Les années se suivent et se ressemblent en RDC depuis un quart de siècle. L’Est et le Nord-Est du pays sont le théâtre d’atrocités soutenues et/ou entretenues par les voisins rwandais et ougandais qui affectent dramatiquement les populations civiles pour couvrir le pillage des ressources naturelles (or, coltan, cassitérite, bois d’œuvres) dont la région est nantie.
Dans l’ensemble, plus de 10 millions de Congolais sont morts directement ou indirectement du fait de cette chienlit, selon des estimations. Le dernier chapitre de ces conflagrations, qui remonte à fin novembre 2021, est en cours au Nord-Kivu partiellement occupé par l’armée régulière rwandaise et ses supplétifs.
Le M23, né des cendres du CNDP, une autre «rébellion» fomentée par Paul Kagame et dirigée par Laurent Nkundabatware, avait pourtant été militairement défait par les FARDC soutenues par la brigade spéciale d’intervention des Nations-Unies et s’était reconverti en parti politique, conformément aux accords de paix conclus en 2013.
C’est pourtant le même groupe armé qui, depuis un peu plus de deux ans, écume l’Est rd congolais et y affronte les troupes régulières soutenues par les Wazalendo (patriotes résistants).
Ces dernières semaines, la guerre qui sévit dans cette partie du pays a gagné en intensité. Les RDF-M23 progressent, quoique plus laborieusement que par le passé, vers Goma, le chef-lieu de la province, qu’ils veulent occuper comme en 2013. Un ‘‘exploit’’ qui obligea alors Kinshasa à négocier en position de faiblesse et à faire d’énormes concessions aux assaillants dans la gestion de ces régions convoitées par Kigali depuis la fin du génocide rwandais en 1994.
Ces dernières semaines, les affrontements se sont dangereusement rapprochés de Goma. Ils se déroulent, entre autres, à Sake, à une vingtaine de km du chef-lieu de la province martyre. Face à la résistance des forces loyalistes et dans le dessein de faire plier Kinshasa qui rejette toute négociation avec eux, les terroristes n’hésitent plus à cibler les populations civiles, les contraignant ainsi à l’errance. En même temps qu’ils oeuvrent à l’encerclement et à l’asphyxie de la ville quasiment coupée des territoires riverains qui l’approvisionnent en en denrées de toutes sortes.
Cibles civiles visées
Au Nord-Kivu, la situation humanitaire n’est donc guère reluisante. Des sources humanitaires signalent qu’en vingt jours d’affrontements, les obus largués par les terroristes sur Sake ont tué 28 civils et en ont blessé au moins 50, y compris dans des sites de déplacés où plus de 13.700 personnes, fuyant les combats, ont été relocalisées.
Alors qu’elle hébergeait déjà quelques 500.000 déplacés, Goma est envahi, depuis début février, par ces nouveaux déplacés.
Au terme d’une réunion à huis clos, le 12 février 2024, le Conseil de sécurité des Nations-Unies a «condamné l’offensive du M23» à l’Est de la RDC et exprimé son inquiétude face à cette «escalade de la violence» dans la région. Un narratif en langue de bois quasi-rituel depuis plus de 25 ans. «Les membres du conseil ont répété leur condamnation de tous les groupes armés opérant dans le pays», selon Carolyn Rodrigues-Birket, la présidente guyanaise du conseil. Tout en soutenant du bout des lèvres, leur «plein soutien à l’unité, la souveraineté et l’intégrité territoriale de la RDC». Le Conseil de sécurité a appelé également les acteurs à «mettre fin à la violence et à respecter le droit international humanitaire et à reprendre le dialogue diplomatique» avant d’exprimer son soutien aux efforts régionaux visant à parvenir à une cessation des hostilités ainsi qu’à la Mission des Nations-Unies pour la stabilisation du Congo (MONUSCO), au personnel de l’ONU et des ambassades occidentales à Kinshasa visés par des manifestants dans la capitale.
Sur le Rwanda, dont les troupes opèrent à découvert en RDC, aucun mot. Même pas pour condamner les tirs de missiles sol-air des RDF qui avaient visé un drone d’observation onusien, le 6 février 2024.
Le Conseil de sécurité a préféré botter en touche en limitant sa condamnation aux seuls supplétifs du M23, alors que les images satellitaires et des drones de l’ONU avaient bel et bien attesté de la présence de véhicules blindés des RDF armés de ce type de missiles en territoire congolais.
Ce faisant, l’ONU et son Conseil de sécurité ont quasiment légitimé l’agression perpétrée par le Rwanda contre la RDC, tout autant que les motivations inavouées qui la sous-tendent. Une véritable prime à l’agression d’un Etat membre de l’ONU contre un autre.
Pas de condamnation du Rwanda
Pourtant, selon un document interne des Nations Unies qui a fuité dans la presse le 11 février 2024 (24 heures avant la réunion du Conseil, donc), des éléments RDF avaient tiré au moins un missile sol-air, sur un drone d’observation de la Monusco. L’engin, qui avait manqué sa cible, avait été lancé d’une zone sous contrôle des supplétifs de Kigali. Le document onusien révèle également que «les renseignements militaires extérieurs français confirment que le véhicule blindé de type WZ551, équipé d’un système de missile sol-air, est bien rwandais». Des photographies aériennes jointes au rapport secret onusien présentent ledit véhicule à six roues avec, déployé sur son toit, un système de radar et de lance-missiles. Il s’agit d’images prises à environ 70 km au Nord de Goma, en territoire de Rutshuru, par le drone visé par le missile rwandais. La Monusco avoue ne pas connaître «de groupes armés possédant l’entraînement ou les ressources nécessaires pour opérer et maintenir un système de missiles sol-air mobile» et dénonce l’«escalade des forces conventionnelles engagées dans le conflit à l’Est de la RDC». Mais surtout, que les moyens anti-aériens utilisés par « les M23 et l’armée rwandaise » contre des appareils volants « constituent une menace à haut risque pour tous les aéronefs congolais et de la Monusco dans la région».
Les Nations-Unies ne sont pas les seules à observer ce mutisme cynique sur les atrocités nées de l’activisme de l’armée de Paul Kagame en RDC.
Hadja Lahbib, ministre des Affaires étrangères belge dont le pays assure la présidence de l’Union Européenne (UE), a fait preuve du même mutisme face au drame rd congolais en prenant pratiquement fait et cause pour Kigali dans le conflit qui l’oppose à la RDC.
Dans une surprenante déclaration, elle a appelé Kinshasa à «mettre fin à ses liens avec les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR)», dont il est pourtant notoirement reconnu qu’elles ne représentent pas le moindre danger pour leur pays d’origine depuis des lustres. Et que Kagame, qui les recycle avant de les renvoyer en RDC, s’en sert pour justifier sa présence sur le territoire de son riche voisin. Pour la diplomate belge, «il est également essentiel que les messages de haine et les appels à la violence cessent. La solution à un conflit, quel qu’il soit, n’est jamais militaire». Hadja Lahbib fait ainsi sienne la vieille rengaine chère à Paul Kagame selon laquelle «il faut s’attaquer aux causes profondes du conflit. C’est ainsi que les populations pourront s’épanouir et prospérer».
Les mines congolaises, causes profondes du conflit
Cette position de l’UE sur le conflit armée de l’Est rd congolais apporte ainsi un éclairage particulier sur la passivité observée par les puissances occidentales face à cette campagne d’extermination de masses entreprise par Paul Kagame (et dans une certaine mesure, Yoweri Museveni) au Congo. Les fameuses « causes profondes » du conflit qui endeuille la RDC seraient donc suffisamment justifiées et fondées pour cautionner l’insensibilité face au drame qui se déroule à l’Est. Par causes profondes du conflit, il faut sans doute entendre les revendications ‘‘territoriales’’ de Kigali, qui convoite rien moins que les riches régions minières de l’Est de la RDC. Et qui apparaissent comme légitimées par certains au sein de la communauté internationale dont les pays tirent profit des ressources congolaises ainsi pillées par Kigali.
Pour nombre d’observateurs, cette violence meurtrière ne remonte pas à la guerre dite de libération de l’AFDL de Laurent-Désiré Kabila, ainsi qu’on l’a souvent cru. Le déluge de feu qui s’abat sur le pays de Lumumba à partir de l’Est tire son origine de la décision de groupes d’intérêts financiers occidentaux d’accaparer les richesses minières congolaises par tous les moyens en mettant cette formidable manne économique sous leur contrôle sans contrepartie.
Ainsi ont été créées des entreprises comme l’américano-canadienne American Mineral Fields International (AMFI) en 1995, un an avant le déclenchement de la guerre dite de l’AFDL en septembre 1996. Ses origines semblent des plus douteuses : elle serait américaine (Arkansas), britannique (Londres), et canadienne (Toronto) à la fois et a changé 4 fois de dénomination en déménageant son siège social de Vancouver à Londres en passant par le Yukon, révèlent des études. L’entreprise est «forgée comme un instrument destiné à exécuter en Afrique la volonté de domination économique d’un groupe de financiers occidentaux soucieux d’assouvir leurs desseins prédateurs en RDC», écrit ainsi le chercheur canadien Alain Deneault au sujet de cette nébuleuse qui a joué un rôle déterminant dans les événements survenus en RDC ses dernières décennies. Les «enjeux stratégiques mondiaux» dont question ne seraient donc rien d’autre qu’un nouvel ordre économique mondial régi par quelques vampires de la haute finance internationale qui ne s’encombrent du droit international ou humanitaire, ni des notions de souveraineté des Etats. Pour eux, comme en 1885 à Berlin, le monde et surtout l’Afrique est à redessiner de fond en comble par le plus diligent au besoin en utilisant des chars d’assaut.
Museveni et Kagame
Pour l’invasion de la RDC dans ce nouvel ordre mondial mercantile, le président rwandais Paul Kagame et son homologue ougandais Yoweri Museveni, associés à des investisseurs comme Jean- Boulle, ancien directeur De Beers RDC devenu fondateur et principal actionnaire d’AMFI, et certains dirigeants occidentaux sont à la manoeuvre. Car, outre sa composante commerciale, AMFI est un carrefour financier politique et militaire regroupant diverses personnalités occidentales, seigneurs de guerre africains et affairistes de tous poils, à l’instar du belge Willy Maillants qui participa à l’assassinat de Patrice Lumumba en 1961 et serait à l’origine des contacts avec les forces rwandaises et ougandaises qui ont ‘‘dégagé’’ Mobutu en instrumentalisant une rébellion congolaise. Bill Clinton, Georges Bush Jr et d’autres personnalités influentes sont également intimement liées à AMFI.
Des conseillers militaires américains avaient planifié et dirigé les opérations de l’AFDL à partir de Goma où certains s’étaient installés. Ils ont fourni armes et fonds, y compris pour la désinformation indispensable pour berner l’opinion publique mondiale et congolaise au sujet des tombeurs de Mobutu et de leurs motivations réelles.