «Le lundi 2 septembre 2024, une tentative d’évasion à la prison centrale de Makala a causé des pertes en vie humaines et d’importants dégâts matériels. Sur instruction de la Haute Hiérarchie, j’ai convoqué une réunion de crise avec les responsables des services de défense et de sécurité. Le bilan provisoire est de 129 morts, dont 24 par balles, après sommation, les autres victimes étant décédées par bousculade ou étouffement. On dénombre également 59 blessés pris en charge par le gouvernement, ainsi que quelques cas de femmes violées. Les bâtiments administratifs, le greffe, l’infirmerie, et les dépôts de vivres ont été détruits par des incendies. Le gouvernement est satisfait du retour au calme, déplore ces tragiques événements, et présente ses condoléances aux familles des victimes. Les enquêtes se poursuivent, et l’opinion sera informée», a-t-il annoncé.
Le drame de Makala n’en a pas moins suscité de nombreuses réactions aussi bien dans la classe politique que dans l’opposition. Quasi unanimement, tous ont condamné ce qu’ils ont présenté comme une banalisation de la vie humaine, ou encore un abus des droits de l’homme, particulièrement du droit à la vie des détenus et prisonniers.
Parmi les plus acerbes de ces réactions, celle de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), par la bouche de son tout nouveau président, l’archevêque catholique katangais Fulgence Muteba.
Il y a consacré un communiqué de 3 pages, qui rappelle les incidents meurtriers survenus ces derniers mois en RDC : du massacre des adeptes d’une église à Goma à celui d’une dizaine d’autres adeptes d’une secte à Lwilu au Katanga en passant les victimes du naufrage d’une embarcation de fortune sur la rivière Lukenie dans le Maindombe. «Il est plus que déplorable de devoir compter chaque jour des morts des suites des attaques et bavures des forces de l’ordre et de sécurité, d’une part, et de la négligence des services de l’Etat, d’autre part», tranche le prélat dont l’organisation revendique sans fards sa proximité avec l’opposition et les «faibles» face au pouvoir établi. «Nous condamnons sans ambages ces ignobles atteintes à la dignité de la vie humaine», poursuit Mgr Muteba. Qui estime que «ces phénomènes sont malheureusement la pointe de l’iceberg qui cache un drame plus profond : la négligence coupable, la légèreté et la corruption dans le système judiciaire, le non-respect de la vie humaine, la mauvaise gouvernance, etc».
Banalisation de la vie humaine
Le point de vue clérical est loin d’être partagé par tout le monde, à l’instar de Nkola Matamba, un internaute katangais qui estime que «l’Etat prend cher, parce qu’on attend tout de lui, parce qu’on exige tout de lui, de l’exemplarité au respect des lois. Ça se constate, et personne ne devrait le plaindre». Ou encore qu’«on préfère se réchauffer dans une cascade de conformité en pointant du doigt le bouc émissaire traditionnel, le coupable éternel, l’Etat, et en banalisant l’incivisme et la subversion qui finissent par devenir monnaie courante parce que leurs auteurs seraient du bon côté du mal».
L’enfer de Makala dans la nuit du 2 au 3 septembre, c’est donc un phénomène plus sérieux que ne veulent l’admettre certains, selon l’analyste Jean-Pierre Kambila. L’ancien conseiller du président Joseph Kabila juge la situation suffisamment grave pour attirer l’attention sur la guerre totale qui est imposée à la RDC. Selon lui, «la guerre avec le Rwanda et ses alliés ne demande plus à être déclarée, elle se manifeste jour après jour dans les faits, sur plusieurs parties de notre territoire, au Nord et Sud Kivu, au Mai-Ndombe avec les Mobondo, à la Tshopo en opposant les ethnies locales. A Kinshasa, pour une évasion à la prison de Makala, les armes auraient crépité jusqu’à Ngiri-ngiri. Sortons de nos divisions, unissons la Nation autour de la défense de notre souveraineté. L’heure est suffisamment grave pour faire les sacrifices que la Nation attend de chacun».
La thèse d’une naïve tentative d’évasion est ainsi battue en brèche par nombre d’analystes qui se fondent sur l’interruption de la fourniture en énergie électrique de Makala et ses environs. Elle aurait servi d’élément déclencheur de l’occupation de la prison par un groupe de bandits durant 4 heures, selon des estimations. De même qu’on s’interroge sur la provenance des équipements qui ont permis de percer à la meuleuse un trou d’un diamètre impressionnant dans le mur de la prison.
De ce point de vue, la tentative d’évasion de Makala aurait eu pour but de déverser dans la population kinoise des criminels de haut vol et de rendre ainsi la ville ingouvernable à travers diverses opérations de sabotage.
J.N. AVEC LE MAXIMUM