Entre le ministre d’Etat, ministre de la Justice et deux syndicats de magistrats, SYNAMAC et SYMCO, le désamour semble profond. Constant Mutamba est accusé par ces deux corporations d’hommes en toges noires de marcher sur leurs plates-bandes et de violer des lois, y compris la constitution. Ce dont se défend le jeune ministre réformiste. «Le ministre de la Justice n’est pas contre les magistrats, il est contre les réseaux mafieux. Si un magistrat en fait partie, il est mafieux», soutient-il.
Cela ne s’était pas vu depuis des lustres en RDC. Une guerre de tranchées est engagée depuis plusieurs semaines entre le patron de la Justice et des syndicats de magistrats. Le Syndicat national autonome des magistrats du Congo (SYNAMAC) et le Syndicat des magistrats du Congo (SYMCO) sont montés au créneau pour dénoncer ce qu’ils présentent comme «les dérives totalitaires et autoritaires du ministre».
Dans un communiqué publié le 15 août 2O24, le Synamac, qui revendique une part active dans la lutte contre les antivaleurs dans le fonctionnement de la justice en RDC, dénonce la propension du ministre «à vouloir rendre les magistrats seuls acteurs de la justice, responsables de la mauvaise administration de la justice, éludant ainsi les questions de fond à la base du dysfonctionnement de l’administration de la justice». Le syndicat fustige ainsi la création par Constant Mutamba «des tribunaux où le ministre se transforme tantôt en juge, qualifiant certaines œuvres du juge de décisions iniques, tantôt en procureur, ordonnant des arrestations ; de l’autre, la création des commissions ayant pour objet de statuer sur les actes des magistrats».
Grogne des syndicats
Les termes utilisés illustrent l’ampleur de la révolte. «Par ses discours à la limite populistes et outrageants à l’égard de tout un corps, il expose les magistrats dont la sécurité est déjà précaire ou pas du tout assurée», écrivent Shabani Watenda Junior et Isofa Nkanga, signataires de ce communiqué. Ils invitent le ministre de la Justice «d’arrêter et de chercher à travailler avec les magistrats dans cette lutte dont il n’est pas seul et n’a pas non plus le monopole». De même qu’ils lui rappellent que «la magistrature est la seule institution de la République où les magistrats travaillent sans frais de fonctionnement ni fonds secrets de recherches et dans des conditions exécrables».
Réaction d’un analyste avocat de son état se confiant à nos rédactions sous le sceau de l’anonymat: «Cette réplique du Synamac donne à croire que les maigres moyens à la disposition des magistrats leur donnent le droit de constituer des réseaux maffieux. Il est donc avisé que le ministre poursuive sa tâche d’assainissement de ce corps dont le président Félix-Antoine Tshiskedi lui-même a reconnu qu’il était gravement malade».
Le 18 août 2024, le Symco prenait le relais du Synamac à travers un autre communiqué au vitriol contre le ministre de la Justice, traité de tous les noms, et à qui il dénie le droit à certaines initiatives. Notamment, «des ingérences intempestives et permanentes dans le fonctionnement du pouvoir judiciaire qui est un pouvoir distinct et garanti par la constitution». Particulièrement, «l’instauration d’un tribunal populaire, dans l’enceinte du Palais de justice, aux fins d’y recevoir les justiciables ayant succombé aux procès, voire ceux ayant obtenu des décisions en pourvoi en cassation».
Pour le Symco, Constant Mutamba «ne peut, en aucun cas, se substituer, pire encore, s’établir en administrateur principal de la justice en RDC en érigeant des tribunaux populaires qui jouent le rôle de ministère public en ordonnant publiquement des arrestations, en attaquant certaines décisions en cassation et en instaurant des commissions ministérielles qui impliquent certains actes du parquet. Cette façon d’agir en juge unique viole systématiquement le paragraphe 5 de l’article 149 de la constitution», font remarquer Mupier Benit et Kiwiya Kilonda, signataires du communiqué qui dénoncent la libération conditionnelle des inculpés en détention préventive à la prison de Makala et à la prison de Kisangani «en l’absence de procureurs généraux». Autant que le dépôt d’une série de textes de réformes de la justice à l’Assemblée nationale, une «initiative, de surcroit unilatérale, (qui) va à l’encontre des recommandations des derniers états généraux de la justice. Sans être présentée au Conseil des ministres, cette démarche viole l’Ordonnance n° 20/016 du 27 mars 2020 portant organisation et fonctionnement du gouvernement ainsi qu’entre les membres du gouvernement», écrivent-ils.
Mutamba ne s’en laisse pas conter
De son côté, le ministre d’Etat, ministre de la justice et Garde des sceaux est loin de s’en laisser conter. Dans les réseaux sociaux où les communiqués des syndicats des magistrats ont abondamment circulé, à chacune de ses sorties médiatiques, Constant Mutamba persiste et signe. «Je pense que j’exécute les instructions du chef de l’Etat, et les choses doivent être claires : nous allons nous battre contre les réseaux mafieux jusqu’au bout», insiste-t-il.
Dans les réseaux sociaux, Mutamba prend soin de rappeler les attributions de son ministère, qui justifient son action à la tête de ce secteur vital de la vie nationale. «Protéger, décider et sanctionner. Afin de préserver la vie en société, la Justice protège les citoyens, arbitre les conflits et sanctionne les comportements interdits», lit-on.
Mais aussi, que le «suivi de l’exécution de la politique judiciaire du gouvernement par les cours et tribunaux et les parquets y attachés ; le contrôle des activités judiciaires ; la surveillance générale du personnel judiciaire ; le suivi des réformes …» comptent parmi les missions du ministre de la Justice. Suffisant pour que Constant Mutamba se sente investit de la mission d’initier des réformes révolutionnaires.
«Le chef de l’Etat nous a nommé pour redresser notre justice et redorer son image. Rien n’arrêtera cet engagement ferme du magistrat suprême. Les réformes courageuses en cours vont se poursuivre à la satisfaction générale de notre peuple. Des réseaux mafieux démasqués, craquent déjà», écrit-il sur son compte X.
Au cours d’une déclaration publique, lundi 19 août, Constant Mutamba a souligné que «le ministre de la justice n’est pas contre les magistrats, il est contre tous les réseaux mafieux. Si un magistrat en fait partie, il est mafieux». Ajoutant et révélant que «le temps des hommes forts est révolu. Je ne suis pas là pour entrer dans la mafia. Ils ont tenté de me faire entrer dans leur réseau, mais j’ai refusé».
Contre la mafia judiciaire
Dans l’opinion, le jeune ministre marque des points et emporte l’adhésion de beaucoup de ses compatriotes lassés par les tares d’une justice qui ne dit pas toujours juste. A l’instar de Firmin Yangambi, célèbre avocat du barreau de Kisangani (Tshopo), qui affirme sur son compte X que «la corruptibilité inouïe de la magistrature est égale à la corruption absolue du pouvoir politique au Congo». Ou encore de Billy Kambale, secrétaire général de l’Union pour la Nation Congolaise (UNC), pour qui «aujourd’hui les magistrats devraient se faire petit et ne pas faire des bruits car aucun Congolais n’est capable de dire qu’après une plaidoirie magistrale où les avocats démontrent les évidences un jugement peut être prononcé sans ‘‘motivation’’. Soyons honnête».
Entre le ministre d’Etat, ministre de la Justice et les syndicats des magistrats, le combat semble d’autant plus à armes inégales que sur le terrain, Constant Mutamba accumule les points en multipliant les initiatives. Des actes ordinaires mais rationnels et logiques longtemps relégués aux oubliettes et remplacés par des comportements à la limite du licite. Comme cette bancarisation des recettes judiciaires, lancée lundi 19 août à Kinshasa. Désormais, les frais de justice ne seront plus perçus directement par des magistrats ou des greffiers qui habituellement les empochaient, mais seront exclusivement versés à la banque via des guichets ouverts pour la DGRAD dans chaque juridiction du pays. «Tout celui qui s’opposera à cette mesure sera considéré comme complice de la maffia et immédiatement déféré devant la justice», a averti Constant Mutamba. Le ministre de la justice a déclaré que cette initiative s’inscrit dans le cadre des instructions du président Tshisekedi visant à mettre en place des réformes courageuses et audacieuses afin de guérir le système judiciaire, économique et social du pays, gravement affecté par des pratiques de corruption et de détournements. A l’instar de ces détournements de fonds révélés par un rapport de la Cour des comptes qui indiquent que des milliers de dollars US avaient été détournés par certains greffiers. «Désormais, tout celui qui tentera d’ouvrir un compte parallèle en dehors du compte du Trésor public sera arrêté», a encore menacé le ministre de la Justice. Non sans pertinence.
On peut à cet égard rappeler que les amendes transactionnelles dans un petit pays comme la Belgique, rapportent, bon an mal an, près de 6 milliards USD (12 milliards USD en France), alors qu’en RDC, elles disparaissent dans les goussets de quelques cadres, fonctionnaires et agents véreux de l’ordre judiciaire.
Bancarisation des recettes
La bancarisation des recettes judiciaires s’effectuera conformément à l’Arrêté portant fixation des droits, taxes et redevances à percevoir à l’initiative du ministère de la Justice. Ce texte fixe en premier lieu, le droit d’authenticité.
Autorisation parentale : 15 USD ; Invitation : 15 USD ; Acte de Cession : 15 USD ; Prise en charge : 15 USD ; Arrêts et Ordonnances : 15 USD ; Document médical : 15 USD ; Acte de vente mobilière : 150 USD ; Acte de vente immobilière : 200 USD, etc.
Mercredi 21 août 2024, au salon rouge du ministère des Affaires étrangères, le ministre Mutamba a longuement conféré avec 92 directeurs des prisons congolaises, après une visite des maisons carcérales qui l’avait conduit de Makala à la prison centrale de Kisangani en passant par la prison militaire de Ndolo et le centre de détention de Luzumu (Kongo Central). Au centre des échanges, l’amélioration des conditions carcérales. «J’ai donné instruction que plus aucun prisonnier ne dorme la nuit à même le sol. Et ça doit être clair. Puisque je sais quelle enveloppe l’Etat met à votre disposition. Il ne faudrait pas que vous soyez sanctionnés. Parce qu’il n’y a pas d’états d’âmes dans la gestion de la République. Ne cherchez pas à salir votre cursus. Les contrevenants seront sanctionnés. J’attends donc de vous l’amélioration des conditions de détention», a déclaré Constant Mutamba à ses interlocuteurs.
Profitant de l’occasion, le ministre de la Justice a lancé une pique en direction de ses détracteurs qui justifient les dysfonctionnements de l’appareil judiciaire et la corruption au sein de la magistrature par le défaut de moyens financiers. «Le développement est d’abord une question de volonté et non de moyens. C’est comme l’éthique, ce n’est pas une question de moyens mais de volonté, de choix. On est maffieux non pas parce qu’on est moins payé ou sous-payé, mais parce qu’on a intégré la mentalité de la maffia», a-t-il asséné. Avant de révéler qu’à Kinshasa, plus de 5 millions USD destinés à la construction d’une prison ont été détournés. «Je vous informe que les arrestations ont commencé. Des personnes ont déjà été arrêtées pour ce détournement. On ne badine plus», a encore déclaré Mutamba.
Selon des informations recueillies sur le sujet, le ministre de la Justice faisait allusion à la détention depuis quelques jours de l’ancien vice-ministre de la Justice du gouvernement FCC-CACH de Ilunga Ilunkamba, Bernard Takaishe, interpellé sur la base d’un rapport de l’IGF qui fait état de la disparition de 5 millions USD versés à une société privée pour la construction de la nouvelle prison de Kinshasa en 2021.
A ce train-là, il sera difficile d’ébranler un ministre qui apparaît comme un des maillons redresseurs des torts au sein de l’appareil judiciaire national. Aussi imparfait fut-il.
J.N. AVEC LE MAXIMUM