Rebondissement dans l’affaire Chérubin Okende Senga, le député national et ancien ministre des Transports retrouvé mort à bord de sa jeep, le 13 juillet 2023. Un peu plus de 6 mois après la survenance d’un drame qui avait choqué l’opinion, le procureur général près la cour de cassation, qui s’était saisi du dossier quelques heures après ce que tout le monde présenta comme un meurtre crapuleux, a rendu sa copie.
Jeudi 29 février 2024 à Kinshasa, Firmin Mvonde a annoncé aux médias les résultats des investigations et enquêtes auxquelles furent associés, à la demande diligente de la famille du défunt et du président Tshisekedi, des experts belges, sudafricains, de la Mission des Nations-Unies au Congo (MONUSCO) et du Bureau conjoint des Nations-Unies aux droits de l’homme.
Il ressort de différents examens des contours de ce drame que Chérubin Okende a «succombé à une hémorragie interne consécutive à une blessure qu’il s’était auto-infligée à la tête». En termes simples, l’ancien porte-parole d’Ensemble pour la République, le parti de l’homme d’affaires et candidat malheureux à la dernière présidentielle rd congolaise, Moïse Katumbi, s’était suicidé.
A Kinshasa en particulier, et en RDC en général, le décès de l’ancien député avait, aussitôt porté à la connaissance du public, déclenché une vague impressionnante de réactions, l’opposition et la majorité au pouvoir se rejetant la responsabilité de ce qui fut d’emblée présenté par d’aucuns comme «un crime d’Etat».
Le suicide annoncé le 29 février par le parquet ôtait, pour ainsi dire, du pain à la bouche des protagonistes de ces scénarios macabres. Mais jeudi dernier, Firmin Mvonde et Edmond Issako, le co-présentateur de ce rapport, arcboutés sur les conclusions scientifiques d’experts indépendants, n’en démordent pas.
Il s’était donné la mort
Les premières conclusions relatives à la mort de Chérubin Okende ont été révélées par l’examen de la scène du crime, le véhicule dans lequel a été retrouvé son corps inanimé et ensanglanté le 13 juillet dernier. «Les experts ont relevé que la jeep Lexus, contact à l’intérieur, moteur allumé, climatisation en marche, ne pouvait se fermer que de l’intérieur. Il a été constaté également des éclaboussures de sang sur le siège avant ainsi que sur le siège avant gauche, donc le siège du passager et également au niveau du siège arrière. On a également trouvé l’arme fatale appartenant au garde du corps de l’ancien député national non pas sur le siège mais à côté de sa dépouille. On a également retrouvé la douille…», rapporte Edmond Issako, procureur de la République près le tribunal de grande instance de Kinshasa/Gombe.
De ces éléments visuels tirés de la scène du crime, il se dégage que la victime se trouvait seule à bord de son véhicule, assise sur le siège avant gauche, celui du chauffeur. C’est ce qui explique, selon les experts, la présence d’éclaboussures de sang sur les sièges voisins et arrières : il n’y avait personne, autrement, l’éventuel passager aurait essuyé les éclaboussures de sang trouvées sur place. «Donc il était seul dans le véhicule. Puisqu’au niveau du siège passager, il y avait sa veste et deux appareils, le tout imbibé de gouttes de sang. La morpho-analyse des traces de sang a révélé que c’était des projections après l’impact de la balle au niveau de la tempe», expliqua le magistrat.
L’examen balistique semble confirmer ces constats et examens d’apparences. Il indique en effet que l’arme avait été utilisée à bout touchant, c’est-à-dire, sur la tempe, du côté droit. Et la balle est ressortie du côté gauche de la tête du défunt, avant de déboucher de la voiture par le pare-brise de la portière avant gauche. Selon les résultats de cet examen, «cette balle avait une ligne ascendante oblique de bas vers le haut … la trajectoire de la balle, de bas vers le haut et de la gauche vers la droite indique que le défunt a utilisé l’arme contre lui-même. Si une autre personne avait utilisé l’arme, la trajectoire ne pouvait pas être oblique, de bas vers le haut et de droite vers la gauche. Elle aurait été horizontale, ou de haut vers le bas, puisqu’il s’exerce une pression sur la tempe», explique le procureur pour qui il ne fait aucun doute que l’ancien ministre s’est auto-infligé la blessure mortelle.
C’est ce que confirme l’examen au scanner de la tête du défunt, qui a révélé la présence de la poudre de balle à l’entrée de l’orifice, du côté droit de la tête, formant une masse noirâtre autour de la plaie meurtrière.
Le garde du corps n’avait pas dit la vérité
La thèse de la présence du député défunt à la cour constitutionnelle à 16 heures le jour précédant sa mort, rapportée par son garde du corps, ressassée et amplifiée par ses familles biologique et politique, est, elle aussi battue en brèche grâce aux données de géolocalisation exploitées par les experts. «Par ses téléphones, M. Okende ne pouvait se trouver à la cour constitutionnelle vers 16 heures puisque le retraçage du parcours grâce aux antennes de télécommunications qui avaient pris en charge son appareil téléphonique renseigne que vers 16 heures, il se trouvait plutôt du côté du Boulevard Sendwe». De même, les vidéos de surveillance des environs de la Cour constitutionnelle n’ont révélé aucune trace de la présence du député défunt dans ces parages, d’où le maintien en détention du garde du corps.
Selon ces dernières données, le jour fatidique, feu Chérubin Okende a été localisé Boulevard Sendwe, de 16 heures à 17 heures, avant de disparaître des radars géoréférentiels qui ne le reprendront en charge que vers 22 heures, à Ndolo, puis entre 1 heure et 2 heures du matin vers l’Institut national des Arts, et à 3 heures Place de la Gare centrale où son véhicule a été finalement retrouvé.
«Au regard de ces éléments, nous estimons donc que la procédure devra continuer contre le garde du corps par rapport à ce qui lui est reproché, même s’il n’est pas directement lié au décès de M. Chérubin Okende», a conclu le procureur Issako.
Le corps n’était pas ‘‘criblé de balles’’
La thèse répandue selon laquelle le corps de l’ancien ministre des Transports avait été retrouvé «criblé de balles» a également littéralement volé en éclats et semble être due à un malentendu sémantique. Ainsi, du reste, que celle selon laquelle il aurait subi des tortures. Sur le sujet, le procureur général Firmin Mvonde, a été très clair. «Vous retiendrez que de l’arme appartenant à son garde du corps, l’arme laissée dans le véhicule, il n’a été tiré qu’une seule balle, contrairement à ce que nous avions dit», a-t-il lancé avant d’ajouter que «l’autopsie faite sur le corps de Chérubin Okende n’a révélé aucun traumatisme, à part celui dû à l’auto-infliction de la balle au niveau de la tempe».
Autre révélation qui relance débats et polémiques autour de ce drame du 13 juillet dernier, l’existence d’un agenda dans lequel les enquêteurs ont lu la phrase ci-après écrite par le défunt, 72 heures avant sa mort : «je suis au bout du rouleau». «Les pages suivantes ont été arrachées», déclare Firmin Mvonde, avant d’égrener la série de questionnements induites par ce détail suspect.
L’hypothèse selon laquelle le défunt se trouvait seul à bord de la Lexus a aussi été confirmée par les experts. «Les témoignages de personnes qui étaient à l’endroit où le véhicule a été retrouvé révèlent que le véhicule s’est arrêté; il y avait une personne à l’intérieur et personne n’en est descendu. C’est confirmé par les experts qui ont trouvé le véhicule hermétiquement fermé. Impossible de démarrer, ni de couper le moteur».
Levée de boucliers
Chérubin Okende mort par suicide ? Les conclusions des experts chargés des investigations sur la disparition de l’ancien ministre ont été perçues par beaucoup dans l’opinion comme un crime de lèse-mémoire contre le défunt. Surtout au sein de sa famille politique qui, dès le lendemain de la découverte de son corps inanimé le 13 juillet à Kinshasa, avait dénoncé un crime politique. «Ridicules, ahurissantes, injurieuses» … toutes les épithètes ont été utilisées par les partisans de Moïse Katumbi et les avocats de la famille pour qualifier les conclusions des experts communiquées par la justice rd congolaise. Passé les premiers instants de surprise, des voix se sont élevées pour rejeter carrément ces conclusions et exiger la communication de ces rapports d’experts, pourtant boudée quelques jours plus tôt, à la famille du défunt.
Seulement, aucune de ces dénégations, les unes plus véhémentes que les autres, n’apporte la moindre preuve du contraire des résultats communiqués. Ceux qui, nombreux, s’y sont essayés, ont versé dans des affirmations souvent gratuites et passionnelles, manifestement dictées par leurs positionnements politiques.
Sur les réseaux sociaux, des internautes se sont découverts qualités et dons de criminologues et de spécialistes de la ballistique, publiant moult thèses et illustrations pour expliquer à leur manière le décès de Chérubin Okende. C’est le cas de ces clichés présentant des impacts de balles d’armes à feu, entrant et sortant, diffusés pour contester la thèse de la balle tirée de droite à gauche et ressortie par le pare-brise avant gauche de la jeep du défunt. Selon cette thèse, le tueur aurait donc tiré sur le défunt assis sur le siège avant gauche du véhicule.
Malheureusement, photos du véhicule du défunt et de l’impact de la balle meurtrière à l’appui, l’exercice aurait davantage relevé de la prestidigitation que des impératifs d’un meurtre. «On voit mal un assassin se compliquer la tâche en évitant la vitre de la portière avant gauche, ou encore le pare-brise avant d’où il pouvait tout aussi bien et même mieux atteindre à coup sûr l’homme assis dans le véhicule. Et préférer le laborieux exercice de viser à partir du pare-brise en caoutchouc», explique à nos rédactions un officier FARDC spécialiste de la ballistique. «On ne voit ça que dans des films. En réalité, les assassins sont toujours pressés parce qu’ils craignent de se faire prendre. Ils n’ont donc pas le temps de soigner à ce point l’angle de tir», conclut-il.
Une autre thèse, défendue par les pourfendeurs de l’expertise présentée le 29 février à Kinshasa, suggère que le corps du défunt ait été replacé dans le véhicule après son assassinat. Elle est contredite par les caractéristiques technologiques de la Lexus dans laquelle fut retrouvé le corps inanimé, qui ne peut s’ouvrir ni se refermer de l’extérieur. Autrement dit, en admettant que le corps du défunt eut été replacé dans le véhicule, comment l’(les) assassin(s) aurai(en)t-il(s) refermé les portières ?
Certes, plusieurs questions sur la mort de Chérubin Okende restent encore sans réponses. Mais contre des thèses scientifiques manifestement avérées (on se croirait en présence d’une présentation du célèbre chroniqueur français Pierre Bellemarre), seules des thèses de même facture peuvent valoir contre-arguments plausibles. Et, il n’y en a pas encore.
J.N. AVEC LE MAXIMUM