La Cour constitutionnelle congolaise a confirmé mardi 9 janvier la victoire du président sortant à l’élection présidentielle du 20 décembre 2023. S’ouvre à présent face à lui, une série de défis qu’il aura à relever.
Pour Félix Tshisekedi, 60 ans, l’heure est à la préparation de son investiture prévue pour le 20 janvier. Il prêtera alors serment pour un second mandat de cinq ans après celui obtenu en 2019.
C’est un mandat de la seconde chance pour le fils du sphinx de Limete qui, cette année-là, avait promis à ses compatriotes, «un Etat de droit où la séparation des pouvoirs sera une réalité et où il sera mis fin au règne des groupes armés qui endeuillent le Congo».
Défis sécuritaires
En campagne en décembre 2018 à Goma, l’une des plus grandes villes de l’Est du pays, en proie à une crise sécuritaire qui dure depuis des décennies, Félix Tshisekedi avait déclaré par exemple que «toutes ces atrocités que nous voyons à Beni, tous ces massacres, toutes ces violences, nous allons les éradiquer. Nous irons voir nos voisins et nous allons essayer de trouver un terrain d’entente parce que nous ne voulons plus qu’une seule vie de Congolais soit perdue dans ces violences inutiles ; nous allons défendre le pays».
Il avait par la suite pris plusieurs initiatives pour restaurer la paix sur l’ensemble du territoire national, décrétant en 2021, l’état de siège dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu. Un régime d’exception qui a remplacé l’administration civile, avec pour but de mettre fin à l’action des groupes armés dans la région.
Il avait en plus lancé une mobilisation de la jeunesse, qui a permis de recruter des milliers de jeunes dans les rangs de l’armée régulière, avant de lancer une opération de désarmement et de réinsertion des membres des nombreux groupes armés évoluant dans la région.
Les résultats n’ont pas suivi jusqu’à ce jour, même si d’aucuns estiment que ces initiatives ont porté quelques fruits.
Pour Félix Tshisekedi, «ce régime d’exception a permis l’amélioration de la situation sécuritaire dans certaines zones des deux provinces concernées, notamment la réduction de la fraude minière et douanière transfrontalière qui alimente les conflits, la réduction des tensions intercommunautaires ainsi que la stabilité de l’administration à travers le rétablissement de l’autorité de l’État».
Certes sur le terrain, la situation reste tendue. Le 14 novembre, la localité de Kishishe dans le Nord-Kivu, reconquise quelques mois plus tôt, est retombée aux mains de la coalition RDF (armée rwandaise)-M23.
Selon l’Organisation internationale des migrations (OIM), on compte 6,9 millions de déplacés internes en RDC, suite à cette crise.
Tensions diplomatiques avec le Rwanda de Kagame
Le président Félix Tshisekedi est désormais à couteaux tirés avec son voisin rwandais Paul Kagame.
En effet, après six mois de calme relatif, les affrontements ont repris début octobre dans le Nord-Kivu entre les forces gouvernementales rwandaises et leurs supplétifs du M23 d’une part et l’armée congolaise (FARDC) alliée à des groupes d’autodéfense nationaux surnommés les ‘‘Wazalendo’’ (patriotes en swahili) d’autre part.
Dans la recherche des solutions à la crise, les autorités congolaises ont pris des initiatives diplomatiques avec les Etats Est-africains qui ont conduit aux initiatives de Nairobi et de Luanda, visant à mettre fin au conflit. Ces initiatives ont donné lieu à un dialogue entre l’Etat et divers groupes armés opérant dans l’Est de la RDC, à l’exception du M23 ainsi que la mobilisation d’une force régionale, qui s’est retirée quelques mois plus tard après avoir été accusée par Kinshasa de «s’être muée en force d’interposition en mettant en place des sortes de zones tampon dont personne ne voulait», analyse Onesphore Sematumba, chercheur de International Crisis Group, pour la région des Grands lacs.
Le gouvernement congolais accuse régulièrement le Rwanda voisin de se cacher derrière la mutinerie du M23, ce que Kigali a toujours nié.
Lors de la campagne pour la présidentielle du 20 décembre dernier, Félix Tshisekedi excédé, est allé jusqu’à menacer de s’attaquer au Rwanda si cette collusion criminelle perceverait après sa réélection.
Tensions entre la RDC et le Rwanda
«Je vais convoquer le Parlement en congrès pour m’autoriser à déclarer la guerre au Rwanda», avait lancé à la cantonnade le chef de l’Etat devant une foule chauffée à blanc, Place Sainte-Thérèse à Kinshasa.
Piqué au vif, le président rwandais Paul Kagame a réagi deux semaines plus tard. «Ce sont ceux qui la souhaitent (la destruction ndlr) pour nous qui en feront l’expérience», avait-il déclaré le 30 décembre dernier dans un message solennel à ses compatriotes.
Les relations entre Kinshasa et Nairobi semblent également s’être détériorées. Allié de la RDC dans la lutte contre l’insécurité, le Kenya sous le président William Ruto paraît avoir changé de politique.
La tension est montée en décembre dernier, lorsqu’en pleine campagne électorale, l’ancien président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), Corneille Nangaa a annoncé la création d’une «alliance du fleuve Congo» depuis Nairobi.
Cette nébuleuse regrouperait certaines forces négatives congolaises parmi lesquelles le M23 qui écument les provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu et de l’Ituri.
En réaction, la RDC a promptement rappelé pour consultation son ambassadeur à Nairobi et auprès de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Est (EAC) avant de convoquer celui du Kenya accrédité à Kinshasa.
Une demande formelle a été adressée au gouvernement kényan d’arrêter l’ancien président de la CENI, qui y vivait en exil depuis quelques mois.
Mais cette requête a essuyé une fin de non recevoir de la part du président William Ruto. «Nous n’arrêtons pas des gens qui ont fait une déclaration. Nous arrêtons des criminels», a déclaré le président kényan.
La gestion de la crise politique à l’Est, qui se mue ainsi en crise diplomatique sous-régionale va être l’un des enjeux du second quinquennat du président congolais, mais pas que.
Calmer la crise politique
Le contentieux postélectoral a été peu animé, par rapport à celui de la présidentielle de 2018. Au cours du cycle électoral 2023, seuls deux dossiers ont été reçus devant la Cour constitutionnelle, dont celui de l’opposant Théodore Ngoy, arrivé en queue de liste avec 0,02 % des voix selon les résultats publiés par la CENI, et celle d’un certain David Mpala Ehetshe.
Leurs demandes d’annulation du scrutin du 20 décembre 2023 pour «irrégularités graves» ont été formellement déboutées par les juges de la haute Cour pour qui le premier recours avait été jugé «recevable mais non fondée» et le deuxième «non-recevable pour défaut de qualité».
Ce timide engouement dans la contestation juridique du scrutin n’illustre pourtant pas la quiétude au sein de la classe politique congolaise. D’autres opposants, dont Martin Fayulu, Moïse Katumbi ou encore le Prix Nobel de la paix 2018 Denis Mukwege ont exprimé leur désapprobation des résultats de l’élection présidentielle, bien avant la proclamation des résultats provisoires par la CENI.
Le jour du scrutin, Martin Fayulu avait appelé à l’annulation des résultats tandis que Moïse Katumbi, arrivé deuxième, dénonçait plusieurs griefs dont «la présence de machines à voter dans des domiciles privés» en promettant de ne pas accepter ces résultats, et appelant à des «manifestations pacifiques».
Martin Fayulu, le candidat arrivé 3ème, selon les résultats publiés par la centrale électorale, a également refusé d’attaquer les résultats devant la Cour constitutionnelle. «Nous ne légitimerons pas une Cour constitutionnelle qui n’en est pas une. Une cour politisée et tribalisée… La classe politique doit se réunir pour fixer la forme de la gouvernance, et la date des bonnes et prochaines élections», a déclaré à la BBC, Prince Epenge, son porte-parole.
Le gouvernement, via le ministre de la Communication Patrick Muyaya, avait déjà prévenu qu’il n’accepterait aucune manifestation de rue visant à déstabiliser les institutions de la République.
Par le passé, des manifestations de l’opposition avaient été violemment dispersées par la police à Kinshasa, avant et après les élections.
En mai dernier, plusieurs dizaines de militants de l’opposition ont été blessés lors d’une manifestation organisée par Moise Katumbi, Martin Fayulu, Augustin Matata Mponyo et Delly Sesanga contre l’insécurité, la vie chère et l’opacité du processus électoral. La police avait alors fait état de 25 blessés au sein de ses rangs, dont deux dans un état grave.
Le retour de la quiétude dans la classe politique sera aussi l’un des défis du président Tshisekedi.
Relancer l’économie
La RDC regorge d’énormes ressources naturelles. Elle détient entre autres plus de la moitié des réserves mondiales de cobalt, un minerai essentiel à la fabrication des téléphones portables et des batteries de voitures électriques, ainsi qu’un potentiel hydroélectrique unique en Afrique.
L’économie congolaise reste cependant dominée par le secteur informel qui pourvoit à plus de 90 % aux revenus des ménages. L’inflation a atteint les 22 %, conséquence du conflit russo-ukrainien. «Quand vous avez un système économique extraverti où les entreprises n’ont pas de travail et que le travail est dans la rue, automatiquement le système économique va en pâtir», explique l’économiste congolais Mathieu Takizala. Ce qui contraste avec les ambitions du président réélu, lorsqu’il sollicitait son premier mandat.
Félix Tshisekedi avait alors promis de «faire de la lutte contre la pauvreté, une grande cause nationale».
L’un de ses objectifs était notamment d’«augmenter le revenu moyen par habitant à 11,75 USD par jour, comparativement à 1,25 USD auparavant», confiait-il lors d’une interview à la BBC en décembre 2018. Le coût de ce programme ambitieux qui devait s’étaler sur une période de 10 ans était estimé à 86 milliards USD.
Selon la Banque mondiale, près de 62 % des Congolais, soit environ 60 millions de personnes, vivaient avec un revenu journalier de 2,15 USD en 2022, ce qui donne une idée des efforts restant à accomplir pendant le deuxième quinquennat.
D’énormes défis sociaux
Des inégalités hommes-femmes à la lutte contre la corruption, en passant par le vivre-ensemble et les chantiers routiers, Félix Tshisekedi a du pain sur la planche.
Sur le plan infrastructurel, la RDC qui totalise 2,3 millions de kilomètres carrés ne compte que 3.000 kilomètres de routes bitumées selon les chiffres les plus récents du ministère des Travaux publics. Le reste, soit 158 mille kilomètres de routes étant en terre.
Les déplacements à l’intérieur du pays sont très laborieux et les populations en sont réduites souvent à recourir à des embarcations de fortune sur ces boulevards naturels que constituent le fleuve Congo et ses affluents. Les chavirements sont fréquents et coûtent la vie à des dizaines de personnes chaque année.
Pour Uber Wangota, sociologue du développement, «la priorité des priorités dans le contexte congolais, c’est pratiquement le chantier route. Parce que là où la route passe, le développement suit. Et, vous allez voir également que si et seulement si le gouvernement s’investit dans la remise en état de presque toutes les routes importantes du pays, ce qu’on appelle communément les routes nationales qui passeraient par tous les territoires, localement on ferait un effort de manière à relier les routes secondaires provinciales et les routes de desserte agricole à cette route principale bitumée, ce qui aurait des répercussions jusqu’au niveau de la sécurité qui va même s’améliorer».
Sur le plan éducatif, Félix Tshisekedi a décrété la gratuité de l’enseignement primaire qui est entrée en vigueur en septembre 2019. En novembre dernier devant les parlementaires, le cinquième président rd congolais a affirmé que «1.230 écoles ont été construites dans le cadre du Programme de développement Local de 145 territoires». Ce qui aurait permis «d’augmenter de plus de 5 millions, le nombre d’élèves inscrits».
Mais des efforts restent à faire dans ce secteur selon Ocha, le bureau de coordination des affaires humanitaires, qui a établi dans un rapport que «plus de 7 millions d’enfants de 5 à 17 ans étaient toujours non scolarisés en 2022».
L’organisation note aussi que le taux d’alphabétisation des femmes est de 22 % inférieur à celui des hommes, et que le salaire des femmes est inférieur de 77,3 % à celui des hommes.
Sur le plan sanitaire, le chef de l’Etat avait lancé en septembre dernier la gratuité de l’accouchement dans les hôpitaux publics, dans un pays où près de la moitié de la population n’a pas accès à des soins de qualité selon Ocha.
L’agence onusienne note pourtant que le pays compte parmi ceux affichant un taux de mortalité élevé, soit 70 décès pour 1.000 naissances.
Liberté de la presse et lutte contre la corruption
L’autre chantier majeur sera aussi la lutte contre la corruption. «Elle n’a épargné aucun secteur», laisse entendre Jules Alingete Key, le célèbre patron de l’Inspection générale des finances de la RDC.
Le pays occupait en 2022, le 166ème rang sur 180 selon l’indice de perception de la corruption de Transparency International. Selon les données de l’organisation, 80 % des usagers des services publics ont versé un pot-de-vin au cours de l’année en revue.
Il y a aussi la question de la liberté de la presse. Pour Reporters sans frontières, la RDC était à la 124ème place sur 180 en 2023. Journaliste en danger (JED) indique pour sa part dans un rapport publié en novembre dernier, avoir documenté au moins 88 cas d’attaques contre les journalistes et les médias en RDC depuis le début de l’année passée.
Parmi ces agressions, souligne l’organisation, on compte 40 cas de violences physiques, 30 cas d’arrestations ou d’interpellations, et 18 cas de fermetures de médias ou d’interdictions de programmes ou émissions politiques.
Lors du premier mandat de Félix Tshisekedi, l’organisation dit avoir noté 523 atteintes contre la presse, dont 160 arrestations depuis son arrivée au pouvoir.
Lors d’une conférence de presse au lendemain de la publication de ce rapport, le porte-parole du gouvernement congolais, Patrick Muyaya avait estimé que l’organisation était parcellaire et ne soulevait que des points noirs. Il a aussi précisé que «La plupart de journalistes touchés ou assassinés l’ont été à l’Est du pays où il y a un climat d’insécurité entretenu par le M23».
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