Félix Tshisekedi l’a révélé au cours d’un entretien avec Christian Lusakueno et Baudouin Westhi Amba, le 7 août 2024. Les évêques catholiques lui ont suggéré un dialogue avec l’opposition politique au cours d’une audience qu’il leur avait accordée, quelques semaines plus tôt. Dans un communiqué de presse, le 7 août 2024, le secrétariat général de la CENCO a relancé l’idée en insistant sur «la nécessité de renforcer la cohésion nationale afin de décourager les alliances avec les prédateurs étrangers pour des problèmes que nous pouvons régler à l’interne». Mais dans la classe politique, tout le monde n’est pas d’accord.
A commencer par le président de la République lui-même. Au cours de l’interview du 7 août, Félix Tshisekedi avait expliqué qu’il ne trouvait personne avec qui dialoguer en face de lui. Le président honoraire, Joseph Kabila, ayant choisi la voie de l’insurrection armée -«l’AFC, c’est lui», avait-il accusé-; Moïse Katumbi, son challenger à la dernière présidentielle, n’ayant pas de position claire et ayant un pied dedans, un autre dehors (Borderline) ; et, Martin Fayulu ne reconnaissant pas les résultats qui l’avaient porté au pouvoir en décembre 2023.
L’idée n’en a pas moins fait du chemin, suscitant des réactions en sens divers parmi les acteurs politiques et dans l’opinion.
En séjour aux Etats-Unis dans le cadre de ce qu’il a présenté comme une invitation du Parti Démocrate de Kamala Harris – même si aucun leader politique étranger n’a été invité à ces assises, selon le PT Stève Mbikayi – Martin Fayulu, également candidat challenger de Félix Tshisekedi à la dernière présidentielle, a quelque peu surpris en sautant sur l’occasion. «Il nous faut une seule chose : la cohésion nationale. Il est impératif que nous nous mettions autour d’une table, toutes les parties prenantes. Ensemble, nous devons engager des discussions profondes et constructives sur l’avenir de notre pays, sur la protection de l’intégrité de notre territoire», déclare-t-il dans une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux. En même temps que ses collaborateurs restés à Kinshasa s’affairent à lui préparer un accueil digne de «demandeur de dialogue politique» à son retour à Kinshasa, samedi 31 août 2024.
Fayulu et Mukwege pour
Le 22 août, l’Alliance des Congolais pour la refondation de la Nation (ACRN), un parti politique qui avait porté sans succès la candidature du Dr Denis Mukwege à la présidentielle de décembre 2023, a, elle aussi, appelé à l’organisation d’un dialogue sous la médiation des évêques catholiques.
La liste des parties enthousiasmées par l’idée d’un énième dialogue politique en RDC semble s’arrêter à ces deux organisations, jusque-là.
L’opposition la plus virulente à l’idée d’un dialogue politique est venue de Ensemble pour le changement de Moïse Katumbi et de ses alliés politiques, manifestement trop engagés sur la voie d’en découdre avec le pouvoir en place sur le terrain pour s’attarder sur des conciliabules politiciennes.
Olivier Kamitatu, directeur de cabinet de Moïse Katumbi, ne mâche pas ses mots sur la question. «Quoiqu’on en dise – dialogue, négociations ou table ronde – ces attrape-nigauds lancés par le pouvoir ont pour seul but de leurrer une opposition dont certains membres semblent déjà essoufflés », écrit-il sur son compte X, ce 26 août 2024. «Ceux qui s’accrochent à l’idée que le regretté Chérubin Okende a mis fin à ses jours de lui-même, ceux qui croient fermement en la «culpabilité» de Mukebayi Mike, ceux qui acceptent sans sourciller que le « coût réel » d’un forage d’eau est de 370.000 USD, et que le vieux Samih Jamal a vraiment livré toutes ses maisons low-cost, ces âmes candides peuvent tout aussi bien croire que Moïse Katumbi est concerné par une prétentue table ronde ! Rien n’est plus faux!», insiste-t-il.
Katumbistes farouchement hostiles
Hervé Diakiese, porte-parole du même parti politique indiquant pour sa part, le même jour, que «ceux qui s’y précipitent sont guidés par l’hypocrisie et la recherche des prébendes du pouvoir. Brandir la guerre à l’Est du pays comme un paravent visant à donner une caution morale à une démarche suspecte, c’est un mépris terrible des sacrifices subis par nos compatriotes, du fait de l’incurie d’un régime incompétent, issu de la tricherie, sans perspectives face à l’impasse où l’a mené sa boulimie de se servir des fonctions de l’Etat comme un butin de braquage», lit-on sur son compte X.
Tandis que Seth Kikuni, un petit candidat à la dernière présidentielle qui s’était désisté en faveur de Moïse Katumbi avant que quiconque se fut avisé de l’existence d’un électoral en sa faveur à travers le pays, s’illustre par un activisme politique à la limite de la mobilisation pour une insurrection armée. En séjour à Lubumbashi, le 28 août 2024, il déclarait que «nous sommes décidés à stopper Félix Tshisekedi. S’il y aura dialogue, ce sera pour rappeler à Tshisekedi en face qu’il est incompétent». L’homme préfère mobiliser contre le pouvoir en place et ne s’en cache nullement. «Vous les grands katangais, des résistants, des guerriers, des combattants, des révolutionnaires, vous faites semblant de ne pas voir ce que même les aveugles et les sourds ont déjà vu et entendu. Les katangais font semblant de ne pas voir qu’ils sont en réalité les premières victimes de la création, de l’intolérance, de la dictature, des insultes du régime en place», soutient-il à cet effet. «Nous sommes déterminés à l’affronter sur le terrain et à rééquilibrer les rapports de force», avait déjà déclaré Kikuni, 24 heures auparavant dans la même ville, alors qu’il venait de solliciter l’accompagnement de l’église catholique au cours d’une entrevue avec Mgr Fulgence Muteba, l’évêque de Lubumbashi récemment porté à la tête de la CENCO.
Doutes à l’Union sacrée
Même parmi les partis et organisations politiques proches de l’Union sacrée au pouvoir, il en est qui ne veulent pas du dialogue proposé par les calottes sacrées de l’église catholique. A l’instar de Paul Kapita Shabangi, un des co-fondateurs de l’UDPS, qui s’est associé à Lisanga Bonganga et Moïse Moni Della – ce dernier étant connu pour être le frère de Salomon SK Della, un des plus proches collaborateurs de Moïse Katumbi -, pour clouer au pilori l’appel au dialogue lancé par Martin Fayulu. «Le président Martin Fayulu parle de cohésion nationale, mais pour réussir sa mission, il doit commencer d’abord par réunir et réunifier toute l’opposition dans toute sa diversité, comme l’avait démontré Etienne Tshisekedi aux assises de Genval en Belgique », ont-ils déclaré le 28 août 2024 à Kinshasa. Tout en soulignant la nécessité de «reconnaître qu’il y a eu des scrutins qui ont consacré la victoire du président Félix Tshisekedi et la mise sur pied des institutions qui fonctionnent en bonne et due forme».
C’est, à peu de choses près, le même son de cloche qu’émet Eliezer Ntambwe, un député de l’Union sacrée tshisekediste pour qui «dans une démarche démocratique, on accepte les résultats des élections même si ce n’est pas en votre faveur. Si nous devons faire de la gestion de la République un système hybride où nous allons aux élections pour aboutir à des dialogues afin de constituer un gouvernement de ‘cohésion nationale’, là nous allons revenir en arrière. Nous devons savoir ce que nous voulons du pays». Il assure qu’il ne peut pas soutenir un dialogue qui peut être un complot contre la République, où «nous venons blanchir les agresseurs avec des revendications d’occupation ou de balkanisation».
Même parmi les acteurs de la société civile, il en est qui ne veulent plus de ces dialogues. «Ce n’est pas la rencontre de quelques gringos de Kinshasa qui apportera la cohésion nationale. Elle passe par la bonne gouvernance, la fin des tribalismes et des injustices sociales … Surtout, laisser Tshisekedi terminer son dernier mandat», écrivait le 27 août à Kisangani, un avocat du barreau local.
Associer les terroristes
Sur cette question de l’opportunité ou non d’un dialogue politique en RDC, seul le camp du président de la République honoraire, Joseph Kabila, s’est réservé de tout commentaire ces derniers jours. Même si, le sénateur Faustin Lwanga, un ancien conseiller de Joseph Kabila, a jeté ce qui ressemble à un véritable pavé dans la marre sur le sujet dans la presse. Selon lui, la RDC devrait également approcher la coalition M23-AFC dans le cadre du dialogue proposé. Nommer le Rwanda, négocier avec Kigali, ne suffit pas. «Il faut également tenir compte de ceux qui opèrent sur le terrain», argue-t-il, en élargissant la portée du dialogue proposé. Et en remettant carrément les compteurs à Zéro, aux guerres d’agression subies par la RDC depuis la seconde moitié des années ’90, et à la perspective d’un énième partage de pouvoir et du territoire national avec ceux qui prennent les armes contre leur pays. Preuve s’il en est que le dialogue proposé par les prélats catholiques ne peut ne pas s’avérer une dramatique duperie.
J.N. AVEC LE MAXIMUM