C’est acquis depuis la nuit du 22 au 23 avril 2024. D’ici peu, Londres expulsera vers Kigali (Rwanda) des migrants clandestins au Royaume-Uni. En échange, le gouvernement rwandais se verra gratifier de quelques 5 milliards de Livres Sterling, à raison de 150.000 Livres Sterlings par personne expulsée.
La prime britannique offerte à la principauté militaire de Kigali n’est pas la première du genre. Elle s’ajoute aux 370 millions £ versés au gouvernement de Paul Kagame dans le cadre du partenariat quinquennal pour la migration et le développement économique. C’était il y a deux ans, au plus fort de la énième agression de l’armée rwandaise contre la RDC voisine. Comme pour soutenir son offensive dans l’eldorado kivutien.
Mardi 30 avril 2024, le gouvernement britannique a déclaré qu’il entendait expulser vers Kigali un premier groupe de 5.700 demandeurs d’asile «d’ici la fin de l’année». 24 heures auparavant, le 29 avril, le premier ministre conservateur, Rishi Sunak, assurait que «tout étaitprêt, ces avions décolleront, quoiqu’il arrive». Un premier migrant, un volontaire selon des médias anglais, a dûment été expulsé au Rwanda, le même 30 avril 2024.
La loi permettant l’expulsion vers le Rwanda des demandeurs d’asile entrés illégalement au Royaume-Uni a finalement été approuvée au parlement britannique après d’âpres discussions. Elle remplace le texte initial adossé au traité sur les migrants conclu entre Londres et Kigali, retoqué en juin puis en novembre 2023 par la Cour suprême de sa gracieuse Majesté. Présenté il y a deux ans comme une mesure phare de lutte contre l’immigration clandestine au Royaume Uni par le gouvernement Rishi Sunak, ce projet de loi définit le Rwanda de Paul Kagame comme «un pays sûr». Un point de vue que beaucoup ne partagent pas, y compris au Royaume-Uni.
Au sein du parlement britannique, la chambre des Lords a longtemps conditionné l’adoption de ce texte proposé par le gouvernement conservateur aux conclusions préalables d’un organisme de contrôle indépendant sur le sujet.
Dans la même veine, Kim Johnson, députée travailliste membre de la Commission des Affaires intérieures, déclare que «Rishi Sunak et son gouvernement sont déterminés à prouver que ce projet fonctionnera, alors que tout le monde, à l’exception des conservateurs, sait qu’il s’agit d’un échec cuisant. Détenir des personnes désespérées qui croupissent dans un état d’incertitude depuis bien trop longtemps et les utiliser à des fins politiques est immoral. C’est pourquoi nous avons besoin d’élections générales le plus tôt possible, pour nous en débarrasser une fois pour toutes».
Pour sa part, le porte-parole du parti libéral-démocrate, Alistair Carmichael estime qu’«il s’agit d’une sale tentative des conservateurs pour détourner l’attention de leur bilan épouvantable à quelques jours des élections locales. Le projet rwandais est immoral, irréalisable et coûteux pour les contribuables».
Dès le lendemain de l’adoption de la loi sur les migrants clandestins par le parlement britannique, le 23 avril 2024, le haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Volker Türk, a déclaré que le texte ainsi adopté «allait à l’encontre des principes fondamentaux des droits humains». Des rapporteurs spéciaux auprès des Nations unies sur le trafic d’êtres humains, sur les droits des migrants et sur la torture avaient prévenu, lundi 22 avril 2024, que les compagnies et autorités aériennes qui faciliteraient les vols concernés «pourraient se rendre complices d’une violation des droits humains protégés au niveau international».
D’aucuns en RDC et en Afrique en général considèrent cette initiative de Rishi Sunak et Paul Kagame comme une honte pour l’Afrique réduite en une sorte de dépotoir pour des personnes indésirables en Europe.
Au-delà du projet de loi controversé sur l’expulsion des migrants clandestins du Royaume-Uni vers le Rwanda, il y va de la survie politique des conservateurs britanniques et du régime monolithique au pouvoir au Rwanda depuis 1994. A quelques mois des législatives au terme desquels Sunak et ses amis risquent de perdre jusqu’à la moitié des sièges qu’ils détiennent actuellement et alors que de plus en plus des voix s’élèvent dans le monde contre l’agression et le pillage de la RDC par les phalanges de Kagame, l’un et l’autre jouent leur va-tout. Il s’agit pour Rishi Sunak, de persuader l’électorat que «les conservateurs sont durs en matière d’immigration après que la farce du Brexit ait été suivie par une vague de migrants légaux» et pour Kagame, d’engrager des espèces sonnantes et trébuchantes pour son régime hégémonique.
Au Royaume-Uni, le nombre de migrants clandestins qui traversent la Manche a augmenté de 20 % depuis début 2024 et à partir du 29 avril, le ministère britannique de l’Intérieur s’est lancé dans une gigantesque opération d’interpellations de demandeurs d’asile à travers tout le pays. Elle consistera à emprisonner ceux d’entre eux qui seront pris dans les mailles du filet avant de les envoyer à Kigali où Paul Kagame et ses stratèges ne demandent pas mieux qu’à disposer d’une telle ‘‘main-d’oeuvre’’ pour leurs basses besognes prédatrices au Congo.
L’opération, manifestement anticipée, est conçue pour coïncider avec la tenue des élections locales, selon un document qui a fuité dans les médias.
Lundi 22 avril, Rishi Sunak a annoncé une augmentation exponentielle des espaces de détention de migrants clandestins. «Pour traiter rapidement les réclamations, nous disposons de 200 assistants sociaux formés et dévoués, prêts et en attente. Pour traiter toute affaire judiciaire de manière rapide et décisive, le pouvoir judiciaire à mis à disposition 25 salles d’audience et désigné 150 juges qui siègeront durant plus de 5000 jours», a déclaré le premier ministre conservateur.
L’accord conclu entre Sunak et Kagame prévoit la prise en charge de quelque 30.000 migrants pour les cinq années à venir. Les deux compères prétendent vouloir «déporter» vers le pays des Mille collines «des volumes plus élevés» de demandeurs d’asile, même si seulement 500 migrants sont attendus au cours de cette première année, selon le document du ministère britannique de l’Intérieur qui a fuité dans la presse. Paul Kagame s’est dit prêt à accueillir par la suite 3.000 demandeurs d’asile par an jusqu’à l’expiration de l’accord, d’ici cinq ans.
L’opération coûtera quelque 4,5 milliards £, selon les chiffres transmis par le Home office britannique au National audit office (NAO). Ils s’ajoutent aux 370 millions £ initialement versés à Paul Kagame par Boris Johnson dans le cadre du partenariat quinquennal pour la migration et le développement économique (MEDP).
Selon le NAO, Rishi Sunak s’est engagé à verser 370 millions £ sur cinq ans au Rwanda «même si aucun migrant n’est expulsé». Londres paierait également 150 874 £ par migrant pour un programme de traitement et d’intégration de cinq ans comprenant le logement, la nourriture, les services médicaux et l’éducation (un euphémisme sans doute pour parler de la formation militaire de ces futurs mercenaires ?). Pour le premier ministre britannique, l’objectif poursuivi consiste en la réduction du coût annuel de l’aide à l’asile, la réinstallation et le logement, y compris les hôtels, actuellement chiffré à 5,6 milliards £.
Seulement, le pays de destination des demandeurs d’asile est tout sauf un paradis. Outre que le régime rwandais est épinglé comme l’un des moins respectueux des droits de l’homme et des libertés fondamentales, Kigali entretient notoirement une multitude de groupes terroristes actifs dans les pays voisins notamment le M23 en RDC et les Red Tabara au Burundi. Des massacres et des déplacements forcés de populations civiles attestés par des sources onusiennes qui n’ébranlent guère la détermination de Rishi Sunak à ‘‘nettoyer’’ le territoire britannique même au détriment des pauvres noirs africains …
Rien qu’au cours des derniers mois, plus de 700.000 personnes ont été contraintes de fuir leur foyer au Nord-Kivu devant l’avancée des troupes des troupes de Kagame et de leurs supplétifs, portant le nombre total de personnes déplacées à un niveau record de 7,2 millions, ont alerté le 30 avril 2024, des hauts responsables d’agences des Nations Unies. «On envoie donc des demandeurs d’asile vers un régime qui contribue à créer beaucoup plus de réfugiés», déplore un responsable de l’ONG britannique Human Right Watch. Une complicité véritablement criminelle qui, pour d’aucuns, sert de paravent au financement de la politique militariste de Kigali.
Il est ainsi rappelé qu’en mars 2022, l’accord de réinstallation de migrants au Rwanda annoncé par le Royaume-Uni était assorti d’un pactole de 120 millions de Livres Sterling versés au régime de Paul Kagame dès le 14 avril de la même année. Alors qu’aucun migrant n’avait encore foulé le sol rwandais, ce versement n’avait été qu’une perfusion pour l’économie de guerre du régime hégémoniste de Kigali. D’autant plus qu’ilépouse fort opportunément les contours des conflagrations armées provoquées par ce gouvernement belliqueux agresseur de la RDC. Les massacres de Kishishe en novembre 2022 sont intervenus peu de temps après que l’Union européenne eût accordé un soutien financier de 20 millions d’Euros à l’armée rwandaise pour des opérations au Mozambique (sic !).
Aujourd’hui, il est ainsi attesté que le Rwanda a déployé plus de 3.000 soldats à l’Est du Congo et forme les rebelles du M23 dans un camp reculé près de la frontière entre les deux pays selon des responsables occidentaux cités par l’agence américainne Bloomberg. Kigali a en outre déversé une énorme quantité d’armes en RDC, y compris des drones à voilure fixe, des lance-grenades de fabrication israélienne, des brouilleurs de drones et des lance-grenades anti-char russes SPG-9, assurent pour leur part des enquêteurs onusiens cités par le même média.
Par ailleurs, le Rwanda qui compte un peu plus de 13 millions d’habitants vivant essentiellement de l’agriculture est confronté à une pression démographique dramatique sur son espace de quelques 26.338 km². C’est le pays le plus densément peuplé d’Afrique centrale (plus de 400 habitants au km2). Le taux de natalité y est tellement élevé qu’une extension territoriale délibérée vers le Congo voisin, du genre de celle que le tristement célèbre régime nazi d’Adolf Hitler tenta en 1941 (opération Barbarosa contre l’URSS), lui apparaît comme salutaire. En 2014, il n’existait quasiment plus aucune terre en friche au Rwanda, alors que trois habitants sur cinq avaient moins de 25 ans, et que l’âge moyen de la population s’établissait à 19 ans. C’est cette situation liée à la rareté des ressources naturelles qui exacerbe les tensions dans la région des grands lacs. Autant que les inégalités entre riches et pauvres qui furent à la base d’un génocide en 1994.
On se perd donc en conjectures quant à ce qui pousse Rishi Sunak à mettre ainsi de l’huile sur le feu en y déversant sans état d’âme son trop plein de migrants clandestins et de Livres Sterling.
J.N. AVEC LE MAXIMUM