En RDC, les commémorations pascales de 2024 ont été accueillies avec des sentiments mitigés. L’homélie prononcée par le cardinal-archevêque de l’archidiocèse de Kinshasa, Fridolin Ambongo en est la raison. Dimanche 31 mars, le primat de l’Église catholique romaine en RDC s’est fendu d’une diatribe anti-gouvernementale pour annoncer la résurrection du Christ. «Tout s’est passé comme si le vide plein d’espérances du tombeau du fils de Dieu a été rempli par Tata cardinal qui y a subtilement remplacé la RDC», confie à ce sujet au Maximum, Mme Eyenga, fervente pratiquante de la paroisse St Augustin de Lemba à Kinshasa, qui avait effectué le déplacement de la cathédrale Notre-Dame du Congo pour commémorer la résurrection du Christ.
Dans l’antre de Dieu de la commune de Lingwala plein à craquer, le cardinal n’y est pas allé de main morte. Réputé pour sa détestation viscérale du pouvoir tshisekediste qui vient de rempiler brillamment pour un second mandat consécutif de cinq ans à la tête de l’État, il n’a pas fait dans la dentelle pour cibler ses adversaires et le pays qu’ils dirigent. Ce qui a fini par incommoder plus d’un, y compris parmi les fidèles catholiques les plus endurcis, parmi lesquels se comptent de fervents tshisekedistes.
Commentant l’agression de la RDC par le Rwanda et la situation sécuritaire et humanitaire qui en découle dans la province du Nord-Kivu, Fridolin Ambongo a vertement critiqué les dirigeants politiques du pays et l’armée nationale. «Nous tenons ici des discours comme si nous étions forts. La réalité est que le Congo n’a pas d’armée (…) Pendant que nous tenons des discours, les autres occupent notre pays. Ils sont en train de venir, ils avancent (…) Notre pays n’a aucune force pour défendre l’intégrité de son territoire. Un éléphant aux pieds d’argile…», s’est écrié l’archevêque de Kinshasa dans un exercice de persiflage qui a beaucoup gêné ceux des fidèles qui nourrissaient de fermes espoirs d’amélioration de la situation sur la ligne de front. « Le cardinal exagère. Pour une fois, il semble que notre armée se comporte courageusement. C’est depuis 2021 que le Rwanda et ses supplétifs ont lancé leurs assauts contre nous. Cela fait 2 ou 3 ans que les troupes de Kagame ne parviennent pas à occuper la seule province du Nord-Kivu alors que par le passé quelques mois leur avaient suffit pour parvenir à leurs fins», rumine Félicien Tshibala, un fidèle des fidèles de la cathédrale Notre Dame du Congo.
Rébellion et terrorisme sanctifiés
Mais il y eut pire dans l’homélie pascale et de fin de carême du cardinal qui est allé jusqu’à justifier l’agression du pays par des forces étrangères et la collusion avec ces dernières dans laquelle se lancent certains compatriotes. «Nous pouvons les qualifier de traîtres, ils ont pris la cause de l’ennemi, mais la question de fond, c’est pourquoi ces gens ont-ils agi de cette manière-là ? C’est parce qu’au niveau d’ici, nous continuons à poser des actes qui blessent les autres, qui fragilisent la communion nationale, qui excluent les autres (…) Nous savons très bien que notre pays est aujourd’hui un pays en agonie, un grand malade dans un état comateux (…) Nous sommes un peuple abandonné qui ne rêve que du moment où quelqu’un viendra à son secours», a bûcheronné le prélat dans un véritable messianisme antipatriotique. C’était la goutte d’eau de trop, pour beaucoup de fidèles catholiques et de ses compatriotes pour qui ces propos sont d’autant plus blasphématoires qu’ils écorchent gravement la vérité et la réalité. «Des actes qui blessent dans ce pays, il y en a beaucoup depuis la colonisation. Le parti au pouvoir, l’UDPS d’Etienne Tshisekedi, les a subis durant 32 ans d’opposition. Le tristement célèbre massacre des chrétiens dans les années ’90 est encore frais dans les mémoires. Autant que de nombreux assassinats des militants du parti. Ce parti n’en a pour autant jamais pris les armes contre le pays ! », réplique, révoltée, Mme Eyenga. Pour sa part, Félicien Tshibala estime que «la RDC n’est pas plus à l’agonie qu’il y a une dizaine d’années, lorsque le pays était divisé en quatre parties occupées par des rébellions par procuration soutenues par des pays voisins».
Païens chassés du Temple
Dimanche 31 mars 2024 à l’occasion de la fête de Pâques, le cardinal Ambongo a littéralement franchi le Rubicon. Sur les réseaux sociaux, les réactions à la saillie de l’archevêque de Kinshasa contre le pouvoir tshisekediste en place en RDC et sur son pays sont loin de tarir. Elles sont très peu flatteuses pour le primat catholique. A l’instar de celle de Dieu Wedi pour qui «Tata cardinal s’exprime comme un païen. Il n’est pas différent de ces gens que Jésus avait chassé du temple parce qu’ils l’avaient transformé en un marché. A mon avis, il n’a de catholique que ses ornements sacerdotaux».
Dans les médias, Fridolin Ambongo justifie son hostilité envers le pouvoir établi en affirmant que «l’église a pris le parti du peuple», laissant entendre par là que le peuple congolais ne se trouverait que parmi les partisans de l’opposition politique. Mais selon les observateurs et analystes de l’arène politique rd congolaise,l’activisme politique et contestataire des princes de l’église catholique romaine plonge ses racines beaucoup plus loin, dans le fait colonial et dans la genèse de l’État congolais indépendant. «A y regarder de près, le seul pouvoir au Congo que la hiérarchie de l’Église catholique n’a jamais contesté, c’est le pouvoir colonial dans les valises duquel cette confession religieuse est arrivée dans ce pays», explique ce professeur d’histoire à l’Université pédagogique national de Kinshasa (UPN). Il n’a pas tort, pour autant qu’on se souvienne des démêlés d’un autre cardinal, Joseph Malula, avec le pouvoir mobutiste. Ou encore, des accrochages épiques qui jalonnèrent les rapports entre le pouvoir des Kabila, père et fils, et la même église catholique emmenée par le cardinal Laurent Monsengwo. «En réalité cette église catholique s’est toujours manifestée en République Démocratique du Congo comme un contre-pouvoir anti-indépendantiste», en conclut logiquement l’académicien. Même si, de plus en plus des voix s’élèvent au sein de la hiérarchie de l’église elle-même, qui appellent à mettre une sourdine à cette dérive politicienne plutôt réactionnaire et révisionniste que les principaux princes de l’église catholique romaine au Congo n’ont jamais cessé de considérer comme une ligne de conduite.
L’exhortation de Mgr Balestrero
A l’occasion d’une célébration eucharistique d’adieu au clergé rd congolais, Mgr Ettore Balestrero, Nonce apostolique en RDC depuis avril 2019, a ainsi vertement admonesté ses collègues, le 28 juin 2023 à Lubumbashi. «Si nous voulons que notre vie soit fructueuse, si nous voulons que notre ministère puisse avoir des fruits, nous ne devons pas nous préoccuper (…) de quel est le changement dans le pays que je dois soutenir. Parce qu’en réalité, le changement dans le pays ne dépendra pas directement de l’église. Ce n’est pas à nous les évêques, pas à nous les prêtres, qu’il appartient de changer le pays», avait conseillé le prélat Italien. Avant d’ajouter que «si nous sommes trop préoccupés de faire ce qui ne relève pas de nous et si nous n’avons pas le souci de faire vraiment ce qui relève directement de nous, il n’y aura personne qui fera ce que nous devons faire et nous ne serons jamais capables de faire ce que les autres doivent faire». Des exhortations tombées malheureusement dans les oreilles de sourds.
J.N. AVEC LE MAXIMUM