L’Institut congolais de recherche sur la politique, la gouvernance et la violence (Ebuteli), et le Groupe d’Etudes sur le Congo (GEC), connu pour sa proximité avec l’opposition congolaise, viennent de publier un rapport intitulé «La résurgence du M23. Rivalités régionales, politique des donateurs et blocage du processus de paix». Ce document d’une soixantaine de pages scrute la situation sécuritaire dans la partie Est du territoire de la RDC, particulièrement, les contours de la réapparition, après sa déconfiture il y a une dizaine d’années, du M23 que Kigali brandit à tout bout de champ comme une rébellion congolaise dont il défendrait les intérêts, on ne sait sur quelle base.
A quelques jours de la reprise du laborieux processus de paix de Luanda piloté par l’Angola de Joao Lourenço, le rapport Ebuteli jette un pavé dans la marre en indiquant, noir sur blanc, l’origine externe à la RDC des conflagrations qui déstabilisent l’Est de ce pays depuis novembre 2021, contraignant à l’exil et à l’errance plus de 2 millions de civils.
A en croire ce rapport, le M23 ainsi remis sur orbite a, quoique plus laborieusement que par le passé, conquis de pans entiers de la province du Nord-Kivu, étendant son emprise sur les territoires de Nyiragongo et de Rutshuru ainsi que dans la localité de Kanyabayonga aux portes du territoire voisin de Lubero à l’entrée de la partie Nande du Kivu.
Alors qu’était annoncée la relance du processus de paix de Luanda, en juillet 2024, ces rebelles auxquels sont venus s’ajouter un autre groupe, l’AFC, également soutenu par Kigali, se sont illustrés en malmenant deux trêves humanitaires obtenues par les Etats-Unis ainsi que le cessez-le-feu instauré à l’issue d’une réunion interministérielle et d’experts de la RDC et du Rwanda à Luanda, début août. Motif invoqué : le M23/AFC ne se sent pas concerné par ces pourparlers entre deux Etats et par leurs conclusions, selon des communiqués rebelles publiés en juillet 2024.
Le rapport Ebuteli-GEC d’août 2024 vient tordre l’argumentaire derrière lequel se cache les stratèges rwandais en déniant toute originalité aux prétentions domestiques des rebelles. «L’impulsion principale de cette résurgence du M23 est extérieure à la RDC. La faiblesse de l’Etat congolais a aggravé la crise, qui a aussi des racines profondes au niveau local, mais le M23 est surtout apparu comme un moyen pour le Rwanda de projeter son influence contre son voisin du nord, l’Ouganda», écrivent les rapporteurs qui assurent que «l’expansion du M23 a bénéficié d’un important soutien extérieur. Les autorités ougandaises ont également apporté un soutien au moins passif, permettant au M23 de traverser leur frontière, de recruter davantage de troupes et de soigner leurs blessés. Mais, une fois de plus, c’est le soutien rwandais qui a été déterminant».
Sont également remis en question, les narratifs rwando-rebelles selon lesquels la rébellion prétendument congolaise serait une «réponse à la violence anti-tutsi et à la collaboration entre les FDLR et les FARDC». A l’occasion de la prestation de serment du 1er ministre et des nouveaux membres du gouvernement rwandais, mercredi 14 août à Kigali, Kagame avait de nouveau eu recours à cet argumentaire. «Si vous admettez que les M23 sont des Congolais, pourquoi la RDC ne résout-elle pas le problème des M23 ? S’ils ont choisi la voie de la force militaire pour résoudre ce problème, cela est leur problème et non le mien. Mon problème, est celui des FDLR, que le gouvernement congolais a armés et qu’il utilise dans la guerre contre le M23, qui sont Congolais, et même ces autres pays qui viennent aider la RDC, d’une manière ou d’une autre, l’idée est de collaborer avec les FARDC et les FDLR pour combattre les M23 et au finish ramener la guerre au Rwanda. Je ne peux pas interdire aux gens de penser ce qu’ils veulent, mais ma mission est d’éviter que cela ne puisse pas se concrétiser», a-t-il déclaré. Et le rapport d’expliquer que «c’est plutôt la montée en puissance du M23 qui a conduit au renforcement de ces phénomènes … le M23 a exacerbé les maux qu’il cite. Il est faux de dire qu’il est apparu en réponse à ces maux».
L’Alliance Fleuve Congo (AFC) de l’ancien président de la CENI, Corneille Nangaa, qui a fait allégeance au M23 après sa création en décembre 2023, est mise dans le même sac. La vocation de cette plateforme politique formée autour du M23, «semble être d’élargir le mouvement par l’intégration d’autres groupes armés et acteurs politiques», à l’instar d’un certain nombre d’anciens cadres du parti de l’ancien président Joseph Kabila. Ce qui est loin de disculper le président de la République honoraire et son clan, qu’une partie de l’opinion congolaise accuse d’être derrière la nouvelle agression rwandaise par le M23 interposé. La résurgence du M23 intervient, en effet, après que Félix Tshisekedi eut mis sur pied une nouvelle coalition majoritaire au parlement en avril 2021 et quelques mois avant la réapparition des rebelles au Nord-Kivu. «Ce qui a poussé Kabila et les politiciens qui lui étaient encore fidèles à entrer dans l’opposition», peut-on lire dans le rapport Ebuteli-GEC.
En RDC, les détracteurs du camp Kabila ne se privent pas de rappeler un rapport onusien selon lequel son gouvernement avait eu recours à des rebelles pro-Kigali pour mater quelques manifestations d’opposants quand il était au pouvoir. C’est tout dire.
J.N. AVEC LE MAXIMUM