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Monsieur le gouverneur,
Quand un Congolais de Brazzaville traverse le fleuve par le beach Ngobila pour Kinshasa, la ville dont vous venez de prendre les rênes, il est convaincu d’arriver dans un grand pays. Pour entrer dans la ville, il a le choix d’emprunter à sa gauche la route des Poids Lourds, à sa droite l’avenue Wagenia ou la courte avenue Isiro qui donne sur la gare centrale et le prestigieux boulevard du 30 juin. Qu’il prenne l’une ou l’autre de ces voies, ce visiteur découvre avec surprise les immondices qui jonchent les trottoirs. Dans son esprit, ce ne peut être la capitale du grand Congo dont il entend parler depuis longtemps.
Au fur et à mesure qu’il pénètre dans l’agglomération, son étonnement va grandissant devant le spectacle d’amas d’ordures dégageant des odeurs pestilentielles, de carcasses de véhicules éventrés ou en ‘‘réparation’’ de part et d’autre de la chaussée dont les largeurs sont d’autant plus réduites. Avec les caniveaux bouchés par les dépôts sauvages de déchets ménagers, les avenues poussiéreuses sur les accotements desquels se sont installés des centaines de marchés pirates, Kinshasa apparaît comme un grand bazar où tout le monde vend tout au petit bonheur la chance. Sur les rues de la ville, c’est avec peine que les voitures, motos, vélos ou piétons se frayent un chemin dans un véritable capharnaüm.
Le degré actuel de l’insalubrité et du délabrement des équipements collectifs est tout simplement ahurissant et fait de Kinshasa une des villes les plus sales et les plus crasseuses d’Afrique si elle n’est pas déjà à la première marche de ce podium de la honte.
Tous les étrangers et même les compatriotes qui ont longtemps été absents du pays ou qui arrivent pour la première fois par l’aéroport de Ndjili, éprouvent la même gêne de découvrir une ville en phase de dégénérescence avancée. Le fourmillement désordonné des véhicules automobiles et des deux roues surchargés de passagers ou des victuailles et roulant à contre sens, amène à se poser la question de savoir s’il existe une autorité et une police municipales.
Avant votre avènement comme après, notre capitale envoie une image de lieu d’anarchie entretenue aux yeux et à la barbe de ceux qui en ont la gestion.
Kinshasa, le coeur de la ‘‘gâchette du revolver Afrique’’ Frantz Fanon n’est plus une grande ville que par sa superficie et sa population.
Les embouteillages inextricables sont toujours le lot quotidien de vos administrés plusieurs semaines après votre élection et votre investiture à sa tête.
N’avez-vous jamais pensé à un programme d’action à mettre en oeuvre au profit de cette mégalopole dont vous assumez aujourd’hui la responsabilité au premier chef ?
Pourquoi les autorités communales ainsi que les chefs des quartiers et de rues ne sont-ils pas habilités à exercer leurs compétences respectives avec les moyens conséquents quant à ce ?
N’avez-vous jamais pensé avant de vous faire confier les clés de l’hôtel de ville, à la réhabilitation avec l’ONATRA, du train urbain, ou encore, à une action de salubrité publique qui aille au-delà des simples déclarations d’intention genre ‘‘bientôt, l’opération coup de poing’’ ?
Ne vous est-il pas possible de mettre à contribution ce boulevard naturel qu’est le fleuve Congo à travers un partenariat public-privé (PPP) pour un service de taxi fluvial reliant le centre-ville à l’aéroport international de Ndjili et la Tshangu ?
Faut-il là aussi que le chef de l’Etat et le gouvernement central endossent le costume maïoral pour faire le ménage à votre place, en organisant un usage plus conforme aux lois et édits de l’espace public dans la ville dont vous êtes le gouverneur?
Quels moyens prévoyez-vous de mettre à la disposition de la police pour encadrer et faire respecter les règles élementaires de l’urbanité? Ces millions d’entrepreneurs informels qui exercent leurs activités en échange de pots-de-vin à quelques uns de vos bourgmestres ne peuvent-ils pas, grâce à une formalisation rigoureuse, constituer une source de revenus nécessaires pour vous permettre de faire face aux dépenses relatives à l’énorme responsabilité qui est la vôtre ? Y avez-vous pensé ?
Des milices Yaka et Teke s’empoignent dans l’hinterland de la Tshangu, obligeant plusieurs centaines d’agriculteurs dont dépendent l’approvisionnement de la capitale en denrées de première nécessité. Qu’avez-vous prévu pour rétablir la sécurité sur cet espace?
A défaut pour vous de répondre rapidement à toutes ces priorités, on est en droit de se poser la question de savoir pourquoi vous avez sollicité les suffrages des élus provinciaux de Kinshasa pour diriger cette ville qui est le miroir de toute la République Démocratique du Congo.
Les flagorneries de votre ‘‘base politique’’, de vos collaborateurs, clients, musiciens et autres courtisans n’y changeront rien. C’est au résultat et seulement au résultat que vous serez jugé et cela commence maintenant.
Foin des hésitations, prenez le taureau par les cornes et agissez conformément aux attributions qui vous sont reconnues par les textes légaux en vigueur !
Recevez, monsieur le président, mes salutations patriotiques.
Albert Kusalubi