En RDC, trois mois après l’élection haut la main du président sortant Félix Tshisekedi pour un second quinquennat à la tête du pays, l’équipe gouvernementale peine à se mettre en place. Tout autant, du reste, que le partage des responsabilités entre les vainqueurs des législatives et des provinciales de décembre 2023, pourtant membres d’une confortable majorité dans les assemblées délibérantes.
Après de laborieuses tractations pour l’identification de la majorité présidentielle confiée à Augustin Kabuya, secrétaire général de l’UDPS, Judith Suminwa Tuluka, première ministre nommée par le président de la République le 1er avril 2024, s’essaye encore à constituer l’exécutif qu’elle dirigera bientôt. Annonçant les couleurs, elle a déjà indiqué sa volonté de réduire le train de vie d’une institution gouvernementale parmi les plus budgétivores de la République en ramenant de plus de 60 à 45 le nombre des strapontins ministériels.
Le train tarde à quitter le quai, même si nombre d’observateurs rappellent, à juste titre, que le microcosme politique n’en est pas à son premier spectacle de marche à tâtons alors qu’une partie du territoire national est sous occupation rwandaise.
Un partage qui devrait aller de soi
Pourtant, plus de 5 ans après la première passation de pouvoir pacifique et civilisée entre un président de la République sortant et un nouvel entrant le 24 janvier 2019 à Kinshasa entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi, les choses auraient dû se passer plus rapidement étant donné que la répartition des responsabilités entre partisans majoritaires à toutes les instances électives aurait dû aller de soi.
Il n’en est encore rien car les principaux ténors de l’Union sacrée de la nation pourtant délestés du fardeau du FCC de Kabila qui ont refusé de participer aux scrutins de décembre 2023, son en passe de transformer la nouvelle majorité présidentielle en un ‘‘conglomérat’’ de jouisseurs sans vision en se battant becs et ongles pour imposer chacun son ambition et s’adjuger la meilleure part du ‘‘gâteau’’.
A coups de statistiques et d’arrêts de justice post-électoraux négociés parfois de manière immorale et illégale, s’il le faut. L’heure était encore en avril 2024 à l’attente des ajustements attendus d’arrêts relatifs à plusieurs dizaines de requêtes en «corrections d’erreurs matérielles» sur les décicisions rendues dans le cadre des contentieux électoraux jugés en mars dernier. Le peloton de tête de cette course au pouvoir, emmené jusqu’à il y a peu par l’UNC et mosaïques de Vital Kamerhe suivi de l’AFDC et alliés de Modeste Bahati, se serait laissé rejoindre, voire, doubler, par les regroupements AB du 1er ministre sortant, Jean-Michel Sama Lukonde et la PEP-AAAP du duo Tony Kanku Shiku et Laurent Batumona désormais détenteurs d’un nombre de sièges parlementaires qui les placent en bonne posture après le parti présidentiel.
Un nouveau paysage politique à l’essai
Le retard observé dans la formation du gouvernement et le partage des responsabilités à la tête de l’Assemblée nationale dépasse la simple redistribution des rôles au terme des dernières joutes électorales. C’est un nouveau paysage politique inédit qui semble se dessiner en RDC. Il implique des acteurs d’envergure dont l’ombre plane autant sur les conciliabules en cours que sur le leadership de Félix Tshisekedi lui-même. De nouvelles alliances se profilent pour influer sur la suite de l’histoire politique déjà tumultueuse depuis plus d’un quart de siècle, précipitant la majorité tshisekediste vainqueur des dernières élections dans une lutte de positionnement suicidaire tandis qu’en face, les oppositions parlementaire, non-parlementaire, et rebelle (ou terroriste antipatriotique, c’est selon), se pourlèchent les babines face à cette aubaine.
La RDC se retrouve ainsi à nouveau à la croisée des chemins. «Tout le monde peut basculer d’un côté ou de l’autre n’importe quand. Ils auraient tous un pied dedans, un autre dehors que cela n’étonnerait guère», explique ce politologue de l’Unikin.
Tireurs de ficelles étrangers
Dans ce tableau peu reluisant s’incrustent les tireurs de ficelles dans la région et hors du continent. Les mêmes qui, depuis l’accession du pays à la souveraineté nationale et internationale en 1960, s’activent comme des diables dans un bénitier pour prendre le contrôle de ce pays-continent aux richesses naturelles incommensurables.
Depuis 2021, le régime rwandaix post-génocide de Paul Kagame, soutenu par les Etats-Unis, le Canada, le Royaume-Uni et l’Union européenne, rue dans les brancards par les agressions sangunaires et prédatrices pour faire aboutir son calendrier hégémoniste sur une partie du pays de Lumumba.
Comme d’usage depuis 1994, le pays de mille collines instrumentalise des proxies congolais à cette fin. En plus des terroristes du M23, qu’il soutient au vu et su de la «communauté internationale», ainsi qu’en attestent de nombreux rapports onusiens, cette fois-ci, Kigali s’est adjoint les services de nouvelles recrues, promptement associées à ses phalanges du M23.
Quelques semaines seulement après les élections générales de décembre dernier, boycottées par l’ancien président Joseph Kabila et ses partisans, Corneille Nangaa, ex-président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) jusque fin 2018 a lancé un nouveau mouvement rebelle, l’Alliance fleuve Congo (AFC) réunissant quelques membres du PPRD, parti de Kabila, de la société civile et des groupes armés du Kivu.
Protégé par le corps expéditionnaire rwandais en RDC, Corneille Nangaa a a annoncé qu’à partir du 20 décembre 2023, Félix Tshisekedi, le président de la République en place, réélu quelques semaines plus tard pour un second mandat de 5 ans à la tête du pays, ne devait plus présider aux destinées du Congo et qu’il agissait conformément à l’article 64 de la constitution en vertu duquel «tout Congolais a le devoir de faire échec à tout individu ou groupe qui prend le pouvoir par la force ou qui l’exerce en violation des dispositions de la (présente) constitution».
Six mois auparavant, l’ancien président Joseph Kabila était sorti de sa longue hibernation pour appeler sa famille politique à «résister» aux manœuvres ‘‘dictatoriales’’ de son successeur.
Nangaa s’en prennait à la recomposition de la CENI et à la réorganisation de la Cour constitutionnelle, la plus haute instance judiciaire du pays, chargée de la validation des résultats électoraux et de la proclamation du vainqueur de la présidentielle.
Le parrain de la passation civilisée du pouvoir
Se considérant, on ne sait trop pourquoi, comme «le parrain de la passation civilisée du pouvoir en RDC», Corneille Nangaa, rejoint par quelques cadres kabilistes, a donc résolu de prendre les armes contre son pays. Le 28 mars 2024 dans la localité occupée par la coalition RDF-M23, on a vu aux côtés de l’ancien président de la CENI, Adam Chalwe, jusque-là coordonnateur de la jeunesse du PPRD. Mais également, Yannick Tshisola et Henry Maggie, membres influents de la Ligue des jeunes du parti de Joseph Kabila. A ces ralliements, s’ajouterait celui du général John Numbi, un influent membre du pré carré militaire de Kabila qui, quelques temps avant Corneille Nangaa, avait déclaré la guerre au président Tshisekedi.
Collusion avec l’AFC
La collusion entre ces kabilistes pur-sang et la nouvelle rébellion armée est trop flagrante pour être hasardeuse selon une certaine opinion. Quoique s’en défende Ferdinand Kambere, le secrétaire permanent adjoint du PPRD qui a déclaré que «les gens sont libres de manifester leur liberté … cela n’a pas de lien avec le «Raïs», ni le PPRD, encore moins le FCC. Les revendications du PPRD et du FCC sont connues et écrites. Nous continuons notre combat dans la résistance, nous le disons, le reste ne nous concerne pas». On n’a enregistré aucune condamnation de principe à cette adhésion à un mouvement terroriste en guerre contre la RDC de la part de la formation politique de Joseph Kabila.
Le 15 avril 2024, le PPRD avait pourtant condamné un de ses membres Moussa Mondo, ancien vice-ministre des Hydrocarbures et de la Défense, qui avait roué de coups jusqu’à ce que mort s’ensuive son épouse Alissa Kadidja 24 heures plus tôt. Dans un communiqué signé Ramazani Shadary, secrétaire général, ce parti avait en effet annoncé l’exclusion temporaire de Moussa Mondo de ses rangs pour «voies de fait ayant entraîné mort d’homme». On ne peut que s’étonner dès lors que pour une participation à un mouvement terroriste, crime prévu et sanctionné par les lois en vigueur en RDC, le cet ancien parti présidentiel ait préféré mettre en avant la liberté de ceux de ses cadres désormais membres de l’AFC.
Comme le nez au milieu du visage
Cela saute aux yeux comme le nez au milieu du visage que dans le nouveau paysage en gestation, le camp de l’ancien président Joseph Kabila joue sur deux registres, interne et externe (agression) en soutenant subtilement l’option militaire pour récupérer le pouvoir perdu fin 2018.
Ainsi resurgit le spectre d’un retour à la case départ, aux négociations et accords de Sun City en Afrique du Sud qui consacrèrent le partage du pouvoir entre belligérants (soutenus par les puissances étrangères), l’opposition politique interne non armée et l’alors pouvoir en place détenu par Joseph Kabila. L’esprit Sun City est de retour avec ses équilibres précaires issus de conciliabules inter congolais encadrés par le très controversé Thabo Mbeki et qui n’ont pas empêché le pays de basculer à nouveau dans la violence.
Bis repetita camp de la patrie vs camp des étrangers
La majorité tshisekediste au pouvoir qui se présente aux yeux de nombreux Congolais comme le nouveau camp de la patrie s’était déjà modelée avec la signature, le 19 avril 2002, d’un accord partiel avec le MLC de Jean-Pierre Bemba et le gouvernement de Joseph Kabila avant d’être rejoints par une grande partie de l’opposition politique et la société civile pour une gestion consensuelle de la transition au détriment du RCD pro-rwandais notamment. L’initiative bénéficia du soutien de certains pays de la région (Angola, Ouganda et Zimbabwe) avant d’être dénoncée et battue en brèche par Kigali et ses phalanges.
Comme en 2002, la communauté internationale (Etats-Unis, Canada, Royaume-Uni, Union européenne) ne fait fait pas mystère de sa préférance pour ces ‘‘équilibres’’ précaires, défavorables à la RDC dont l’intégrité territoriale est compromise pour le besoin du pillage de ses ressources naturelles.
Le Rwanda, 1er exportateur mondial de coltan !
En 2023, le Rwanda s’est classé premier exportateur mondial de coltan pour la cinquième fois en 10 ans, selon l’Agence Ecofin. Alors qu’il est de notoriété publique que son sous-sol ne contient pas ce minerai stratégique extrêmement convoité. «Une enquête des Nations Unies a révélé que de nombreux comptoirs achètent sciemment du coltan dans des zones contrôlées par des groupes armés et exploitent la distinction entre eux et les négociants pour prétendre ignorer l’origine du minerai. Les entreprises internationales transportent ensuite le minerai directement vers le pays de destination ou le réexportent via l’Ouganda et le Rwanda vers des installations de traitement à l’étranger», révélait à ce sujet en mars 2022 l’ENACT, une initiative de lutte contre le crime organisé transnational.
Ce qui est loin de déranger tout le monde.
C’est ce qui explique l’équilibrisme de composition qui s’observe autour de la question sécuritaire en RDC illustré par les récents propos de Hadja Lahbib, ministre belge des Affaires étrangères pour qui, «une désescalade à l’Est de la RDC est urgente. La souveraineté et l’intégrité territoriale de la RDC doivent être respectées. Le Rwanda doit cesser son soutien au M23 et se retirer de la RDC. La RDC doit arrêter toute coopération avec les FDLR». Alors qu’il est de quasi notoriété publique que des FDLR, il n’en existe en RDC pratiquement plus que le nom.J.N. AVEC LE MAXIMUM