C’est Me Arnel Rémy, célèbre avocat et défenseur des droits de l’homme haïtien qui a révélé le pot-aux-roses, au début de la semaine : la mission de la police kényane à Port-au-Prince a tourné en eau de boudin, ainsi que le pressentaient de nombreux observateurs, y compris lui-même.
Mais, plus soucieux de singer son voisin rwandais, qui s’est taillé une réputation d’exportateur de violence armée à travers le monde et s’en tire avec les lauriers d’une certaine communauté internationale, William Ruto a tenu à expédier un contingent de la police kényane à Haïti, pour y rétablir la paix et l’ordre perturbé par les gangs locaux. Au total, un millier de policiers kényans devaient se rendre à Port-au-Prince dans le cadre d’une mission onusienne largement financée par les Etats-Unis à hauteur de 300 millions USD. Objectif : mettre un terme à l’anarchie instaurée par les gangs locaux, qui contrôlent près de 😯 % du pays. Des contingents du Bangladesh, du Bénin, du Tchad, des Bahamas et de la Barbade étaient également attendus dans le cadre de la même mission.
600 policiers kényans
Un premier contingent de la police kényane, fort de 400 policiers a ainsi gagné la capitale haïtienne le 25 juin 2024 suivi d’un autre, de 200 policiers également, trois semaines plus tard.
Le débarquement des policiers kényans brandissant fièrement le drapeau de leur pays, obtenu des mains de William Ruto en personne quelques jours plus tôt, fit forte impression à l’aéroport local. «Cette mission est l’une des plus urgentes, importantes et historiques de l’histoire de la solidarité mondiale», leur avait-il assuré.
Les éléments de la police kényane envoyé à Port -au-Prince faisaient partie d’unités d’élite dont l’escadron antiterroriste Recce Squad, connu pour son intervention lors des attaques islamistes au Kenya en 2013, 2015 et 2019. «Ils ont tous suivi un entraînement rigoureux pour cet exercice, en plus de leur formation préalable à la gestion des situations complexes, et ils sont prêts pour la mission», assurait-on à Nairobi. Alors que Human Rights Watch et des organisations de défense des droits de l’homme du Kenya leur reprochait l’usage excessif de la force et des exécutions extrajudiciaires.
Six semaines après le débarquement des policeman kényans, Haïti semble passer de l’enthousiasme à la déception. La pression est, en effet, montée sur le contingent de Ruto, brutalement rappelé à ses missions : aider à maîtriser les gangs criminels locaux. Plus facile à dire qu’à faire.
80 % de la capitale contrôlés par les gangs
Haïti souffre depuis longtemps de violences endémiques provoquées par des groupes armés. Ils contrôlent jusqu’à 80 % de la capitale, Port-au-Prince, ainsi que des axes majeurs du pays, rapportent des sources. Cette violence a redoublé au début de l’année, poussant à la démission le premier ministre, Ariel Henry. Les gangs haïtiens reprochent au successeur du président de la République, Jovenel Moïse, assassiné par des mercenaires colombiens le 7 juillet 2021, son voyage au Kenya. Le premier ministre haïtien s’était rendu à Nairobi pour y signer un accord de déploiement d’une force de police multinationale chargée de lutter contre la violence des gangs qui avait atteint des niveaux sans précédent, devenant ainsi l’homme à abattre. William Ruto avait donc signé ces accords avec un imposteur, selon les gangs haïtiens. Même si le déploiement de la force multinationale avait été approuvé par le Conseil de sécurité des Nations-Unies.
200 gangs, dont 95 à Port-aux-Princes
Selon un rapport de l’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale (octobre 2022), il existe quelque 200 gangs en Haïti, dont 95 basés à Port-au-Prince. Ces bandes, rivales jusque-là, mènent désormais des attaques coordonnées. Elles ont uni leurs forces et créé une sorte de front pour s’en prendre aux infrastructures et aux institutions de l’Etat. «Ils veulent montrer qu’ils ont la capacité de mettre l’Etat à genoux», selon un analyste de Crisis Group. Quelque 600 policiers kényans n’ont donc pu faire le poids face à un tel déferlement de violences coordonnées. Selon des estimations onusiennes, il faudrait environ 26.000 policiers pour sécuriser Haïti, un pays fort de quelque 11,5 millions d’habitants.
L’entêtement de William Ruto à expédier des policiers kényans à Port-aux-Princes n’aura donc pas payé. Dans son propre pays, l’initiative du chef de l’Etat a fait l’objet de sérieuses critiques, notamment de la part d’Ekuru Aukot, avocat constitutionnaliste qui a porté l’affaire devant la justice. Selon lui, l’accord signé entre le premier ministre haïtien et le président kényan était nul, parce que le gouvernement ne pouvait expédier de contingent sans accord international préalable.
L’Alliance pour la troisième voie (Thirdway alliance), un parti de l’opposition kényane, avait également critiqué l’accord intervenu entre le premier ministre haïtien et le président kényan. «Cela n’a aucun sens qu’il veuille envoyer nos policiers en Haïti alors que nous ne pouvons même pas remédier à la situation d’insécurité dans le Nord du Kenya, ni même à Nairobi», avait déclaré Ekuru Aukot, chef de ce parti politique.
J.N. AVEC LE MAXIMUM