L’affaire était sur toutes les lèvres. Mais l’entendre de la bouche du chef de l’Etat, «l’homme le mieux informé du pays», lui confère un immense crédit. Mardi 6 août, au cours d’une interview avec nos confrères Wetshi Amba et Christian Lusakweno, Félix Tshisekedi a accusé son prédécesseur Joseph Kabila d’être derrière l’Alliance Fleuve Congo (AFC), la rébellion armée dirigée par Corneille Nangaa avec le soutien de Kigali. Une affirmation qui a suscité plusieurs réactions parmi les partisans du président de la République honoraire et dans une partie de l’opposition.
C’est Barbara Nzimbi, porte-parole d’un Joseph Kabila connu pour être taiseux, qui a donné la réplique la plus élaborée à cette grave accusation présidentielle, en tentant d’égratigner Félix Tshisekedi sur sa gestion de l’Etat et du pays par rapport aux idéaux incarnés par feu son père, entre autres. «Actuellement les priorités du Chef de l’Etat Félix Tshisekedi sont rivées sur tout sauf sur les attentes primordiales du peuple congolais… Durant son mandat, il a excellé dans l’accusation des autres … Je l’invite à honorer la mémoire de son père qui avait un idéal contraire à ce qu’il nous présente par sa gestion. Le peuple congolais est abandonné à son triste sort, mais le président Tshisekedi jusque-là fait preuve d’un grand déficit de sentiment de redevabilité envers lui. Il prend tout son temps alors qu’il ne lui reste que 3 ans pour aller au sénat en tant que sénateur à vie. Accuser Joseph Kabila jour et nuit sans preuves alors que ce dernier est jusque-là le symbole de la démocratie à travers la première alternance que le pays a connue, cela ne favorise pas la cohésion nationale. L’unique voie pour Kabila d’accéder au pouvoir, c’est celle des urnes. Le même Joseph Kabila avec qui vous avez fait la remise et reprise, ce sera aussi avec lui que l’histoire de l’alternance va se répéter dans ce pays», a-t-elle posté sur son compte X.
Partisans sonnés
Manifestement sonnés, beaucoup d’autres partisans de l’ancien président de la République avaient donné de la voix. A l’instar de son ancien directeur de cabinet, le professeur Néhémie Mwilanya, qui a rompu un long silence. «La stratégie du bouc émissaire ne convainc plus. Des accusations sans preuves non plus. Joseph Kabila Kabange a fait ses preuves et légué un pays viable. Aujourd’hui, le Congo se meurt et son peuple est sans avenir : le vrai visage du pouvoir, c’est la corruption, l’insécurité, la pauvreté», a-t-il écrit.
Pour Ferdinand Kambere, secrétaire permanent adjoint du PPRD qui semble considérer que Joseph Kabila a «donné» le pouvoir à Félix Tshisekedi, les propos de ce dernier sont «une moquerie qu’un président qui a eu le pouvoir de Joseph Kabila puisse se réveiller de sa maladie et que la première personne à dénigrer, c’est l’ancien président Kabila. Qu’il cesse de mentir au nom de Kabila, un homme qui ne parle pas. Dire que Joseph Kabila prépare une insurrection en RDC et qu’il est derrière l’AFC, c’est une moquerie envers Joseph Kabila ! Qu’ils quittent seulement le pouvoir. Ils n’ont pas de solution à proposer au peuple congolais».
Répliques éparses
Patient Sayiba Tambwe, ancien DG de l’OGEFREM et un des premiers fidèles kabilistes à réagir aux propos de Félix Tshisekedi le 7 août 2024, a, pour sa part, tenté de les présenter comme des accusations irréfléchies tenues par un convalescent. «Je conseille à tous ceux qui l’ont suivi d’user d’un peu d’humanisme en s’abstenant de commenter les propos d’un homme affaibli par la maladie», a-t-il posté sur son compte X, comme pour détourner l’attention de l’opinion de ces accusations aux conséquences encore mal calculées. «J’ai vu un homme confus, diminué, et sérieusement secoué par la maladie. Je suis néanmoins écœuré que ses collaborateurs l’ont, par imprudence ou ignorance, jeté en pâture sachant que, dans son état, il courait visiblement le risque de débiter en public des propos incohérents et indignes des fonctions qu’il est censé incarner », a-t-il bûcheronné. Et, mal lui en a pris, parce que quelques heures plus tard, Félix Tshisekedi, présenté comme «… diminué et sérieusement secoué par la maladie…» regagnait frais et dispos Kinshasa par l’aéroport de Ndjili avant de présider un conseil des ministres restreint et accorder une audience à Vital Kamerhe, le président de l’Assemblée nationale.
Quant au fond des accusations proférées par le président Tshisekedi contre son prédécesseur, plusieurs observateurs font remarquer qu’elles s’inscrivent dans une thèse déjà soutenue par son parti politique, l’UDPS. En effet, samedi 30 mars 2024, Augustin Kabuya, secrétaire général et président a.i. du parti présidentiel se fondant sur les ralliements de plusieurs cadres du PPRD à l’AFC de Corneille Nangaa, avait accusé Joseph Kabila de soutenir les rebelles du M23. Il avait soutenu au cours d’un meeting du parti à Kinshasa que Joseph Kabila avait demandé à un dirigeant africain de soutenir financièrement et logistiquement le nouveau chef rebelle.
Longue liste de trahisons
Chez les tshisekedistes, la collusion de l’ancien chef de l’Etat avec la nouvelle rébellion du M23/AFC ne fait l’ombre d’aucun doute puisqu’elle s’inscrit sur une longue liste de trahisons au sommet de l’Etat au profit du Rwanda. «Beaucoup ignorent le rôle qu’a joué Kabila dans l’infiltration rwandaise dans nos services de sécurité et l’affaiblissement de l’Etat congolais. Kabila a longtemps utilisé les terroristes du M23 pour réprimer les manifestations à Kinshasa et ailleurs, selon les rapports de Human Right Watch. Sous les Kabila, des officiers de l’armée rwandaise ont occupé et dirigé des grandes unités des FARDC. Dans le Sud-Kivu, 43 % des postes de commandement militaire ont été confiés au M23 au terme de l’accord avec le CNDP. Notre pays avait été pratiquement vendu à Paul Kagame. Ceux qui ne connaissent rien de la guerre de l’Est ne comprendront jamais les propos du président rwandais. Kabila et les M23 font Un. Quittons l’ignorance et l’hypocrisie», écrit cet internaute dont les propos résument assez bien l’opinion de bon nombre dans les rangs tshisekedistes. Voire, au-delà.
Charles Kabuya, un avocat kinois candidat malheureux aux dernières législatives, qu’on ne peut donc formellement soupçonner d’accointances particulières avec les combattants tshisekedistes, se félicite de la dernière sortie médiatique bruxelloise du président congolais. «Je félicite le PR Fatshi pour avoir dit en des termes clairs ce qu’il en est du Rwanda et de son dirigeant, Kagame, dont les agissements criminels endeuillent l’Est de la RDC depuis bientôt trois décennies, avec des victimes congolaises qui se comptent par millions. Prendre des gants diplomatiques comme on l’a fait par le passé n’a eu aucune influence sur lui, tout comme lui donner des gages de bonne volonté n’a pas non plus infléchi son obstination à agresser le Congo. Avec lequel d’ailleurs lui-même ne prend pas de précautions de langage. Il n’écoute pas la communauté internationale, sûr qu’il est du soutien de certains pays occidentaux. Il respecte encore moins les institutions des Nations-Unies, allant jusqu’à abattre les aéronefs de la Monusco. Dans le même temps, il ruse et se joue de tous les accords depuis plusieurs années, s’il ne le jette pas simplement aux orties. Pourquoi devrions-nous continuer à le caresser dans le sens du poil ou à user de circonlocutions à son égard, comme le disent certains congolais ce matin, par manque de rigueur analytique ?», argue-t-il sur son blog.
Nangaa, le justicier
Il reste donc que face à Christian Lusakweno (Top Congo) et Baudouin Amba Westhi (Congoindépendant), Félix Tshisekedi a jeté un pavé dans la marre en confirmant les dénonciations déjà avancées par son parti.
Dans l’opinion publique, il sera laborieux pour Joseph Kabila de sortir indemne de ces accusations de haute trahison et de rébellion à l’origine de tant de souffrances des populations civiles congolaises.
On rappelle à cet égard, la sortie médiatique du nouveau chef rebelle pro rwandais Corneille Nangaa, accusant le président Tshisekedi de n’avoir pas respecté les accords convenus et signés avec son prédécesseur pour assurer une passation de pouvoir pacifique en RDC. Un véritable plaidoyer assorti d’un communiqué assurant qu’un «Accord pour la stabilité de la République Démocratique du Congo» aurait été signé en présence de trois chefs d’Etat africains entre la proclamation des résultats provisoires et définitifs de la présidentielle de 2018. Mais aussi, que sur la base de cet accord avaient été installés des institutions de la République, dont le gouvernement (1er ministre) et les bureaux des chambres parlementaires. «Habitué aux parjures et aux reniements, le président Tshisekedi ne doit pas se croire continuellement malin après avoir floué ses partenaires de Genève, de Nairobi et de l’Union sacrée », tranchait cet ancien président de la CENI. Comme s’il défendait, à un mois de la présidentielle 2023, la cause de tiers intéressés. «Joseph Kabila ? L’AFC, c’est lui. Il a boycotté les élections et prépare une insurrection», a asséné Félix Tshisekedi mardi dernier en réponse à une question sur son éventuelle ouverture à l’opposition politique dans son pays.
J.N. AVEC LE MAXIMUM