Depuis quelques mois, le président rwandais Paul Kagame perd de sa superbe sur l’échiquier international. Trente ans d’agressions armées et de pillages des ressources naturelles du Congo voisin ont fini par en émouvoir plus d’un dans la communauté internationale. Le 3 juillet 2024, l’Union Européenne qui ne ménageait pas sont soutien à la principauté militaire post-génocide de Kigali, a gelé l’examen d’une nouvelle aide militaire de 20 millions d’Euros en faveur de l’armée rwandaise. Mais cela ne semble pas ébranler outre mesure Kagame qui poursuit sans désemparer ses pérégrinations prédatrices sur le Kivu.
Un récent rapport d’experts onusiens, un de plus, révèle le déploiement de 4.000 militaires rwandais aux côtés des terroristes congolais du M23 en guerre avec les FARDC depuis 2021.
A l’évidence, dans cette agression qu’il impose à la RDC depuis le milieu des années ’90, le n°1 rwandais dispose de plus d’une corde à son arc au sein de la communauté internationale. Plus précisément, parmi les entreprises occidentales, essentiellement anglo-saxonnes, qui tiennent les cordons de la bourse et entretiennent dans la région des Grands Lacs africains à la survie de ce régime autoritaire pour leur faciliter l’accaparement des ressources naturelles de la RDC.
Un secret de polichinelle
Il est de notoriété publique que ce sont les Etats-Unis d’Amérique et l’Union Européenne qui soutiennent Paul Kagame et son armée. Mais pas seulement. Selon la journaliste canadienne Judi Rever, le Canada, dont de grandes entreprises minières se sont ruées sur les mines congolaises à la faveur des guerres qui ont ravagé ce pays, figure en bonne place parmi les parrains les plus actifs de l’homme fort de Kigali.
A la rescousse de Kagame
Dans un article paru le 8 juillet 2024, Judi Rever révèle ainsi que plusieurs personnalités canadiennes de haut rang contribuent activement au blanchiment du régime mono-ethnique rwandais. A l’instar de Masai Ujiri, président de Raptors, une équipe de basket-ball de Toronto. Très proche de Paul Kagame, l’homme s’est vu attribuer 2,4 hectares de terrain à Kigali par un arrêté présidentiel. Manifestement en échange de sa contribution à la création de la Basket-ball African League (BAL), la première ligue masculine de ce sport sur le continent africain, sponsorisée par l’Etat.
L’immense terrain attribué à Masai Ujiri – dans ce pays connu pour la densité excessive de sa population – s’inscrit dans le cadre d’un projet de développement urbain de Kigali, le Zaria Court (lancé en 2023). Il prévoit la construction d’un hôtel-boutique, de restaurants haut de gamme, d’un salon et d’une salle de sport on the roof, d’espaces de bien-être et d’un studio podcast.
Zaria Court est financé par Helios Fairfax Partners, une société canadienne comptant parmi ses administrateurs … Ujiri lui-même et l’ancien général Roméo Dallaire. Ce dernier n’étant autre que le controversé commandant de la force de maintien de la paix de l’ONU au Rwanda en 1994, année du génocide, donc.
Au sujet d’Helios Fairfax, il est renseigné que cette entreprise qui finance le nouveau projet de développement urbain de Kigali gère plus de 3 milliards USD d’actifs et d’investissements en Afrique. Une partie du financement de ce projet est acheminée via la filiale en propriété exclusive d’Helios Fairfax dénomée Helios Sports & Entertainment. Elle est également actionnaire de NBA Africa et BAL, dont l’ancien président américain, Barack Obama, est conseiller stratégique.
Le général Roméo Dallaire, aussi
Quant à Roméo Dallaire, ses actions en faveur du régime dictatorial en place à Kigali vont au-delà du blanchiment des activités criminelles, rapporte Mme Rever.
L’ancien commandant des forces onusiennes au Rwanda patronne l’Institut Dallaire, un organisme créé pour lutter contre l’utilisation d’enfants soldats en Afrique. Il a établi un ‘‘Centre africain d’excellence pour les enfants, la paix et la sécurité’’ à Kigali. L’Institut Dallaire fournit ainsi dans ce cadre des millions de dollars du gouvernement canadien à une armée qui viole systématiquement le droit international en RDC particulièrement, mais aussi dans d’autres pays de la région comme le Burundi en y recrutant des enfants soldats, déplore la journaliste canadienne.
Le général canadien à la retraite est connu comme cet officier au nez et à la barbe de qui l’Armée Patriotique Rwandaise (APR) de Kagame viola les Accords de paix de Lusaka, signés avec le président hutu Juvénal Habyarimana, en introduisant armes, munitions et hommes de troupes jusque dans la capitale Kigali. Avant d’attenter (avec succès) à la vie des présidents rwandais et burundais de retour d’une conférence sur la paix à Arusha en Tanzanie le 6 avril 1994. Et d’installer un pouvoir sans partage qui lui a permis d’envahir la RDC deux ans plus tard, atteignant ainsi un des objectifs de ses parrains : ouvrir la voie à l’exploitation sans contrepartie des richesses naturelles de ce pays voisin par les multinationales occidentales.
Roméo Dallaire lui-même n’éprouve aucune gêne à être décrit comme un des parrains du Front patriotique rwandais (FPR) de Kagame, et pose volontiers aux côtés de ses sbires cités devant diverses juridictions pour des crimes de guerre et crimes contre l’humanité, à l’instar notamment des généraux James Kabarebe et Patrick Nyamvumba. Kabarebe a été inculpé par l’Espagne en 2008, avec 39 autres officiers du FPR, pour «génocide, crimes contre l’humanité et autres crimes de guerre» ; et Nyamvumba fut formellement accusé d’avoir organisé, outre des tueries au Kivu, commandé les troupes rwandaises lors de la sanguinaire guerre de six jours opposant Rwandais et Ougandais à Kisangani du 5 au 10 juin 2000, rappelle-t-on.
Face à de telles évidences, l’ancien commandant des casques bleus au Rwanda en 1994 est toujours resté de marbre. Il a plutôt redoublé d’amabilités pour le régime en place à Kigali, allant jusqu’à inviter James Kabarebe à une conférence sur le maintien de la paix organisée par les Nations Unies à Vancouver en 2017 en prétextant que «l’utilité du Rwanda dans le maintien de la paix et la lutte contre l’enrôlement des enfants soldats est plus importante que les allégations passées». C’est grâce à son entregent que Kigali est devenu le quatrième contributeur au maintien de la paix parmi les pays de l’ONU. «Je suis prêt à discuter avec un individu comme celui-là (Kabarebe) plutôt qu’avec d’autres», s’était cyniquement défendu Dallaire.
Le gouvernement Trudeau
Le parrainage canadien du militarisme rwandais ne se réduit pas à ces concours d’individus. Le gouvernement de Justin Trudeau prête le flanc à ces actions aussi effrontées qu’immorales. Il y a deux ans, c’est lorsque les forces rwandaises et leurs alliés du M23 lançaient de nouvelles attaques au Nord-Kivu qu’Ottawa décida de renforcer ses relations bilatérales avec le pays agresseur de la RDC. Un haut-commissariat (ambassade) canadien fut ainsi ouvert à Kigali, pour «contrer l’influence russe et chinoise», se défendait-on. «Nous devons nous assurer que nous avons des diplomates sur le terrain pour voir et écouter ce qui se passe, pour être sûrs que nous pouvons jouer un rôle positif auprès du Rwanda et de l’ensemble de la région», avait expliqué Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères du Canada, aux médias en marge d’un sommet du Commonwealth.
De toute évidence, le rôle positif ainsi projeté n’a pas réduit, loin s’en faut, le pillage systématique des ressources minières de la RDC, les tueries et les déplacements massifs de civils provoqués par Kigali. Depuis les années ‘2000, et même longtemps avant, des multinationales canadiennes, à l’instar de Barrick Gold, Nevsun Resources … ont activement participé à la ruée vers le sous-sol rd congolais. Créées en 1995, peu après le génocide rwandais, des entreprises comme l’américano-canadienne American Fields International (AMFI) se fixèrent l’objectif d’«exécuter en Afrique la volonté de domination économique des financiers occidentaux et particulièrement d’assouvir en RDC les desseins des sociétés américaines dont les dirigeants participent aux grands enjeux stratégiques mondiaux qui relèvent de la science, de la technologie, des finances, des industries et de la politique», note à cet égard le géo-politologue Alain Deneault.
C’est tout dire.
J.N. AVEC LE MAXIMUM